En Iran, face à la terreur des mollahs, les femmes résistent
En cette journée internationale des droits des femmes, elles sont le visage du combat pour la liberté. Grandes opprimées de la République islamique, les femmes iraniennes continuent de jouer un rôle décisif dans la révolution en cours. Politis raconte ce combat par la voix de deux résistantes.
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Autour des polémiques du 8 mars « Les métiers les plus féminisés sont toujours les plus précaires » Droit à l’IVG : en Europe, une âpre révolution féministe « Il ne faut pas de ‘en même temps’ pour l’égalité femmes-hommes »En Iran, la discrimination des femmes est organisée par des lois misogynes, apparues avec la proclamation de la République Islamique en 1979 par l’ayatollah Khomeiny, « le voleur de la révolution du peuple » comme le surnommaient ses opposants. Le régime religieux des mollahs a entraîné une fuite en avant liberticide pour la population féminine : interdiction de se déplacer sans l’accord du mari, filières d’études non accessibles, témoignage juridique dévalorisé, port du voile obligatoire. Elles sont les premières victimes de la dictature théocratique de Téhéran. « Dès qu’elles sortent dans la rue seules, elles ont peur. Ceci est la réalité de chaque femme iranienne », témoigne, auprès de Politis, Azadeh Alemi, opposante aux mollahs.
« Ce sont les femmes qui vont vous renverser »
Malgré la terreur perpétrée par le pouvoir, le meurtre de Masha Amini le 22 septembre 2022 par la police des mœurs avait déclenché des révoltes sans précédent dans le pays. Alors que l’Iran est dans une grande détresse sociale et économique, c’est l’étincelle qui met le feu à la poudrière. Le slogan, « Femme, Vie, Liberté », résonne dans toutes les grandes villes d’Iran. Avec courage, des femmes brûlent leur voile, se coupent les cheveux, dansent et manifestent avec la population sans peur des forces de répression.
Le rapport annuel 2024 de la Commission des femmes, le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) présidé par Maryam Radjavi, affirme que les femmes ont été confrontées à une escalade de répression par rapport à l’année dernière. Mais pour Azadeh Alemi, « la résistance est alimentée à chaque fois que le régime opprime de nouveau ».
« Ce qui se passe aujourd’hui est le résultat de toute notre histoire », analyse Massoumeh Raouf, écrivaine et résistante de la diaspora iranienne. La révolution gronde. Malgré les 834 exécutions ordonnées en 2023, le peuple continue de s’organiser contre le régime dictatorial. « Dans cette atmosphère, c’est important d’avoir un esprit de résistance. On peut supporter tous les supplices, on ne se sent pas seule, comme le maillon d’une chaîne. La résistance est enracinée dans le peuple iranien et se transmet de génération en génération », détaille Massoumeh Raouf.
Les femmes se sont positionnées à l’avant-garde de la résistance contre le régime dictatorial.
A. Alemi
Soutenues par l’ensemble de la société, « les femmes se sont positionnées à l’avant-garde de la résistance contre le régime dictatorial. Elles sont la force et le moteur de la révolution », affirme Azadeh Alemi. Discrète et souterraine, la révolution est menée par les moudjahidines du peuple, des unités de résistance créées en opposition à la République islamique et dirigées hégémoniquement par des femmes. « Les moudjahidines du peuple ont une base populaire et sont soutenues par toute la société iranienne » souligne Azadeh Alemi.
« Le message envoyé aux mollahs est clair : ce sont les femmes, celles à qui vous ne donnez aucun droit, qui vont mettre un terme à votre dictature sanguinaire. C’est tout à fait normal que les femmes soient à l’avant-garde des révoltes et de la résistance iranienne. Il faut être à l’opposé du régime pour le combattre. C’est pour ça qu’elles doivent être les leaders de la révolution », détaille Azadeh Alemi.
« Être résistant, c’est subir les pires atrocités »
Le peuple d’Iran est continuellement exposé à la peur, toute expression libre étant réprimée violemment. Depuis des décennies, le régime torture, emprisonne et exécute quiconque s’oppose à lui. Massoumeh Raouf, autrice du livre Évasion de la prison d’Iran, a subi ce traitement. En 1981, alors qu’elle récoltait des témoignages sur les martyrs de la manifestation du 20 juin 1981 pour un journal d’opposition Moudjahid, elle est arrêtée. Forcée de monter dans une voiture, elle est rouée de coups au visage avant de subir un violent interrogatoire.
« J’étais attachée à une chaise, mes mains étaient liées et mes yeux bandés. J’étais entourée d’hommes, ils me frappaient à tour de rôle et m’ont fait perdre une partie de mes dents. Ils ont fouetté mon dos et m’ont demandé des informations sur les moudjahidines du peuple. J’ai été torturée, j’ai résisté, je n’ai rien avoué. Pourtant, les mollahs m’ont condamnée à 20 ans de prison. Avec les filles de la cellule, nous avons fait un plan et nous avons pu nous échapper 8 mois après mon arrestation ».
Pendant les deux années qui suivent son évasion, Massoumeh Raouf est en cavale. « Je devais changer de ville toutes les semaines. » Des familles n’ont pas hésité à héberger la fugitive malgré les risques : « Les gens qui m’ont protégée savaient ce que j’avais fait, qui j’étais et que le régime était après moi. C’était leur manière à eux de résister. »
Elle voulait libérer le peuple d’Iran et donner un avenir aux jeunes. C’est à cause des mollahs si j’ai grandi sans mère.
A. Alemi
Cette période a été très difficile pour Massoumeh Raouf, alors âgée d’une vingtaine d’années. Elle subissait pressions et tortures psychologiques. « Les mollahs ont dit à mes parents que si je me rendais au régime, ils cesseraient de torturer mon frère. Mais je sais qu’Ahmad n’aurait pas voulu que je me rende. Grâce au réseau de résistance des Moudjahidines, j’ai pu m’exiler dans le Kurdistan irakien puis je suis partie en France. »
Son frère Ahmad, résistant déjà en détention, est accusé de « complicité dans l’évasion » de sa sœur. Durant plusieurs années, Massoumeh n’a aucune nouvelle de lui. Elle apprend en 1988 qu’il a été assassiné lors du massacre des 30 000 prisonniers politiques de la même année. Pas de tombe, pas de corps, juste la douleur de milliers de familles. Elle ne peut s’empêcher de pleurer en parlant de lui : « Je n’ai jamais guéri ». Elle a publié une BD Un petit prince au pays des mollahs pour rendre hommage à son frère cadet Ahmad.
Exil et résistance depuis l’étranger
« Être résistant, c’est subir les pires atrocités. On est éloigné de sa famille, torturé et traqué. Il faut avoir la force de se battre et ne pas perdre espoir face à ce régime sanguinaire », explique Azadeh Alemi. Sa mère, grande résistante, a été emprisonnée plusieurs fois. Les geôliers l’ont violentée devant les yeux de sa fille, Azadeh Alemi. Elle n’avait que six ans lors de son premier interrogatoire. Quand elles se sont enfuies d’Iran, sa mère s’est engagée dans la lutte armée des moudjahidines contre les mollahs depuis l’Irak. Azadeh Alemi s’est exilée en France à l’âge de 11 ans. « Ma mère est restée pour continuer son combat, je ne lui en ai jamais voulu. Elle voulait libérer le peuple d’Iran et donner un avenir aux jeunes. C’est à cause des mollahs si j’ai grandi sans mère ».
Des agents s’immiscent dans vos vies pour donner des informations au régime, on ne sait plus à qui on peut faire confiance.
A. Alemi
Massoumeh Raouf et Azadeh Alemi ont coupé toute communication avec leur famille restée au pays : « C’est très dur de ne plus avoir de liens, mais comme ça, ils n’ont pas de problèmes », indique-t-elle. L’exil forcé est une douleur de plus : « Pour moi, l’exil est une période encore provisoire, mais j’attends que mon pays soit libre et démocratique pour y rentrer. En attendant, je continue à résister depuis la France », explique Massoumeh. Pour Azadeh, l’exil l’a beaucoup chagrinée quand elle était jeune. Aujourd’hui, elle regrette que ses fils ne puissent pas connaître sa terre natale.
Le Parlement européen a demandé en 2023 à ses pays membres de classer les mollahs comme organisation terroriste, sans résultat. Le CNRI a voulu fermer les ambassades d’Iran : « Ce sont des nids d’espions pour le régime, ils organisent des actes terroristes pour supprimer les opposants de la diaspora. À Villepinte en 2018, une bombe ramenée d’Iran par un diplomate devait exploser sous le siège de la présidente du CNRI, Maryam Radjavi. »
Le régime essaye par tous les moyens de faire pression sur les activités des résistantes, même quand elles sont en dehors du pays. « Les mollahs sèment la méfiance. Des agents s’immiscent dans vos vies pour donner des informations au régime, on ne sait plus à qui on peut faire confiance. Je reçois des menaces de mort sur mes fils et des gens viennent devant chez nous », témoigne Azadeh Alemi.
Les jeunes gardent la flamme de la Révolution
« Ils essayent par tous les moyens de faire pression sur nos activités, car la diaspora iranienne relaie la voix de la résistance et la soutient. Ce sont les forces de l’intérieur qui gardent la flamme de la révolution et qui vont renverser le régime tyrannique », affirme Azadeh Alemi. À la télé de la résistance iranienne, la chaîne satellitaire Simay-e Azadi les moudjahidines du peuple montrent leurs activités. Très organisées, ces unités brûlent et détruisent des symboles du régime comme des photos de l’ayatollah, des statues ou des drapeaux. En Iran, ces actions valent la peine de mort. Malgré les arrestations et les exécutions, les gens adhèrent massivement au mouvement et manifestent sous les tirs.
On est fier de cette jeunesse, elle est le résultat de tout le combat du peuple iranien.
M. Raouf
Le peuple qui s’oppose en Iran n’a plus peur, il se tient debout et continue de se battre pour sa liberté. « Dès qu’il se réveille, du matin au soir, un Iranien doit résister pour vivre », raconte Azadeh. La jeune génération est, selon elle, très éveillée et consciente des problèmes, déterminée et lucide sur ce qu’elle veut pour l’avenir. Les jeunes sont très avancés sur l’égalité entre les hommes et les femmes, loin des diktats misogynes des mollahs.
« À bas, à bas le dictateur qu’il soit shah ou mollah » : ce slogan résume la force de vivre face à un régime ne laissant entrevoir aucun avenir, qui pousse les jeunes à risquer leur vie. « J’ai vu avec quel courage les jeunes femmes sont descendues dans la rue. On ne peut rien imposer à cette génération, elle est libre et prête à se battre pour la démocratie », s’enthousiasme Azadeh Alemi.
Grâce aux moyens de communication, la nouvelle génération sait comment contourner les obstacles du régime. Massoumeh Raouf l’affirme : « Il n’arrive pas à contrôler les mentalités, bien que les jeunes aient grandi sous le régime, ils ont créé une contre-culture. On est fier de cette jeunesse, elle est le résultat de tout le combat du peuple iranien ». Cette quête de liberté, profondément enracinée dans la lutte des femmes, s’est étendue à toute une société qui en paie le prix du sang. Tant que le régime sera debout, les Iraniennes continueront de se battre. Le désir de vivre dignement est plus fort que la peur de mourir en résistantes.
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