Violences sexuelles : dans les lycées, la grande omerta

Si les politiques publiques contre le harcèlement scolaire ont été renforcées, celles contre les agressions entre élèves demeurent confidentielles. Elles laissent les personnels dépourvus de cadre et les victimes souvent seules face à leur traumatisme.

Pierre Jequier-Zalc  et  Hugo Boursier  • 28 février 2024 abonné·es
Violences sexuelles : dans les lycées, la grande omerta
© Stéphane Trapier

Quand Chloé* est revenue au lycée après une fin d’année décousue, elle pensait « naïvement » que son ex-petit copain, contre lequel elle a porté plainte pour viol, avait été suspendu. Ils étaient ensemble depuis deux ans et s’étaient rejoints dans la même classe, en première, dans un établissement breton, après que Chloé avait sauté un niveau. Cette proximité permanente la plongeait dans un profond état d’angoisse. Déjà, l’idée de franchir à nouveau le portail du lycée n’était pas chose facile. « J’avais la boule au ventre jusqu’au jour où je me suis dit : “J’y vais quand même” », se rappelle-t-elle.

« Et là, c’est la grosse, grosse déception. » Thomas* est là. Chloé explique que son agresseur se « pavane », qu’il « rigole avec ses copains ». Il est « toujours aussi populaire ». Autour d’elle, son monde a changé : les rumeurs bruissent dans chaque couloir, les yeux sont rivés sur la lycéenne. On dit qu’elle a porté plainte pour « se venger » après une dispute. Qu’elle a menti. Une autre version des faits, celle de Thomas, a eu le temps de se propager lors de son absence.

*

Tous les prénoms suivis d’une astérisque ont été changés.

Les camarades de l’adolescente, dont plusieurs sont amis avec l’élève mis en cause, ne lui apportent pas le soutien qu’elle espérait. De son côté, la direction du lycée, où son père est professeur de sciences économiques et sociales, peine à réagir. On lui rétorque que les faits s’étant déroulés en dehors du lycée – dans la chambre de Thomas, en l’occurrence –, l’établissement est tributaire des suites de la plainte que Chloé a déposée.

Le sujet reste tabou. Je ne suis pas certain que tout le monde ait envie d’évoquer ces situations-là.

Justine

Le père, lui, voit sa colère gonfler à mesure que l’établissement rejette la responsabilité sur la procédure judiciaire. En salle des profs, une fois, il s’effondre. Il n’en peut plus d’avoir l’agresseur de sa fille en face de lui quand il donne cours. Sans autorisation de sa direction, il lui a explicitement demandé de ne plus jamais revenir dans son cours. « Ma position était celle d’une proviseure, je ne pouvais pas être militante », se remémore la proviseure du lycée. « C’était compliqué à faire comprendre. Je tenais une position basée sur le droit, rien que le droit. Mais c’était quasiment intenable. »

À la maison, la famille ne comprend pas. En face d’elle, le mur paraît si haut. Les jours s’empilent. Chloé manque des heures puis des jours entiers de cours, pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que la famille obtienne que Thomas passe dans l’autre classe de première. Si, à ce moment-là, Chloé n’est plus confrontée aux « provocations » de son agresseur pendant les cours, le lycée, lui, a changé. C’est comme s’il s’était rétréci. Elle a le sentiment de le « croiser partout ». D’être « épiée » par tout le monde, en permanence. De petite copine d’un garçon populaire, elle est devenue la « violée ». Parfois « la menteuse ».

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Avant que les vacances estivales n’arrivent, et que le père de Thomas accepte, après les demandes répétées « à l’amiable » de la direction, de changer son fils de lycée pour la terminale, ce quotidien n’en finissait pas de plonger Chloé dans l’angle mort des politiques de l’Éducation nationale en matière de lutte contre les violences sexuelles. Devant elle et son père, le tabou d’une institution, la frilosité d’une administration, l’absence de formation des personnels se révélaient, les laissant sans accompagnement ni soutien.

Une explosion de témoignages

Alors que le combat contre le harcèlement à l’école a été renforcé, devenu au fil des terribles faits divers un problème institutionnel majeur, celui contre les agressions sexuelles en milieu scolaire passe en revanche sous les radars. L’École ne veut pas parler des violences sexuelles. Ou très peu. « La direction de mon lycée n’aborde jamais ce sujet. Donc la prise en charge des violences sexistes et sexuelles va énormément dépendre des personnels en place et de leur sensibilité à ces questions-là », regrette Justine, professeure de SES dans un lycée du Doubs et syndiquée au Snes.

Comme nous avons la tête dans le guidon, nous commettons souvent des erreurs.

Nathalie

«Le sujet reste tabou. Je ne suis pas certain que tout le monde ait envie d’évoquer ces situations-là, que ce soient les profs ou les chefs d’établissement. On est encore dans une moralité qui fait qu’on ne veut pas regarder ces situations», confie, sous couvert d’anonymat, un chef d’établissement.

Un vide inquiétant alors que les violences sexuelles chez les jeunes sont nombreuses et quotidiennes. En France, une étude d’OpinionWay pour le Plan international France, publiée le 25 janvier, indiquait qu’un quart des jeunes femmes interrogées (13-25 ans) avaient été victimes d’au moins une forme de ces violences à l’école. Parmi elles, 7 % ont subi une agression sexuelle et 3 % un viol. Des chiffres confirmés par tous nos interlocuteurs. Chacun – prof, chef d’établissement, infirmière – a un événement récent à raconter.

« On assiste à une explosion de témoignages », remarque Nathalie, CPE dans un lycée en Bourgogne. « J’ai dû gérer une affaire il y a deux ans. À la fin d’une soirée avec des amis de terminale, un garçon tente sa chance avec une fille. Puis la jeune fille porte plainte pour agression sexuelle. C’était parole contre parole, nous étions démunis », souffle, par exemple, le chef d’établissement précédemment cité. « Le problème, c’est que nous sommes surchargés et pas aidés. Il y a beaucoup d’attentes du côté des élèves et des familles quand elles sont concernées. Comme nous avons la tête dans le guidon, nous commettons souvent des erreurs », confie Nathalie.

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Face à l’ampleur du problème, nombre de professionnels de l’Éducation nationale ressentent cet embarras. Surtout quand les faits ont lieu en dehors de l’établissement. « Soit ils n’ont aucun impact dans le lycée et, dans ce cas, nous pouvons même ne pas être mis au courant. Soit il y a des moqueries, du harcèlement, voire des violences dans nos murs, et là nous devons intervenir. Mais ce cadre-là reste flou », regrette Gwenaël Sureal, secrétaire général adjoint du SNPDEN, le syndicat majoritaire chez les proviseurs. « Est-ce que le protocole est défini ? Non, pas du tout. Nous apprenons sur le tas », glisse Carole, une professeure de SVT dans un lycée parisien.

Le devoir de protéger la victime

Ce manque de cadrage fait reposer la mise en place d’éventuelles mesures sur l’appréciation de la direction du lycée. C’est elle qui décide d’ouvrir une procédure disciplinaire et d’appliquer des mesures pouvant aller de l’avertissement jusqu’à l’exclusion. Si certains considèrent que « les professeurs, les CPE et la direction ne sont pas des services de police », d’autres « voient parmi leurs missions celle de recouper et vérifier les faits, et d’entendre tous les protagonistes », comme l’explique une CPE.

Une attitude qui peut être problématique, selon Anne Bouillon, avocate spécialisée dans les VSS et qui a représenté Chloé dans son procès. « Très souvent, l’institution ne réagit pas comme il le faudrait, voire elle maintient la situation de dangerosité en se cachant derrière la présomption d’innocence », pointe-t-elle. Ce qui peut laisser des séquelles. Françoise*, une infirmière dans un lycée parisien huppé, explique à Politis que dans son établissement, il y a encore quelques années, « les victimes partaient toujours du lycée alors que les agresseurs restaient ».

En France, une étude d’OpinionWay pour le Plan international France, publiée le 25 janvier, indiquait qu’un quart des jeunes femmes interrogées (13-25 ans) avaient été victimes d’au moins une forme de ces violences à l’école. Parmi elles, 7 % ont subi une agression sexuelle et 3 % un viol. (Dessin : Stéphane Trapier.)

Pour la direction de l’établissement, il s’agit donc d’une lourde responsabilité. Car si la justice est saisie, son temps ne répond pas à l’urgence de la situation. Que faire, alors, pour protéger la victime tout en évitant d’enfreindre la présomption d’innocence de l’élève mis en cause ? Sans formation approfondie, cet équilibre ténu peut reposer sur l’imaginaire que les adultes se font d’une violence sexuelle et de son auteur potentiel.

Face à l’officier de police judiciaire, la proviseure du lycée de Chloé explique ainsi que Thomas est quelqu’un de « doux, facile de relation et peut-être immature ». « Avant les faits, il était très bien dans sa tête », pointe-t-elle d’un côté. De l’autre, la proviseure dessine un portrait d’une fille « fragile psychologiquement, qui est à fleur de peau, vindicative d’une manière générale ». Chloé « peut mentir pour obtenir ce qu’elle veut », précise la cheffe de l’établissement, avant d’ajouter ne pas savoir si « elle peut mentir dans de telles proportions ».

Je suis proviseure. Ni juge, ni gendarme. 

Lorsque l’officier demande si Thomas est capable de faire du mal à Chloé et s’il a pu la violer, la proviseure répond : « Je n’en ai pas la moindre idée. Ce que je peux dire sur Thomas, c’est que je ne connais aucun fait de violence [le] concernant. »

Une façon de minimiser les faits ? Contactée par Politis, la proviseure de l’époque répond : « J’ai juste décrit ce que je connaissais de ces deux jeunes en tant qu’élèves de mon établissement. Lui n’avait jamais eu de problème d’aucune sorte, ce qui n’en fait pas pour autant un non-agresseur. Elle, sa scolarité était plus compliquée, ce qui n’en faisait pas quelqu’un qui n’aurait pas pu être agressé. » Elle rappelle ainsi qu’elle n’avait « pas de point de vue sur le fait incriminé lui-même ». « Je suis proviseure. Ni juge, ni gendarme. »

Représentations faussées et éducation défaillante

Ces situations délicates soulignent le manque d’accompagnement des professionnels sur la gestion des violences sexistes et sexuelles. Un trou noir qui a pour conséquence une « relative absence de réflexion sur ce qui est devenu un fait social majeur des dernières années : les violences dans la sexualité, y compris dans les couples jeunes », expliquent les sociologues Yaël Amsellem-Mainguy et Arthur Vuattoux (1).

Ces regards d’adultes peuvent créer un fossé avec les réalités des adolescents. « Alors qu’on a parfois l’impression que les jeunes sont perçu·es sous le seul angle du risque d’IST et les adultes à travers celui des violences, il est important de rappeler que les jeunes font aussi l’expérience des violences dans la sexualité, y compris au sein de leur couple, indépendamment de la durée de celui-ci », rappellent les auteurs de l’article.

La représentation des violences sexuelles comme étant forcément perpétrées par des inconnus et dans l’espace public reste bien ancrée, même chez les jeunes. « Les violences sexuelles, on en parle beaucoup, raconte Nina, lycéenne en terminale à Paris. On entend souvent des ­histoires sur d’autres lycées, jamais très précises, de pote de pote à qui c’est arrivé. Mais on continue d’avoir plus peur des gars dans la rue que de nos camarades de classe. »

On continue d’avoir plus peur des gars dans la rue que de nos camarades de classe. 

Nina

Des a priori qui peuvent prendre racine dans l’absence de cours d’éducation à la sexualité à la hauteur des enjeux. Alors que la loi impose depuis 2001 trois séances par an pour chaque niveau tout au long de la scolarité, les études montrent que celle-ci est loin d’être respectée. Ainsi, moins de 15 % des lycées bénéficieraient effectivement de ces trois séances annuelles d’éducation sexuelle.

Dans un livre blanc de la sexualité paru en novembre 2023, de nombreuses associations spécialisées – comme le Planning familial ou Sidaction – s’en inquiètent vivement. « Le défaut de mise en œuvre d’une éducation à la sexualité effective sur l’ensemble du territoire national entraîne des conséquences graves », écrivent-elles. Parmi elles, la « croissance des violences sexistes et sexuelles».

Ce décalage s’explique aussi par une perception erronée de ce qui se joue dans les couples adolescents, comme le précise la sociologue Isabelle Clair dans Les Choses sérieuses (Seuil, 2023) (lire notre entretien avec elle par ailleurs). « Que ce soit au sein de l’institution scolaire ou de la justice, il peut y avoir une tendance à considérer qu’on est sur du “touche-pipi”, des jeunes tourtereaux qui, maladroitement, s’essaient aux choses de l’amour », note Anne Bouillon.

Les choses sérieuses isabelle clair

Françoise confirme. Certes, son poste d’infirmière lui permet d’appréhender plus fréquemment le recueil de la parole de jeunes en souffrance. Mais elle note que « la sexualité des jeunes demeure taboue, surtout chez les professeurs masculins ». « Tout le monde n’est pas à l’aise sur ce sujet », acquiesce Carole, la professeure de SVT. « Mais c’est parce que les formations qu’on nous propose se font sur la base du volontariat. Qui les suit ? Comment, sur quel temps, avec quels moyens ? », interroge-t-elle.

Si, en théorie, le consentement et la lutte contre les stéréotypes sont désormais inscrits en éducation civique et morale, en SVT et en histoire, dans la pratique, les professeurs ne se bousculent pas pour aborder ces sujets. « J’ai suivi une formation d’éducation à la sexualité. Mais je suis la seule dans la cité scolaire où je travaille à l’avoir suivie », regrette Carole.

La bonne réaction

Du côté des personnels médico-sociaux, le manque de bras et les inégalités territoriales agrandissent les obstacles. Selon un rapport parlementaire publié en 2023, 7 700 infirmières et 900 médecins scolaires se partagent 12 millions d’élèves. Si le ministère de l’Éducation nationale se targue d’avoir un référent égalité filles-garçons dans chaque établissement, le collectif féministe #NousToutes révèle qu’en 2021 plus de deux tiers des lycées n’en avaient pas.

« Les ambitions des politiques publiques se heurtent aux moyens financiers et humains. Beaucoup d’établissements font leur maximum : les CPE, les profs, les infirmiers comme les assistantes sociales. Mais il y a un décalage clair entre le discours affiché et les réalités. Ce n’est pas en mettant un numéro vert en place que la situation va s’améliorer, mais en embauchant des personnes formées qui peuvent accomplir un travail de qualité », pointe Sylvie Amici, présidente de l’Association des psychologues dans l’Éducation nationale (Apsyen).

Selon un rapport parlementaire publié en 2023, 7 700 infirmières et 900 médecins scolaires se partagent 12 millions d’élèves. (Dessin : Stéphane Trapier.)

Pourtant, nombre de professionnels se rappellent ce moment où ils ont appris la détresse d’une élève qui disait avoir été agressée ou violée. « Un jour, une jeune fille est venue se confier à moi en me disant qu’elle avait été victime d’un viol pendant les vacances de Pâques. Les faits avaient eu lieu en soirée. J’étais extrêmement démunie malgré ma formation syndicale sur ces questions », se rappelle Justine, professeure de SES dans le Doubs. « Je lui ai demandé si elle était d’accord pour que j’en parle à l’équipe pédagogique. Elle a bien voulu, donc j’ai prévenu la CPE, qui l’a reçue. Ensemble, nous l’avons guidée ensuite vers l’infirmière, puis l’assistante sociale », décrit-elle.

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Finalement, « l’élève a voulu partir du lycée. Elle n’arrivait plus à travailler. Elle a voulu s’éloigner. J’ai su plus tard qu’elle avait été placée en hôpital psychiatrique pour dépression », se rappelle Justine, mesurant l’aboutissement très concret d’une confidence. Elle souligne aussi à quel point la bonne réaction est cruciale. Carole, professeure de SVT à Paris, la rejoint là-dessus. « La première difficulté, c’est de savoir bien réagir quand l’élève nous informe. Que dire qui ne soit pas blessant ? Que dire pour réconforter ? Qui informer en premier ? », interroge-t-elle.

Souvent, les élèves qui se livrent veulent que leur témoignage reste confidentiel. Que rien ne sorte du bureau. « Il faut rappeler ce qui relève de la loi, en évaluant le niveau de gravité. Et bien expliquer l’étendue de la procédure, allant de la transmission d’une information préoccupante au signalement, jusqu’au procureur de la République », détaille la psychologue Sylvie Amici.

Déni et abandon

Comme le public concerné est en grande majorité mineur, il y a l’obligation de prévenir les parents. Un moment qui suscite de l’appréhension. Car si les professionnels de ­l’Éducation ­nationale sont souvent conscients de manquer de formation, ils savent que les parents peuvent être également démunis. Xavier, CPE dans un lycée professionnel en Île-de-France, se rappelle avoir appelé les parents d’une élève qui accusait son copain de l’avoir agressée sexuellement.

« Ses parents voulaient étouffer l’affaire, sur le mode ‘Elle a encore fait des conneries’. Ceux de l’élève accusé, eux, n’y croyaient pas trop. La mère du garçon adhérait à la version de son fils, qui ne reconnaissait pas les faits, et elle avait peur qu’il ait des ennuis au lycée. » Une attitude que Françoise a déjà connue en tant qu’infirmière. « Il y a des parents, même face à des SMS de leur enfant harceleur, qui nient », continue-t-elle de s’étonner.

Très souvent, ils se protègent derrière le fait que c’était leur petite amie, comme si cela les excusait.

Françoise

Difficile de rester lucide lorsque l’image de son fils est écornée, surtout par une institution qui jette un coup de projecteur sur un sujet intime. Rares sont les occasions où les jeunes mis en cause avouent. Ce qui pose la question de leur approche du consentement.

« Un seul a reconnu les faits en neuf ans, indique Françoise. Je ne vois pas leur attitude changer. Soit ils ne s’expriment pas, soit ils sont dans le déni quand ils sont accusés. Ils ont honte par rapport aux autres élèves et, très souvent, ils se protègent derrière le fait que c’était leur petite amie, comme si cela les excusait », décrit-elle. Et ils peuvent profiter de leur réputation au sein du lycée.

Julie*, en terminale à Angers, s’en souvient très bien. « Beaucoup de gens ne m’ont pas crue parce que Thibaud*, c’était le mec gentil, super doux, sans trop de confiance en lui », décrit l’adolescente. Alors en seconde dans un lycée parisien, elle accuse son petit copain de l’avoir forcée à lui faire une fellation, dans sa chambre, chez sa mère. À partir de là, l’établissement se replie derrière l’argument que les faits se seraient déroulés en dehors des murs du lycée. « La CPE m’a assuré que le lycée allait tout faire pour que ça aille mieux pour moi. Elle m’a dit qu’elle allait convoquer Thibaud. Mais il n’a jamais été convoqué. Et il était toujours là, comme si de rien n’était. Je n’arrivais plus à venir au lycée. C’était impossible. J’ai dû me barrer. »

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Sauf que, comme pour Chloé, la réputation de « violée » lui colle à la peau et atteint rapidement son nouveau lycée, plus exigeant que le précédent. Elle tombe en dépression, ses notes s’effondrent, la direction ferme les yeux et tente même de la faire changer d’établissement, du fait de ses mauvais résultats. Elle tente de se suicider puis est internée trois semaines à l’hôpital Necker. À sa sortie, elle décide de quitter Paris pour aller étudier à Angers.

Là-bas, de « la violée », elle redevient « une élève » comme une autre. « Recommencer tout à zéro, c’était incroyable. Personne n’était au courant, j’ai adoré, c’était le renouveau pour moi », confie-t-elle, sans que sa rancœur à l’égard de l’Éducation nationale ne se soit atténuée d’un iota. « J’ai été abandonnée. Ils n’ont rien foutu, tout simplement. »

Consentement et limites

À un âge où la réputation joue un rôle primordial et où les réseaux sociaux font effet de boule de neige, cette non-reconnaissance de leur agression est vécue très violemment par les victimes. Comme une remise en cause de leur parole. « Pour les gens, si l’agresseur est toujours là, c’est qu’il est innocent. Et donc que j’ai menti », confirme Chloé.

Pour l’avocate Anne Bouillon, ces violences au sein des couples doivent être replacées dans les rapports entre lycéens, « très empreints de culture patriarcale. » « La consommation excessive de pornographie et les réseaux sociaux perpétuent une vision de la femme qui n’est pas totalement possédée par celle qui l’habite », analyse-t-elle. L’avocate raconte ainsi recevoir « beaucoup de jeunes filles qui n’ont pas donné leur consentement ».

En entretien individuel, les garçons semblent pourtant bien connaître les limites. 

S. Amici

« Le scénario classique, c’est une fin de soirée avec de l’alcool. Certaines s’endorment et ne sont plus en état de faire valoir la moindre opposition. Ce genre de situations, j’en ai des pelletées tous les lundis matin. Et, à chaque fois, les plaintes sont classées sans suite », souffle-t-elle. De son côté, Sylvie Amici note l’influence du groupe sur les pratiques individuelles. « Il y a des formes d’adhésion poussive aux normes de genre, estime-t-elle. Pourtant, en entretien individuel, les garçons semblent bien connaître les limites. »

Savoir bien identifier ces limites, c’est tout l’enjeu de la « vidéo du thé », qui a fait fureur sur Internet et qu’évoquent plusieurs professeurs interrogés. Devant des bonshommes dessinés, un homme explique toutes les situations où il faut comprendre que la personne ne veut pas boire du thé. Cette représentation, simpliste, a le mérite de renvoyer vers les différents degrés du consentement à une pratique sexuelle : du oui franc au non catégorique en passant par l’absence de réponse.

Un nuancier qui fait écho à l’analyse de Yaëlle Amsellem-Mainguy et Arthur Vuattoux. Dans leurs entretiens, les deux sociologues ont observé cinq variations où « la question du consentement est centrale et souvent non verbalisée » : « Les rapports sexuels souhaités (à l’initiative d’ego), acceptés (sur proposition du/de la partenaire), cédés après insistance ou pression sociale (“pour faire plaisir”, “pour ne pas s’embrouiller”, “c’est normal”), influencés (notamment par des produits psychoactifs) et forcés (les “vrais viols”). »

À l’école primaire, on doit apprendre le respect de l’intégrité du corps.

G. Attal

Une graduation nécessaire et urgente, tant les masculinités à l’œuvre au lycée peuvent être violentes. Et ce ne sont pas les seules 2 minutes 53 de la vidéo du thé qui vont bousculer ces attitudes. En juin 2023, l’ex-ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, avait annoncé un « plan de formation ambitieux » à destination de « tous les personnels ». Le Conseil supérieur des programmes avait été saisi pour qu’il élabore « d’ici novembre », et « pour chaque niveau d’enseignement, une proposition de programme précisant les thèmes et les notions qui devront être abordés ».

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Tout juste nommé Premier ministre, Gabriel Attal a annoncé avoir reçu une proposition de programme qui « s’appliquera dès la rentrée prochaine ». «À l’école primaire, on doit apprendre le respect de l’intégrité du corps, qu’on ne peut pas atteindre à l’intégrité du corps, que, si c’est le cas, ce sont des violences et qu’il faut les signaler. Sur l’éducation sexuelle en tant que telle, ça doit venir au collège et au lycée », a-t-il ajouté. À voir, désormais, si ce programme sera réellement appliqué cette fois. Car le chantier est immense, et, pour l’instant, largement invisibilisé.

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