« Bob Marley : One Love », hagiographie rasta
Reinaldo Marcus Green, donne une image lissée de l’artiste et de ses préoccupations politiques.
dans l’hebdo N° 1800 Acheter ce numéro
Bob Marley : One Love / Reinaldo Marcus Green / 1h47. En salles depuis le 14 février.
Depuis la sortie de Bob Marley, One Love, le film que Reinaldo Marcus Green consacre au musicien, les critiques vont bon train. Déjà auteur d’un biopic consacré au père des joueuses de tennis Venus et Serena Williams, La Méthode Williams (2021), Green a répondu présent à l’appel de la veuve de Marley, Rita, et de son fils, Ziggy, qui attendaient une occasion de raconter leur histoire du musicien de reggae jamaïcain.
Centré sur une période de sa vie, entre 1976 et 1978, pendant laquelle il est victime d’un attentat à Kingston, s’exile à Londres et organise deux concerts pour la paix à la Jamaïque, le film dresse aussi le portrait d’un artiste qui accède à une renommée internationale et projette des concerts en Europe, aux États-Unis et en Afrique.
Bob Marley est dépeint comme un homme presque parfait.
Introduit en salle par un clip approbateur de Ziggy Marley, le biopic ne manque pas de donner une image lissée de l’artiste et de ses préoccupations politiques. Marley y est décrit comme un activiste pacifique, un époux torturé mais aimant et un père dévoué à l’éducation de ses enfants. Dans sa vie, beaucoup est passé sous silence : ses maîtresses, ses enfants nés hors mariage, ses disputes avec des musiciens, ses doutes quant à la nature de son public, aux États-Unis surtout, souvent blanc là où Marley aurait souhaité s’adresser aux Africains-Américains.
Pour camper le musicien, le choix de l’acteur Kingsley Ben-Adir a lui aussi été, à juste titre, pointé du doigt. Un visage bien fade pour incarner un musicien qui, à 20 ans, en paraissait déjà dix de plus et dont les attitudes sur scène s’éloignaient grandement de celles d’un poseur.
Pour décrire ce biopic, le terme « hagiographique » vient évidemment à l’esprit. Bob Marley y est dépeint comme un homme presque parfait, beau et sensible. Ses actions et son message d’amour ont permis la réconciliation dans une Jamaïque déchirée par les gangs et les partis politiques, et son entourage s’apparente, à quelques exceptions près, à une communauté soudée autour de son charisme.
Toutefois, de quel type d’hagiographie parle-t-on lorsque l’on évoque ce film ? Né d’une mère jamaïcaine et d’un père britannique, Bob Marley est un représentant d’une religion forgée à la Jamaïque, le mouvement rasta. Dans le film, c’est Rita qui l’initie à la philosophie du groupe. On y apprend la centralité d’Haïlé Sélassié, empereur d’Éthiopie, considéré comme le messie, les spécificités de la langue rasta, le « I & I », « je et je », qui remplace le nous et insiste sur l’unité des hommes, la mise en avant du lien avec la nature, exemplifié par les cheveux laissés dans le naturel des dreadlocks, la consommation de marijuana, substance qui permet d’accéder à la spiritualité, et le lien des rastas avec le continent africain.
Si One Love aseptise Marley, c’est aussi pour en faire une figure qui peut continuer à diffuser un message religieux.
Dans la meilleure scène du film, Bob Marley compose Exodus, hymne sur le retour en Afrique du peuple de Jah, dieu dans le vocabulaire rasta, exilé dans la Babylone de l’Amérique. Chemin faisant, le biopic montre aussi les relations de Marley avec son maître rasta et inclut même une courte séquence dans laquelle est montré un rituel opéré par ce dernier.
Incarnation
Ainsi, de manière pédagogique et appliquée, le film résume les principaux tenants de l’idéologie rasta en en dressant une sorte de manuel plébiscité par deux de ses représentants, Rita et Ziggy Marley. Dans cet effort, Bob devient à lui seul l’incarnation à l’écran de cette pratique, « son messager en même temps que son message ». À plusieurs reprises, revient dans le récit une image qui entête le musicien. On l’y voit, enfant, courir au milieu d’une forêt en feu vers un homme installé sur un cheval.
Image d’Épinal du Blanc colonisateur, celui-ci incarne d’abord son père inaccessible avant de laisser place à Haïlé Sélassié, qui lui tend la main et l’emmène loin du brasier. Fils de Dieu, Bob Marley, nous dit-on, a été sauvé par le mouvement rasta, et c’est dans cette logique qu’il faut regarder l’entreprise de lissage opérée par le film. Si One Love aseptise Marley, c’est aussi pour en faire une figure qui, au-delà de sa mort, peut continuer à diffuser un message religieux.