Assurance-chômage : « C’est la réforme de trop ! »

Gabriel Attal a annoncé vouloir – encore – réformer l’assurance-chômage. C’est la troisième fois en six ans. Un choix injustifié pour Michaël Zemmour, professeur d’économie à l’université Lyon 2, pour lequel cette réforme constitue un acharnement vis-à-vis des personnes privées d’emploi.

Pierre Jequier-Zalc  • 29 mars 2024 libéré
Assurance-chômage : « C’est la réforme de trop ! »
© Maxime Sirvins

Le système français de protection sociale, Jean-Claude Barbier, Michaël Zemmour, Bruno Théret, éditions La Découverte (2021).

Michaël Zemmour est professeur d’économie à l’université Lyon 2. Ses travaux portent sur l’économie politique du financement de l’État social. Il est l’un des coauteurs du livre Le système français de protection sociale, à La Découverte. Lors de la réforme des retraites, il avait notamment mis au jour le mensonge du gouvernement sur la revalorisation des pensions à 1200 euros.

Gabriel Attal a annoncé vouloir lancer une nouvelle réforme de l’assurance-chômage. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Michaël Zemmour : Il y a un acharnement et une incohérence. Un acharnement parce que rien ne justifie cette obsession. Financièrement, l’assurance-chômage se porte bien, elle n’est pas à l’origine du déficit public. En plus de cela, on n’a aucune raison de penser que cette nouvelle réforme produira de bons résultats économiques, notamment sur la réduction du chômage. C’est aussi une incohérence parce que si l’on enchaîne trois réformes en si peu de temps, c’est que les précédentes n’étaient pas bonnes. En l’occurrence, je pense qu’elles n’étaient pas bonnes mais elles n’ont pas été évaluées, donc on n’en voit même pas les effets.

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Mediapart a révélé que les propres services du ministère du Travail ne jugent pas opportun de faire une nouvelle réforme, rappelant, entre autres, que la dernière n’a pas encore pu être évaluée. Incohérence aussi puisque la dernière réforme raccourcissait la durée d’indemnisation avec un argument, douteux économiquement, mais qui avait le mérite d’exister et qui consistait à dire : puisque le chômage baisse, on raccourcit la durée d’indemnisation. Et on fera l’inverse quand le chômage augmentera. Or, en ce moment, le chômage augmente et ils veulent encore raccourcir la durée d’indemnisation.

Comment expliquer cet acharnement ?

Il y a plusieurs pistes d’explication. Il y a clairement une volonté de mettre sous pression le marché du travail dans son ensemble, et pas uniquement les chômeurs. On sait que plus on dégrade les conditions d’indemnisation du chômage, plus on dégrade les conditions de négociation d’embauche et de salaire. C’est un signal envoyé aux personnes au chômage pour que, lorsqu’elles retrouvent un emploi, elles ne soient pas trop exigeantes sur les conditions de travail et le salaire. Mais c’est aussi un signal pour les salariés en poste. C’est une manière de dire : vous êtes de moins en moins protégés si vous perdez votre boulot. Donc si vous êtes trop revendicatif, si vous avez une rupture conventionnelle, vous avez d’autant plus à perdre.

Il y a clairement une volonté de mettre sous pression le marché du travail dans son ensemble.

Il y a une seconde raison qu’on avait déjà vu avec la réforme des retraites. Le gouvernement a créé un déficit avec de nombreuses baisses d’impôts pour les classes moyennes, pour les riches et les entreprises. Donc il veut se servir des budgets sociaux comme caisse de compensation. Ainsi, il diminue les protections retraite, les protections chômage comme une source d’économie facile. Alors même que le chômage représente un tout petit budget par rapport aux dépenses publiques – environ 45 milliards par an – et qu’il n’est pas en déficit. Il y a déjà eu six milliards d’économie réalisée avec les deux premières réformes.

Le gouvernement répète cette idée que l’inactivité paierait, parfois, mieux que le travail. C’est d’ailleurs une de leur justification économique majeure. Est-ce vrai ?

Non, c’est faux, et plusieurs études le montrent. Il y a une étude de France Stratégie d’avant le covid qui étudie le cas pour les personnes aux minima sociaux. Cela concerne aussi les chômeurs, parce que moins de la moitié d’entre eux touchent des allocations-chômage. Or, cette étude montre que, dans tous les cas, la reprise d’emploi, même à temps partiel, améliore le revenu. En revanche, elle souligne que la reprise d’un travail ne permet pas forcément de sortir de la pauvreté.

Et c’est pareil pour les indemnités chômage. Aujourd’hui, la loi dit qu’on ne peut pas toucher plus de 75 % de son salaire brut de référence. Donc, forcément, le chômage paie moins que le travail. Sauf si l’idée que le gouvernement a en tête – et il faudrait qu’il l’explicite, dans ce cas – c’est dire qu’un cadre au chômage vit mieux que s’il était au Smic et qu’il faut arrêter cela.

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Le fait de dire qu’on vit mieux en ne travaillant pas alimente une théorie du chômage volontaire qui ne correspond pas à la réalité du marché du travail. Aujourd’hui, il y a plein de raisons pour lesquelles il y a du chômage. La première étant le rythme de l’activité économique. D’ailleurs, on voit bien que quand la conjoncture s’améliore, le chômage baisse et quand elle ralentit, il augmente. Mais le montant des allocations-chômage ne fait pas du tout partie des raisons principales. Dire qu’il y aurait des gens qui font un calcul en se disant « Je suis mieux au chômage qu’en travaillant », c’est effectivement très politique. Et populiste.

Si on n’a pas de recul sur les précédentes réformes de l’assurance-chômage, les aides aux entreprises ont fait l’objet d’études. Que nous enseignent-elles ?  

En effet, on dispose d’évaluations sur les aides aux entreprises qui montrent que, a minima, on a été trop loin. C’est-à-dire que c’est trop cher pour l’effet qu’on en retire en matière d’emploi et de compétitivité. En revanche, quand il s’agit des politiques sociales, et en particulier du chômage, on fait des politiques extrêmement dures, sans évaluation et on en rajoute, encore et encore. Donc il y a une asymétrie entre une empathie pour les entreprises et, une absence totale d’empathie et de considération pour chômeurs.

En France, une personne sur trois au chômage vit sous le seuil de pauvreté.

Car, il faut le rappeler, avec ces réformes, on dégrade le niveau de vie des personnes au chômage et de leur famille. En France, une personne sur trois au chômage vit sous le seuil de pauvreté et les personnes pauvres ont des enfants. Il y a 20 % d’enfants qui vivent sous le seuil de pauvreté. De ce point de vue là, les réformes du gouvernement sont dangereuses socialement. Et à ce titre, j’ai le sentiment que cette réforme, c’est la réforme de trop !

Le Premier ministre ne cesse de rappeler son respect du « dialogue social ». Les organisations syndicales ne courent-elles pas, elles aussi, un vrai risque avec cette réforme ?

Les syndicats sont un peu épuisés par les précédentes réformes contre lesquelles ils se sont fortement battus. Là, j’ai la sensation qu’on arrive à un moment où leurs arguments sont en train de percer. Mais, effectivement, il y a un vrai enjeu organisationnel pour eux. Ce sont eux, historiquement, avec le patronat, qui gèrent l’assurance-chômage. Et cela fonctionne plutôt pas mal. Oui, l’assurance-chômage a une dette, mais elle est supportée par elle-même et pas par l’État.

Michaël Zemmour
« Le fait de dire qu’on vit mieux en ne travaillant pas alimente une théorie du chômage volontaire qui ne correspond pas à la réalité du marché du travail. » (Photo : Maxime Sirvins.)

Sauf que depuis 2018, l’État truque le jeu de la démocratie sociale en donnant systématiquement aux partenaires sociaux des feuilles de route intenables qui feront échouer la négociation. C’est donc faussé d’entrée. Ensuite, il utilise un artifice juridique disant que la négociation est en carence et donc qu’il reprend la main. Alors, il prend des décisions que jamais les partenaires sociaux n’ont formulées. Des réformes très dures dont on se sert pour récupérer de l’argent. C’est ce petit jeu qui dure depuis 2018.

Le gouvernement pourrait-il mettre fin au paritarisme ?

C’est pour l’instant, la dernière étape qui n’a pas été franchie. Le gouvernement souhaiterait étatiser complètement l’assurance-chômage. Bruno Le Maire a dit qu’il y était favorable. C’était d’ailleurs évoqué dans le programme d’Emmanuel Macron. Et ça, c’est une volonté non seulement de diminuer les protections collectives, mais aussi de raser les corps intermédiaires et la démocratie sociale. Le gouvernement fait des politiques sociales sur des sujets gouvernés par les syndicats, en les faisant contre eux et sans même chercher à nouer un compromis.

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Il y a un vrai tournant autoritaire de la politique économique et sociale du côté du gouvernement. C’est préoccupant parce que, pour les partenaires sociaux, l’assurance-chômage c’est d’abord une sécurité pour les salariés. Alors que pour le gouvernement, l’assurance-chômage est un tableau de bord pour faire la carotte et le bâton – surtout le bâton – sur les demandeurs d’emploi. En plus, une étatisation affaiblirait fortement les partenaires sociaux. Il y aurait le président et le peuple, sans rien entre les deux. C’est une relation très verticale qui est dangereuse, d’autant plus avec le risque de voir l’extrême droite arriver au pouvoir.

Le gouvernement veut s’attaquer fortement aux dépenses, notamment sociales. L’argument souvent avancé est qu’on aurait le modèle social le plus protecteur du monde. Est-ce vrai ?

La principale différence entre la France et les autres pays ce sont surtout les retraites. On a des retraites un peu plus protectrices et un peu plus égalitaires. Mais ça s’explique aussi puisque dans les autres pays, une part de la retraite est assumée par des fonds privés. Ce qu’on ne cotise pas, on le met dans des fonds de pension. Ce qui est vrai c’est qu’en France, avec l’école, la santé et les retraites, on a fait le choix de socialiser des fonctions qui dans d’autres pays sont privatisées. Donc quand vous vivez en France, vous n’avez pas forcément un salaire net très élevé, mais vous n’avez pas à mettre de côté ou payer très cher une assurance privée pour votre santé, l’école privée de vos enfants et leurs études futures. Ce choix de la socialisation est plutôt efficace et égalitaire.

Plutôt ?

On peut se demander si le sous-financement des services publics – école, santé… – n’est pas en train de mettre en crise quelque chose qui marchait plutôt bien. Le plus préoccupant aujourd’hui, ce sont les difficultés de recrutement dans l’éducation, dans la santé, qui traduisent de vrais dysfonctionnements. Dans une période de faible croissance, si on veut permettre à ce modèle de se développer et de faire face aux enjeux qu’on a, sur l’écologie, l’éducation, la santé, peut-être que cela implique d’augmenter les prélèvements obligatoires, sur les entreprises mais aussi sur les ménages. D’un autre côté, effectivement que cela peut jouer sur le pouvoir d’achat, mais ce qui est garanti collectivement, on n’a pas à se le payer de manière privée. Donc il y a vraiment deux pistes et là, c’est un choix de société.

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Taxer plus les riches, et notamment les ultrariches, ne peut pas permettre de faire tenir ce modèle ?

Je pense que c’est important de taxer les riches, surtout en ce moment. Il y a vraiment des marges de manœuvre budgétaire de ce côté-là. Mais je pense aussi que ce n’est pas la réponse à tout, notamment quand on parle du modèle social. Historiquement, il y a toujours eu une contribution du profit au fonctionnement collectif, mais le modèle social a toujours essentiellement été financé par les ménages. Par les salariés, pour les salariés. Donc si on a des besoins qui augmentent, ça passera aussi par une mise en commun des ménages, avec une augmentation des impôts pour certains d’entre eux. Il faut ainsi rappeler qu’il y a des taux d’épargne élevés.

Michaël Zemmour
« Le modèle social a toujours essentiellement été financé par les ménages. Par les salariés, pour les salariés. Donc si on a des besoins qui augmentent, ça passera aussi par une mise en commun des ménages. » (Photo : Maxime Sirvins.)

Dans les discours économiques, la croissance reste une boussole. Le tout, dans une période où le réchauffement climatique nous interroge sur la nécessité de toujours produire plus. Ne faudrait-il pas, peut-être, questionner la place de la croissance dans nos politiques publiques et, donc, de repenser la place du travail dans la société ?

Je n’ai pas du tout de réponse certaine sur la question de la croissance, mais il faut vraiment se la poser. La croissance qu’on a eue dans les années 70 avait des propriétés économiques importantes. Elle permettait à la fois d’augmenter les salaires et les profits et en même temps de financer des protections collectives. Cela crée une forme de régime d’équilibre. Mais, quand on regarde les statistiques économiques des dernières années et quand on prend en compte les enjeux de la transition écologique, il est fort possible qu’il ne faille plus compter à l’avenir sur cette croissance.

Si on doit envisager un avenir avec une croissance faible ou nulle, cela demande des réorganisations.

Je dis « fort possible » parce qu’on ne peut pas exclure que, demain, il existe des sources de création de richesse qui soient non polluantes et que la croissance revienne. Je ne l’exclus pas, mais je ne pense pas que ce soit le plus probable. Donc ce serait sérieux de se demander comment va fonctionner notre économie dans un monde avec une croissance faible, voire nulle car cela pose plein de problèmes en termes d’emploi, de chômage, de répartition des ressources, etc.

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Cette réorganisation sociale passe forcément par une réorganisation des conditions de la production. Combien de temps on travaille ? Qu’est-ce qu’on produit ? Ce sont des choix politiques. Mais, clairement, on est dans une société qui est organisée autour de la croissance. C’est d’ailleurs pour ça qu’on a des difficultés. On a gardé cette organisation alors que la croissance n’est plus là. Donc, si on doit envisager un avenir avec une croissance faible ou nulle, cela demande des réorganisations, y compris du travail.

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