Mineures de l’ASE : la prostitution invisible
Le documentaire Comme si j’étais morte, diffusé par France Télévisions, propose une immersion dans un foyer de l’aide sociale à l’enfance et met en lumière la question de la prostitution des mineures.
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C’est une séquence du documentaire Comme si j’étais morte, réalisé par Benjamin Montel, diffusé depuis le 13 mars sur France Télévisions. Alors qu’un éducateur monte le nouveau lit de Lucie, 18 ans, celle-ci lui explique qu’elle a quitté son travail dans une salle de sport parce qu’elle devait se lever tôt et n’y arrivait pas. Sans jugement dans la voix, il lui demande « À quelle heure ? », il reste impassible quand elle répond « 9 heures », et la jeune femme poursuit en expliquant à quel point il est difficile pour elle de gagner en un mois la somme qu’elle empochait en un jour dans la prostitution.
L’éducateur renchérit, toujours avec la même empathie : « C’était de l’argent rapide oui, pas de l’argent facile. » On apprend plus tard dans le film que, depuis un an, Lucie lutte de toutes ses forces, craquant parfois en larmes dans le bureau de la directrice du foyer, pour ne pas retomber dans les bras des prédateurs qui rôdent dans la rue et sur internet. Les hommes sont nombreux à repérer la fragilité de ces jeunes filles qui confondent attention et respect, violence et amour, addiction et plaisir.
Le manque de moyens accordés à ces structures devient criant face à l’urgence de sauver ces enfants confiées à l’État.
Le film bouleversant de Benjamin Montel, qui arrache nos cœurs et retourne nos estomacs, propose une immersion de plusieurs mois dans un foyer de l’aide sociale à l’enfance (ASE). On suit Eva, à peine 14 ans, qui multiplie les fugues et les « ballons » ; une nouvelle pratique en recrudescence chez les plus jeunes qui consiste à inhaler du protoxyde d’azote, autrement appelé « gaz hilarant », et qui a un effet euphorisant.
Eva, mineure, a été filmée à son insu et dans un état second par ses proxénètes qui diffusent les vidéos publiquement sur Snapchat. Il faut voir la patience et le calme des éducateurs qui expliquent à la jeune fille, accompagnée de sa maman, pourquoi il s’agit de viols. Il faut voir comment, enfermée dans des logiques d’emprise, elle trouve des excuses à ceux qui lui font tant de mal et vers qui elle retourne à chaque moment de solitude. Le manque de moyens accordés à ces structures devient criant face à l’urgence de sauver ces enfants confiées à l’État et pour qui nous avons donc une responsabilité collective ; c’est une lutte à la fois contre la pauvreté, l’exclusion sociale et les violences sexistes et sexuelles.
En France, on estime entre 10 000 et 30 000 le nombre de mineures prostituées ; plus de 80 % d’entre elles seraient prises en charge par l’ASE.
Les éducatrices vont parfois jusqu’à chercher les jeunes filles dans les hôtels miteux, où les passes ont lieu, lorsqu’elles manquent à l’appel du soir. Elles leur répètent inlassablement que la porte du foyer restera toujours ouverte. Lucie, sortie donc de l’emprise de son « lover boy » – il est qualifié ainsi dans une séance à huis clos avec une psychologue –, énumère les étapes du piège qui s’est refermé sur elle : protection, présence, séduction, écoute d’abord, puis drogue, violence et sexe.
Le schéma est sensiblement le même à chaque fois : cela commence par l’illusion d’une histoire d’amour, née souvent après quelques messages sur les réseaux sociaux, avant que la manipulation ne devienne du chantage et du proxénétisme. Les lover boys savent utiliser les bons mots, se présentent d’abord sous un angle charmant avec des cadeaux, pour ensuite exploiter le corps de leur victime, qui a perdu toute perception juste de la réalité.
Parmi les jeunes filles qui témoignent, il y a aussi Chloé, l’aînée, la seule des trois qui parle à visage découvert. Elle se reconstruit en réparant ses petites sœurs d’infortune et en mettant en garde celles qui idéalisent la prostitution. En France, on estime entre 10 000 et 30 000 le nombre de mineures prostituées ; plus de 80 % d’entre elles seraient prises en charge par l’ASE. Elles subissent des traumatismes durables qui inquiètent toutes les associations, visiblement pas notre débat public
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