Avec la VIe République, les unionistes veulent maintenir ce qu’il reste de la Nupes
Une petite bande de députés s’investissent sur le sujet de la démocratisation de notre régime politique. Une campagne parallèle ayant l’objectif de maintenir les canaux de communication entre partis et de poser la première pierre pour 2027.
La gauche vit dans plusieurs univers à la fois. Depuis quelques jours, deux campagnes sont menées en parallèle. D’un côté, les partis de gauche, tous divisés, qui se disputent à peu près le même électorat pour espérer faire le meilleur score possible pour les européennes de juin. De l’autre, les députés les plus « unionistes » de la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (Nupes) qui tentent de maintenir, tant bien que mal, les liens entre les formations.
Cette bande essaie de convaincre le petit monde de la gauche que l’unité est la seule solution pour accéder au pouvoir en 2027. Et elle sort une de ses cartes maîtresses : la VIe République. « L’idée est de mener un travail de fond sur la question démocratique. Nous en sommes à un moment d’épuisement républicain, de “lepénisation” du débat public, de défiance des institutions, de perte de sens démocratique…, énumère le député Génération.s (groupe Écologiste Nupes) Benjamin Lucas. Nous devons répondre aux attaques des macronistes qui répètent depuis 2022 que nous sommes en dehors de l’arc républicain alors qu’ils construisent un pont avec l’extrême droite. »
Crise démocratique
Une série de petites initiatives émergent. Le samedi 23 mars à l’Assemblée nationale, Benjamin Lucas organise un colloque au titre évocateur : « La République en burn out ». Deux jours plus tard, un meeting commun se tient à Domène (Isère). Le socialiste Boris Vallaud, la communiste Elsa Faucillon, la frondeuse insoumise Raquel Garrido et les écologistes Jérémie Iordanoff et Cyrielle Chatelain se succèdent à la tribune pour répondre à une question pour le moins vertigineuse : « Comment résoudre la crise démocratique ».
« On ne doit pas observer de loin ce gouvernement qui fait des réformes qui engagent des générations en marchant sur la population, les organisations syndicales et associatives, et notre Parlement, explique Boris Vallaud, en référence à la réforme des retraites. La pratique d’Emmanuel Macron est, dans le fond, assez populiste. Il recherche le lien direct avec la population avec les grands débats ou son show dans les couloirs du Salon de l’agriculture. »
Macron utilise le 49.3, sa dernière arme. Et à chaque 49.3, la gauche a un réflexe unitaire.
B. Lucas
Le 4 avril, lors de la journée d’initiative parlementaire des écologistes, Jérémie Iordanoff portera un texte proposant la suppression du 49.3, un article tordant le bras au débat législatif, et la modification de l’article 49.1, réécrit de sorte que le Premier ministre aurait l’obligation d’engager la responsabilité de son gouvernement sur son programme.
« La concentration du pouvoir dans les mains du Président crée un déséquilibre entre l’exécutif et le législatif et une défiance des citoyens envers les institutions. Il y a un consensus dans la société pour dire que le 49.3 est inacceptable », développe l’écolo, favorable aussi à la proportionnelle intégrale à l’Assemblée et à la déconnexion entre la présidentielle et les législatives.
(Seul ?) signal unitaire
Au sein de cette bande, on affirme que l’intergroupe parlementaire sur la VIe République, lancé par Raquel Garrido, est toujours en état de marche au sein d’une Nupes en pause pour une période indéterminée. Peut-être est-ce même aujourd’hui le seul signal d’unité à gauche ? « Un certain nombre d’entre nous avons décidé de ne pas se perdre de vue », dit un unioniste.
« La question des institutions nous unit. On est tous conscients qu’il faut un changement de régime, assure Benjamin Lucas. Et le symbole du 49.3 est très lié à l’histoire de la Nupes. En 2022, Emmanuel Macron n’arrive pas à avoir une majorité absolue et se retrouve face à une majorité relative. Puisqu’il n’arrive pas à faire voter ses textes, Macron utilise le 49.3, sa dernière arme. Et à chaque 49.3, la gauche a un réflexe unitaire. »
Mais certains assument voir plus loin. « Toute la gauche doit continuer la bataille des idées, quelles que soient les petites péripéties des alliances, des accords ou non pour des élections, annonce le député écolo Jérémie Iordanoff. On doit tous travailler pour que la gauche puisse gagner ce combat culturel en 2027. Donc bien sûr que ces réflexions sur la Constitution pourront alimenter les questions programmatiques pour la prochaine présidentielle. »
Toute la gauche doit continuer la bataille des idées, quelles que soient les petites péripéties des alliances.
J. Iordanoff
Pousser l’idée d’une nouvelle République pour défendre l’union des gauches ? L’idée peut paraître farfelue, mais elle est très stratégique. Car le sujet de la réforme de nos institutions est peut-être l’une des questions qui crée le plus de consensus entre les appareils. Lors des négociations du programme commun pour les législatives en 2022, tout le monde s’est naturellement converti à l’idée. Dans toutes les formations de gauche, la question est réglée : la réforme des institutions est désormais une priorité programmatique.
Plus étonnant : il est surprenant de voir les frondeurs insoumis et le reste de la Nupes défendre une proposition portée comme un étendard par les insoumis. Dès les années 1990, Jean-Luc Mélenchon, alors au Parti socialiste, utilise l’expression en fondant la « Convention de la VIe République » avec Marie-Noëlle Lienemann et Julien Dray. Mais d’autres mettent en avant des figures différentes qui auraient popularisé l’expression.
« J’ai été à l’école de la 6e avec Montebourg », revendique Boris Vallaud qui a été son conseiller puis son directeur de cabinet au ministère du Redressement productif et de l’Économie entre 2012 et 2014. Avant d’entrer au gouvernement, le chantre du « made in France » parlait de VIe République depuis quelques années déjà. D’autres estiment aussi que Benoît Hamon et Yannick Jadot ont, dès 2016, défendu l’idée.
L’ombre de Jean-Luc Mélenchon
Mais dans l’histoire politique récente, la proposition reste très associée à Jean-Luc Mélenchon au sein de l’imagerie électorale de gauche. La réforme des institutions est un de ses piliers programmatiques en 2017 comme en 2022. En 2017, il rassemble plus de 130 000 personnes sur la place de la Bastille, à Paris, pour une « marche pour la VIe République ». Personne d’autre n’a su faire d’événement avec cette ampleur autour de cette idée.
Les insoumis qui viennent avec nous ne font pas partie des plus mélenchonistes.
En présentant cette mesure comme la première pierre d’un nouveau rassemblement, voudrait-on apaiser les tensions entre le noyau mélenchoniste et le reste de la Nupes ? « Il faut reconnaître que nous ne sommes pas forcément représentatifs de toute la gauche pour le moment. Les insoumis qui viennent avec nous ne font pas partie des plus mélenchonistes de leur propre mouvement », euphémise un unioniste qui fait référence à Raquel Garrido, Alexis Corbière et Danielle Simonnet. En clair, le geste est beau, mais la marche est encore longue.