Coupes budgétaires : pourquoi Emmanuel Macron attise la colère sociale avant les européennes
La volonté du président et de Bercy de réduire la dépense publique fait craindre à l’exécutif un regain de mobilisation sociale, dans la foulée de la grève de la fonction publique du 19 mars.
10, 25, 50 milliards d’euros, qui dit mieux ? Ce sont les sommes hallucinantes que le gouvernement doit trouver s’il veut ramener le déficit public sous les 3 % d’ici à 2027, selon la Cour des comptes, dans son rapport annuel publié le 12 mars. Des recommandations qui tombent à pic pour l’exécutif, qui tente péniblement de « vendre » son tour de vis budgétaire. Panique dans les ministères, où les logiciels de calcul tournent à plein régime pour refaire les budgets en un temps record.
C’est massacre à la tronçonneuse.
En dix jours, Bercy a dû trouver en urgence 10 milliards d’économies. Avant l’été, il faudra en trouver au moins 12 milliards de plus pour construire le budget de l’an prochain. « C’est massacre à la tronçonneuse », soupire un conseiller de l’exécutif auprès de Politis. Une « inquiétude » partagée par les principaux syndicats, qui ont appelé à une grève générale ce mardi 19 mars au nom de « l’urgence salariale », selon le mot d’ordre évoqué par huit d’entre eux (CGT, FO, CFDT, CFE-CGC, FA, FSU, Solidaires et Unsa).
D’autant qu’Emmanuel Macron n’a rien fait pour apaiser la situation, prenant un malin plaisir à souffler sur les braises de la contestation. Le président fait porter aux syndicats la menace de grève qui pourrait s’étendre pendant les Jeux olympiques et paralympiques et a multiplié les petites phrases méprisantes sur les plus précaires, comme ses propos rapportés sur les « smicards » qui préféreraient des « abonnements VOD à une alimentation plus saine ».
Tentative d’explication par l’un de ses proches, l’un de ses anciens conseillers : « Le chef de l’État est toujours dans son mode dual : je régis par la peur mais je suis un banquier donc j’aime prendre mon risque. Regardez sur les retraites ou la loi immigration. Cette politique du coup de rabot, c’est un pari de plus avant les européennes. »
Cette politique du coup de rabot, c’est un pari de plus avant les européennes.
Les coupes précises dans les ministères ne sont pas encore arrêtées mais les premières annonces provoquent des sueurs dans les ministères… Sur les 10 milliards d’euros des premières économies prévues par Bercy, 691,6 millions d’euros concerneront l’Éducation nationale et la Recherche. De quoi mobiliser les travailleurs de l’Éducation nationale ce 19 mars. Mais le secteur social sera lui aussi gravement touché : la chasse aux chômeurs se poursuit. Bruno Le Maire, comme Gabriel Attal, souhaitent diminuer la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi, de 18 mois actuellement à 12 mois seulement.
« C’est ce qui entretient un taux de chômage à 7 % et je ne m’y résous pas », affirme Bruno Le Maire sur France Inter ce 18 mars. Une vieille lune de la droite qui fait bondir les syndicats : ces derniers appellent l’exécutif à renoncer à une nouvelle réforme, estimant qu’il faut « cesser la stigmatisation populiste des chômeurs ». « Si les Français sont les travailleurs les plus productifs d’Europe, c’est peut-être aussi grâce à ce système de l’assurance chômage », renchérit Denis Gravouil, secrétaire confédéral à la CGT.
Les affections longue durée dans le viseur
Au ministère de la Santé, les perspectives ne sont guère plus encourageantes. Le ministre délégué en charge, Frédéric Valletoux, veut « réfléchir à la pertinence » de l’actuel dispositif de prise en charge des ALD (affections longue durée, N.D.L.R.), qui représente « deux tiers des remboursements de l’assurance maladie ». Un projet qui fait frémir une grande partie des soignants et les associations de malades chroniques (cancer, Alzheimer, diabète, etc.), 25 d’entre elles ont écrit au ministre pour lui faire part de leurs inquiétudes. Le transport médical est aussi dans le viseur de Bercy : « Est-il possible de continuer à dépenser 5,7 milliards d’euros par an ? », fait mine de s’interroger Bruno Le Maire dans une interview au Monde.
Encore faut-il ajouter le couperet financier pour le secteur culturel : 100 millions en moins pour le patrimoine, des chantiers et des commandes à l’arrêt ainsi que 100 millions d’euros en moins sur la création et le budget de l’audiovisuel public et les actions culturelles, selon la CGT. Sans surprise, le ministère de la Culture figure parmi les plus touchés par la première coupe budgétaire : finalement, le budget (hors audiovisuel public) annoncé pour 2024 accuse une baisse de 4,5 %, en se voyant retirer 201 millions d’euros (soit 83 % des 241 millions supplémentaires annoncés en septembre) d’autorisations d’engagement et de crédits de paiement.
C’est un acharnement thérapeutique. Ce gouvernement n’a jamais autant roulé pour les patrons.
D. Gravouil
« C’est un acharnement thérapeutique, déplore Denis Gravouil. Les ministères dits régaliens ne sont pas touchés, ce gouvernement n’a jamais autant roulé pour les patrons, les dividendes explosent et il n’y aucun conditionnement aux crédits d’impôts ». L’exécutif promet de couper certaines « aides aux entreprises » qui atteignent des montants considérables. La prime à l’apprentissage ou encore le crédit impôt recherche sont dans le collimateur du gouvernement. Il n’empêche, « le gouvernement, en dépensant moins, cible ceux qui gagnent le moins », comme le fait observer Benoît Hamon dans Le Monde. Une analyse partagée par Denis Gravouil.
Même la majorité tique
Ce « coup de rabot » quasi général, fait hurler l’opposition mais aussi une partie de la majorité, mal à l’aise avec la méthode de l’exécutif. « Bercy aurait pu faire différemment », reconnaît, du bout des lèvres, la députée Nadia Haï, vice-présidente Renaissance de la commission des finances. En interne, la colère gronde au sein de la Macronie. « Bruno Le Maire et Gabriel Attal se fichent de nous, s’emporte l’un de ses collègues sous couvert d’anonymat. On a découvert cette première coupe au 20 heures de TF1 ! ».
D’autant que le ministre de l’Économie profite de ces annonces pour promouvoir son nouveau livre, La voie française, le sixième depuis son arrivée à Bercy, aux allures de programme pour 2027. « En pleine crise budgétaire, il a du temps d’écrire des livres », cingle un éminent député macroniste, qui affronte de son côté la colère de ses électeurs dans sa circonscription avant les élections européennes.
Au gouvernement, on s’agace de ces élus « qui semblent découvrir le problème de la dette publique ». « Nous sommes dans une gestion responsable de la dépense publique, pas dans un timing électoral », explique un conseiller. « Un pays trop endetté perd sa crédibilité puis son indépendance, il ne peut pas investir. Les Français en sont très conscients », renchérit Pierre Moscovici, en réponse aux critiques. Voire. Le Rassemblement national ferait 13 points de plus que la liste macroniste pour le scrutin européen du 9 juin, selon un dernier sondage Ipsos réalisée pour Le Monde, le Cevipof, la Fondation Jean Jaurès et l’Institut Montaigne. Pas sûr qu’Emmanuel Macron et Gabriel Attal arrivent à inverser la tendance d’ici à là…
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