Aya Nakamura et le pays où la race n’existe pas

Les réactions suscitées par la banderole attaquant la chanteuse peinent à expliquer les références racistes et les persistances de l’idéologie coloniale en France.

Fania Noël  • 14 mars 2024
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Aya Nakamura et le pays où la race n’existe pas
Aya Nakamura lors du festival des Vieilles Charrues, le 18 juillet 2019 à Carhaix-Plouger.
© Loïc Venance / AFP

Face à l’offensive contre l’artiste Aya Nakamura – évoquée pour la cérémonie d’ouverture des JO de Paris – menée par la droite et l’extrême droite, une partie de la gauche et ceux et celles qui se réclament du centre-gauche nous offrent une fois de plus le spectacle de leur incapacité à nommer les choses, trop accrochés à un cadre idéologique qui n’a jamais été à la hauteur de la compréhension de la race comme générateur de la modernité et du contrat racial.

La misogynoir (1) dont est victime Aya Nakamura est éclipsée dans les discours par une focalisation sur la classe ou, pire, en proposant l’État-Nation comme rédemption (Aya, c’est aussi la France). Ces deux positions qui nomment le racisme du bout des lèvres, peinent à expliquer les nombreuses références racistes et symptômes de la persistance de l’idéologie coloniale.

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Sexisme racialisé qui subjugue les femmes noires. Conceptualisé par Trudy et Moira Bailey.

Aya Nakamura est une femme issue des classes populaires, avec ce peuple imaginaire et imaginé, dont l’extrême droite se pose en défenseuse. Sa réussite professionnelle est incontestable et inégalée dans son domaine, validant le mythe méritocratique de la bourgeoisie. C’est parce qu’elle est une femme noire, ayant réussi dans cette catégorie, qu’Aya Nakamura est la cible idéale des identitaires et des bourgeoisies. Il lui est impossible de coller à la représentation nationale car Noire, et elle sera à jamais une parvenue.

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De façon ironique, dans cette période saturée par les discours, ouvrages, récits et autres contenus sur les transfuges de classe, les pourfendeurs de la centralité de l’analyse de classe sur la race n’ont pas recours à ce thème pour défendre Aya Nakamura. Comme je l’explique dans mon ouvrage Et maintenant le pouvoir : Un Horizon politique Afroféministe (Cambourakis), ce qui se trouve au cœur de ces récits est moins la question de l’argent que celle du capital symbolique.

Ce n’est donc pas un hasard si universitaires, écrivains, journalistes et autres professions intellectuelles constituent la majeure partie des personnes qui produisent ces discours. C’est nettement moins le cas des footballeurs millionnaires ou encore des commerciaux avec des salaires annuels à six chiffres. Les transfuges de classe, pour la plupart, permettent de régénérer la petite bourgeoisie. Aya Nakamura, comme les footballeurs de Ligue 1, restera « juste un(e) pauvre qui a de l’argent (2) ».

« Paris, ce n’est pas le marché de Bamako ». Cette banderole raciste déployée contre la chanteuse, commentée, discutée et dénoncée, contient un sous-texte. Il est laissé libre à tout un chacun, dont la majorité du public en accord avec cette phrase – qui n’a jamais mis les pieds à Bamako ou même en Afrique de l’Ouest – d’imaginer le marché de Bamako. Mais Bamako a été et peut appartenir à Paris.

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Une telle banderole traduit la même nostalgie coloniale et raciale présente dans les discours politique et médiatique face aux oppositions contre la Françafrique au Sénegal, Mali ou Burkina Faso. Des discours de la droite et de l’extrême droite allant jusqu’à insinuer qu’une recolonisation ne serait pas un mal, une version plus directe que des discours comme « ne pas perdre l’Afrique », ou la conférence sur le panafricanisme organisée par Emmanuel Macron.

Cette banderole est le territoire de la persistance raciale et du continuum colonial : tout territoire peut être la France, mais les individus perçus comme extensions de certains territoires (y compris les banlieues) ne peuvent être la France. Ils peuvent simplement appartenir à la France, pour être utilisés à sa convenance, pour le pain ou le cirque.

Le gouvernement, qui a jeté Aya Nakamura en pâture, observe le rapport de force du discours public et médiatique.

Aya Makamura se trouve une fois de plus dans l’arène du cirque politico-médiatique (comme Black M à Verdun, ou Medine au Bataclan) du conflit historico-identitaire, jamais résolu et toujours renouvelé, qui caractérise la question raciale et coloniale en France. Le public, les artistes et médias se sont mobilisés pour dénoncer ces attaques. Le silence du gouvernement (qui n’a toujours ni confirmé ni infirmé la présence de l’artiste) est assourdissant.

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Un silence à l’opposé de l’effervescence autour de Depardieu, Polanski et les autres. Emmanuel Macron s’était empressé de défendre Gérard Depardieu : il est moins périlleux de défendre un homme accusé de viols et d’agressions sexuelles, qu’une femme noire, artiste française la plus écoutée du monde, victime de misogynoir et de classisme. Pour le moment, le gouvernement, qui a jeté Aya Nakamura en pâture, observe le rapport de force du discours public et médiatique, notamment de la presse étrangère.

Dans quelques jours, il pourra se féliciter de son ouverture, à moins que l’offensive de ses alliés de droite et extrême droite redouble. Dans ce cas, il passera à autre chose et se vantera d’avoir écouté le peuple. Qui sait, les JO marqueront peut-être le come-back de Michel Sardou ?

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