« L’humour est génial pour démocratiser des idées »
À 33 ans, l’humoriste Swann Périssé s’impose comme une figure incontournable du militantisme féministe. Elle marie habilement humour, féminisme et écologie dans ses spectacles, podcasts et vidéos.
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Swann Périssé joue son spectacle Calme jusqu’à fin mars au Palais des glaces de Paris, avant de partir en tournée en France.
Née en 1990, Swann Périssé est aujourd’hui l’une des figures du mouvement féministe. À l’âge de 12 ans, elle commence le théâtre et tombe amoureuse de la scène. Elle poursuit cette pratique après ses études en sciences politiques, qu’elle accompagne de vidéos humoristiques. Au bout de quatre ans, elle se consacre pleinement à YouTube et aux réseaux sociaux, sur lesquels sa notoriété explose. Avec Calme, elle revient sur scène après un an d’écriture.
Une grande partie de votre spectacle, Calme, tourne autour de la colère. Quel est votre rapport à cette émotion et que cherchez-vous à dénoncer ?
C’est une émotion qui est présente chez moi très régulièrement. Je me suis rendu compte que ce n’était pas le cas chez mes pairs femmes, parce que c’était très mal vu. Ça m’attirait des embrouilles dans mon travail ou dans ma vie perso. Je me suis toujours dit que j’avais un vrai problème avec ma colère. J’ai donc entamé un long cheminement ces dernières années, qui m’a amenée à considérer que j’avais du mal à réprimer cette colère. Il y a des manières de l’exprimer et de la canaliser qui permettent de faire des choses bien avec, c’est une émotion légitime, humaine.
J’ai réussi à relier presque tout ce que je disais sur le sexe au sujet du consentement.
On apprend beaucoup aux petites filles et aux jeunes femmes à réprimer leur colère, à l’étouffer. On les prive sûrement de l’émotion la plus à même de les amener à bouger, à changer les choses, à se protéger ou à se défendre. Beaucoup de femmes me disent qu’elles ressentent de la honte plutôt que de la colère. J’aimerais que ce spectacle permette à des femmes de se sentir légitimes à ressentir de la colère. Ce n’est pas en sortant de la salle qu’elles vont se mettre à brûler des poubelles, ce n’est pas en assistant à une heure de stand-up que ça peut arriver. Mais ça permet au moins de planter une graine dans la tête et de la laisser germer.
Le spectacle aborde aussi beaucoup la sexualité. Pourquoi choisir de traiter ce sujet à travers les prismes du féminisme et du consentement ?
À la base, j’adore écrire des blagues de cul. Ça me fait rire, ça fait rire les gens. Quand on écrit un spectacle, on écrit des vannes qui semblent être hilarantes, et puis on se rend compte que c’est souvent gratuit, qu’il n’y a pas de propos derrière. Je n’arrivais pas à abandonner des vannes qui venaient de certains événements qui m’avaient marquée. Il y avait un vrai fond dans ces blagues, parce que c’est souvent dans les contextes de sexualité que s’expriment les violences sexistes et sexuelles.
J’ai donc réussi à relier presque tout ce que je disais sur le sexe au sujet du consentement. Dans le cadre de l’intimité, il n’y a plus de loi, si ce n’est la loi des habitudes et de l’éducation sexuelle qu’on n’a pas eue. J’ai pris conscience que, sous toutes ces choses qui me faisaient rire, s’exprimait de la violence. Apparemment les jeunes font moins l’amour qu’avant, peut-être est-ce parce que, dans leur imaginaire du sexe, la violence était normalisée. Aujourd’hui ça commence à bouger.
Dans un passage de votre spectacle, vous vous moquez des hommes qui font du « Not all men » (« pas tous les hommes »). Certains vous écrivent en message privé en disant qu’ils sont féministes et qu’ils ne sentent pas concernés par les mécanismes que vous décrivez. Ces messages révèlent-ils que beaucoup d’hommes n’ont pas encore pris conscience des mécanismes systémiques du patriarcat ?
Je comprends que ce soit très violent pour certains hommes. Même s’ils font partie du système patriarcal, à une échelle individuelle, ils peuvent souffrir d’avoir été forcés à se bagarrer, d’avoir été moqués lorsqu’ils ont pleuré, d’être obligés de bander, de draguer. Mais je suis très frustrée dans mon quotidien de ne pas les voir concernés par les violences que nous, les femmes, pouvons subir.
C’est soit « des trucs de gonzesses » – je caricature –, soit ils le prennent personnellement, et vont contre-argumenter avec des exemples. « Tu parles des femmes battues ? Oui mais moi je connais un mec qui a été violenté par sa copine. » « Oui mais moi je ne l’ai jamais fait. » Je trouve ça fou, l’argument par l’exemple est absurde pour se dédouaner de sa non-implication pour lutter contre le système patriarcal. Les chiffres ne parlent pas des femmes qui battent leurs copains, même si elles existent.
Comment accueillez-vous le mouvement MeToo dans le monde du stand-up ?
Il y a eu une révolution féministe énorme depuis MeToo qui s’est propagée dans de nombreuses strates de la société. C’est un véritable bouleversement, avec une vague mondiale de dénonciations, qui s’est récemment – et logiquement – immiscée dans le monde de l’humour. Le MeToo stand-up s’est déclenché début janvier, et la parole se libère de plus en plus. Ça va forcément avoir une influence positive sur la manière dont on traite certains sujets. Je pense au sketch de Blanche Gardin sur la sodomie forcée dans un couple, aujourd’hui je ne suis pas sûre qu’on puisse l’aborder de la même manière sans appuyer le fait qu’il s’agit d’un viol.
Je me souviens de rapports qui ne m’ont pas traumatisée ou que j’ai acceptés, mais sur le papier c’est glauque. Je l’ai bien vécu et tant mieux, mais j’aimerais bien que les jeunes femmes n’acceptent plus ça. J’aimerais surtout que les hommes se questionnent sur la manière dont ils font l’amour. À quel point ça peut être sexy de demander le consentement. Je suis convaincue que quelque chose de super peut naître de ces prises de conscience.
Il y a une vraie dimension politique dans votre œuvre, à travers votre spectacle, vos vidéos sur les réseaux sociaux, votre podcast écolo « Y’a plus de saisons ». Selon vous, en quoi l’humour constitue-t-il une arme pour faire passer des idées engagées ?
C’est clair que l’humour est une arme pour faire passer des idées. Quand tu arrives à faire rigoler, tu as tout gagné. Ça peut être utilisé à très bon escient. Dans mon podcast « Y’a plus de saisons », j’invite des personnalités engagées dans la lutte environnementale. J’ai choisi ce format pour parler d’écologie parce que c’est vraiment sur scène que je suis la plus forte dans la vie. Manier les vannes avec un public, désacraliser quelqu’un, le taquiner tout en le mettant en valeur, faire des blagues pour faire comprendre des choses à ceux qui les écoutent.
Je reçois des menaces de viol. Parce que je suis féministe et que des hommes sont critiqués grâce à ce que je raconte.
L’idée m’est venue parce que Jean-Marc Jancovici, que j’avais croisé une fois ou deux, m’a invitée à une table ronde avec lui lors de l’ouverture de l’université d’été de son association The Shift Project. Ces personnes se battent pour que les idées entrent dans la tête des gens, notamment des décisionnaires. J’étais donc autour d’une table avec Jean-Marc Jancovici et François Ruffin, où nous avons été invités à discuter et à débattre. Tout le monde était mort de rire quand je parlais. J’en ai déduit que l’humour était génial pour démocratiser les idées de mes invités.
À travers vos prises de position écologiques, souhaitez-vous inspirer votre public pour qu’il s’engage sur le terrain ? Et êtes-vous tentée vous-même par cette forme d’engagement, avec les Soulèvements de la Terre par exemple ?
Je cherche à faire une émission didactique pour que les gens prennent conscience de ce qui se passe, mais aussi de ce qu’on peut faire. Donc mon but n’est pas de dire aux gens quoi faire, mais de leur apprendre ce qu’est la désobéissance civile, de leur montrer que les banlieues souffrent plus du réchauffement climatique et de la pollution de l’air que les centres-villes bourgeois et les campagnes. Je veux leur apprendre ce qu’était la Convention citoyenne pour le climat, les informer que le dernier rapport d’Oxfam explique que les 1 % les plus riches polluent autant que cinq milliards d’êtres humains et que les 10 % les plus riches du globe sont en train de ruiner la vie des autres.
J’espère que ça va résonner ensuite dans la tête des uns et des autres, que ça va leur permettre d’agir en conséquence dans leur quotidien : en faisant du zéro déchet à la maison, en pratiquant la désobéissance civile, en s’engageant en politique, en réfléchissant à des actions locales, en préparant leur résilience psychologique, leur résilience alimentaire, etc. Le but est de leur montrer que ça existe, que la lutte environnementale peut être joyeuse, pas illégale, et que parfois la légalité n’est pas toujours du bon côté.
Votre humour engagé peut-il constituer un rempart au « on ne peut plus rien dire » ?
Je ne sais pas, parce que je suis critiquée de part et d’autre. Je suis évidemment très critiquée par celles et ceux qui ne sont pas d’accord avec les idées que je véhicule. Mais je suis aussi critiquée par de nombreuses féministes malgré les sujets que j’aborde. C’est important de le savoir. Si je fais une blague sur mon bourrelet, on me dit que je ne suis pas vraiment vraiment grosse, si je fais une vanne sur le fait que je maigris parce que je cours beaucoup, on me dit que je suis grossophobe. Mais je n’ai pas l’impression que je ne peux plus rien dire. J’ai l’impression qu’il y a des opinions diverses et variées, et que je m’y confronte.
Mais je suis aussi critiquée par l’extrême droite, et je cache absolument où je vis quand je fais des vidéos parce que je suis critiquée par des mecs dangereux. Je ne peux pas faire de footing au même endroit deux soirs de suite, parce que j’ai peur que des hommes violents puissent me retrouver sur les lieux. Il faut quand même garder ça en tête. Je reçois des menaces de viol. Parce que je suis féministe et que des hommes sont critiqués grâce à ce que je raconte.
Vous êtes devenue une personnalité qui a de plus en plus d’influence. Vos positions politiques sont forcément très observées, écoutées par une partie de votre public. Comment gérer cette forme de responsabilité ?
Il faut que j’arrive à démocratiser le sujet pour le rendre accessible et il faut que je rende ça drôle, donc ça me demande beaucoup de travail.
J’ai pris conscience de cette responsabilité à travers ma casquette d’« influenceuse ». Je suis cheffe d’entreprise et pendant des années j’ai gagné mes sous grâce à des placements de produits. Aujourd’hui, là où je réalise qu’il y a une responsabilité et où je regrette parfois de ne pas pouvoir m’impliquer plus, c’est dans l’écriture. Quand je fais des « réels » [courtes vidéos sur les réseaux sociaux], ça fait entre 200 000 et 1 million de vues. Un « réel » rigolo qui parle d’une histoire de cul qui s’est mal passée, ça me prend une heure. Mais une vidéo où je dois parler de Total qui est en train de développer un pipeline en Ouganda et en Tanzanie, ça me prend un jour et demi, parce qu’il faut que je comprenne les enjeux. Il faut que j’arrive à démocratiser le sujet pour le rendre accessible et il faut que je rende ça drôle, donc ça me demande beaucoup de travail.
Je manque de temps et donc parfois je m’en veux de me reposer un peu sur la facilité des vannes. Mais oui, bien sûr, j’ai une énorme responsabilité, et je m’en veux aussi quand parfois je fais des généralités sur les médias. J’entends parler d’un truc, par exemple, et je le répète par automatisme sans avoir pris le temps de creuser vraiment. Souvent on m’interpelle pour que je prenne position contre telle personne ou sur tel sujet. Hélas, je n’ai pas le temps, et je sais que beaucoup de gens sont déçus.
Donc, oui, j’ai une responsabilité, et j’en prends aussi conscience dans les retours de mon public. Hier, j’ai croisé une femme dans le train qui était venue au spectacle avec son mari et son fils. Elle m’a dit qu’ils avaient compris la partie sur le « Not all men », à quel point ça pouvait être désagréable qu’ils parlent d’eux-mêmes quand on a juste besoin d’être écoutée. Ça m’a trop touchée ! Je me dis qu’au moins j’aurai gagné ça.