Agriculteur, livreur ubérisé, salarié : même combat !
Tous représentent la variable d’ajustement en bout de chaîne, permettant aux industriels et aux grands distributeurs de réaliser leurs marges.
dans l’hebdo N° 1800 Acheter ce numéro
Lors de son séminaire télévisé à peine improvisé au Salon de l’agriculture, le président de la République pensait avoir fait montre de sa capacité à maîtriser les sujets qui fâchent les agriculteurs. À la FNSEA, il déclarait vouloir inscrire dans la loi l’agriculture et l’alimentation comme « intérêt général majeur ». Aux Jeunes Agriculteurs, il accordait un droit à l’erreur en cas d’infraction aux normes environnementales.
À la Coordination rurale, il promettait d’intervenir auprès des banques pour octroyer des facilités de trésorerie. À la Confédération paysanne, il concédait la négociation de prix planchers à même de garantir le revenu des producteurs dans leur négociation avec l’industrie agroalimentaire et la grande distribution. Il s’admirait enfin dans une hypothétique clause miroir, absente des accords de libre-échange, présentés comme vitaux pour notre production agricole excédentaire destinée à l’exportation.
Emmanuel Macron aurait également pu évoquer la célèbre controverse du taux de marge qui a opposé Milton Friedman à des économistes hétérodoxes. La fable libérale raconte en effet que si les entreprises maximisent leur profit, le profit pur tend vers zéro lorsque les marchés sont à l’équilibre, en raison de la concurrence entre les capitaux qui fait tendre les prix à la baisse. Or cela n’est pas le cas dans la vraie vie, où les industriels de l’agroalimentaire et les distributeurs disposent d’un pouvoir de marché leur permettant de fixer des prix afin de dégager un certain taux de marge.
Les industriels de l’agroalimentaire et les distributeurs disposent d’un pouvoir de marché leur permettant de fixer des prix.
Pour atteindre leurs objectifs, ils exercent alors une pression à la baisse sur les prix des produits qu’ils se procurent auprès des agriculteurs. Ils prétendent ainsi satisfaire le consommateur, dont le pouvoir d’achat est lui-même tributaire de la modération salariale, généralisée dans un capitalisme financier intégralement bandé en faveur de la création de valeur pour l’actionnaire.
S’apparentant à un travailleur indépendant, l’agriculteur de la petite exploitation partage donc le même combat que le livreur ubérisé ou le salarié de l’entreprise financiarisée. Il représente la variable d’ajustement en bout de chaîne, permettant à l’industriel et au grand distributeur de réaliser leurs marges. Des prix planchers garantiraient-ils le revenu des agriculteurs ? Ils s’avéreraient assurément inflationnistes dès lors que les industriels et les distributeurs restent en mesure de les répercuter sur leurs prix.
Dans l’ensemble de l’économie, comme les salaires ne sont plus indexés sur les prix, une baisse de la consommation de produits hexagonaux s’ensuivrait, similaire à celle qui affecte les produits bio. Aussi bienvenues soient-elles, des mesures protectionnistes n’y changeraient rien, tant que le taux de marge moyen dans l’ensemble de l’économie culmine deux points au-dessus de ce qu’il était lorsque prévalait le plein-emploi (il y a déjà un demi-siècle), soit, de nos jours, 56 milliards échappant au revenu des salariés et des paysans.
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.
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