« Les métiers les plus féminisés sont toujours les plus précaires »
Dans le cortège parisien de ce 8 mars, de nombreuses manifestantes en grève ont pointé du doigt les différentes inégalités qu’elles subissent au travail, réclamant une « égalité réelle entre les femmes et les hommes. »
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Autour des polémiques du 8 mars En Iran, face à la terreur des mollahs, les femmes résistent Droit à l’IVG : en Europe, une âpre révolution féministe « Il ne faut pas de ‘en même temps’ pour l’égalité femmes-hommes »Maëva a tronqué sa veste bleu et jaune de factrice pour une tenue toute choisie, en cette journée internationale des droits des femmes. Bandana, écharpe, pancarte flanquée du hashtag #GrèveFéministe : elle est toute de violet vêtue. « Je fais toujours grève le 8 mars. C’est très important pour moi ! Il faut montrer qu’on se bat, qu’on ne se laisse pas faire », lance-t-elle. De son équipe de six personnes, elle est la seule, aujourd’hui, à ne pas travailler.
Alors que pour la première fois, cinq organisations syndicales – la CFDT, la CGT, Solidaires, l’Unsa et la FSU – ont appelé à faire grève ce 8 mars, de nombreuses salariées ont pointé, dans le cortège parisien, les inégalités salariales, le sexisme au travail, les discriminations liées aux femmes en congés maternité et les carrières gelées par leurs collègues masculins. « Je ne comprends pas qu’en 2024, on arrive encore à ce chiffre de 28 % de différence entre les salaires des hommes et des femmes », souffle Maëva.
Des conditions qui ne facilitent pas, non plus, la possibilité de faire grève. Comme d’autres manifestantes présentes, Isabelle a dû poser un congé pour venir à la manifestation. « J’ai dû prendre mon après-midi, parce que dans l’organisation intergouvernementale où je travaille, c’est quasi-impossible de faire grève » s’indigne-t-elle.
Marie, aide-soignante, et Rita, auxiliaire de puériculture, confirment aussi ces entraves au droit de grève. La direction de leur établissement parisien n’était pas très enthousiaste quand elles leur ont informé de leur démarche. « Ils ont dit que c’était compliqué, que les services sont en flux tendu. Mais c’est un droit, donc on le prend », affirme Rita. « C’est une journée importante pour les femmes. Ils ne devraient même pas commenter ! », poursuit Marie.
« Deux-tiers des salariées au SMIC sont des femmes. Tu te rends compte ? »
Ces réactions, Cindy les a aussi entendues, mais de la part de parents : elle travaille dans la petite enfance en région parisienne. « Comme ils doivent s’organiser pour faire garder leurs enfants, ça bouscule leur agenda. Si certains comprennent, d’autres en revanche disent que la grève ne mène jamais à rien. » Et de faire ce constat, amer : « Les métiers les plus féminisés sont toujours les plus précaires. » Plus loin, une militante insoumise lit un tract à sa collègue : « Deux-tiers des salariées au SMIC sont des femmes. Tu te rends compte ? » « Et pendant ce temps-là, Emmanuel Macron se pavane place Vendôme ! », lui répond son amie.
Plus tôt dans la matinée, le chef de l’État célébrait l’inscription dans la Constitution de la « liberté garantie » d’accéder à l’IVG. « Il ne faudrait pas que le président reste sur cette bonne nouvelle pour mieux oublier toutes nos autres revendications », pointe Anaïs, qui travaille dans une association féministe.
Au-delà des inégalités salariales, la question des congés maternité est beaucoup avancée par les manifestantes. « Les femmes sont tout de suite stigmatisées : soit on leur reproche leur congé maternité, soit on leur refuse de les mettre à 80 % », pointe Rita. L’auxiliaire de puériculture explique qu’à l’hôpital, « les chefs, quasiment tous des hommes, décident des carrières des femmes alors que c’est un droit ! »
Les chefs, quasiment tous des hommes, décident des carrières des femmes.
Rita
Une gestion patriarcale et sexiste du travail des femmes que dénonce aussi Catherine, dessinatrice-cartographe à l’Institut national de géographie. « Les inégalités sur les congés et le temps partiel pénalisent beaucoup les femmes. Clairement, on passe beaucoup moins facilement dans les échelons supérieurs à cause des hommes qui décident pour nous », grince-t-elle.
Ce sexisme se retrouve aussi dès les premières expériences professionnelles. « Nous devons trouver des alternatives pour nous protéger », confient deux étudiantes. Stickers « Lutte contre les VSS » collés sur leurs vestes , elles racontent les différentes techniques qu’elles adoptent pour ne pas subir des violences sexuelles et sexistes sur leur futur lieu de stage.
« Sur un chantier archéologique je préfère dormir loin du campement, comme de nombreuses filles, confesse Juliette, 19 ans, il y a souvent eu des cas d’agressions sexuelles sur le terrain ». Au moment de sa rentrée, Mathilde se rappelle : « Dès le premier jour, nous avons eu une intervention de prévention d’éventuelles agressions sexistes et sexuelles ”. “Ça annonce la couleur », ajoute-t-elle, perplexe.
Avec sa pancarte « IVG – droit fondamental », Paola s’indigne que « les plus hauts postes soient occupés par des hommes ». Un déséquilibre qu’elle observe dans son entreprise luttant pourtant « pour l’égalité entre les sexes ». Dans une atmosphère bon enfant rythmée par un remix CGT de « Résiste » par France Gall, Sara et Hoang Thi, deux salariées de l’APHP pointent des difficultés à prendre la parole « car la hiérarchie est majoritairement occupée par des hommes. »
À ce sexisme s’ajoutent des discriminations racistes. Pour Hoang Thi, certains de ses collègues peuvent avoir des préjugés à son encontre. « Il faut lutter de manière intersectionnelle contre un système global d’oppression et de domination » insiste-t-elle. Un message qui rappelle le caractère international du 8 mars.
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