En Seine-Saint-Denis, des établissements délabrés, des professeurs exténués, des élèves abandonnés
Depuis plusieurs jours, de nombreux enseignants de Seine-Saint-Denis se mobilisent pour un « Plan d’urgence » pour les établissements de leur département. Politis a réalisé une carte interactive qui montre, crûment, l’état de délabrement du bâti dans le département.
Des moisissures, des plafonds qui s’effondrent, des gymnases qui prennent l’eau. Les images du bâti des établissements scolaires de la Seine-Saint-Denis sont accablantes. Est-ce vraiment là que des milliers d’élèves étudient ? Selon une enquête de l’intersyndicale de Seine-Saint-Denis, regroupant la CGT Éducation, SUD Éducation, la FSU et la CNT, 70 % des collèges du département ont des problèmes d’isolation. « Nous, on a des problèmes de chauffage. Dans un bâtiment, il fait 14-15 degrés. Dans l’autre, le chauffage est à fond. On fait cours avec les fenêtres ouvertes l’hiver », raconte, par exemple, un enseignant du lycée Jean-Moulin à Neuilly-Plaisance.
Ils tentent de rafistoler en faisant du bricolage, mais la mairie n’a pas les moyens de rénover les écoles
Depuis une dizaine de jours, les enseignants du département métropolitain le plus pauvre du pays se mobilisent, entre autres, contre le fait d’enseigner dans cette insalubrité. Par exemple, dans une école maternelle de Montreuil, l’eau n’est plus potable depuis plusieurs mois. Pour se rendre compte de l’ampleur de ce délabrement, Politis a réalisé une carte interactive qui compile, photos et vidéos à l’appui, établissement par établissement, l’état du bâti en Seine-Saint-Denis.
« Les toits s’écroulent, alerte une professeure d’une école primaire de Bondy, nous faisons classe dans des salles délabrées. ». Une insécurité pour les élèves, mais aussi pour les enseignants. Les travaux pour remédier aux problèmes ne sont jamais réalisés, faute de moyens : « Ils tentent de rafistoler en faisant du bricolage, mais la mairie n’a pas les moyens de rénover les écoles », déplore-t-elle. Depuis des années, de nombreuses réclamations sont effectuées auprès de la mairie par les enseignants et des parents d’élèves avec, toujours, les mêmes réponses : « Il n’y a pas d’argent ».
Absences à répétition
Malheureusement, l’état du bâti est loin d’être la seule problématique. Des professeurs absents, non remplacés, des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) en sous-effectif chronique, des médecins scolaires portés disparus. Voilà ce qui rythme le quotidien de ces établissements, bien souvent classés en zone d’éducation prioritaire (ZEP).
La FCPE 93, fédération des parents d’élèves du département, qui soutient le mouvement, recueille régulièrement auprès des familles les problématiques de chaque établissement. Dans des tableaux Excel s’enchaînent alors de très longues listes. Dans un lycée du Blanc-Mesnil, par exemple, il n’y a plus d’infirmière depuis la rentrée. Dans un autre de Gagny, c’est un professeur de physique-chimie, pas remplacé, qui manque à l’appel.
À Bondy, une enseignante dans une école primaire est en arrêt de travail depuis les vacances de février et n’est toujours pas remplacée. En ZEP, les classes de primaires peuvent avoir deux enseignants pour répondre le plus possible aux attentes des élèves. Cette école accueille de nombreux enfants en très grande difficulté. Son non-remplacement double la charge de travail de sa collègue, a fortiori dans un établissement accueillant de nombreux élèves allophones, où l’autonomie est souvent impossible pour eux. « Du coup, elle ne passe plus son temps à enseigner, mais à s’occuper de tout ce qu’il y a autour », souffle-t-elle.
5 000 postes supplémentaires
Face à tous ses problèmes, l’intersyndicale demande un « plan d’urgence » pour l’éducation dans le département. Les revendications sont très claires : création de 5 000 postes d’enseignants supplémentaires, de plus de mille postes pour la vie scolaire et 2 200 postes d’AESH. « J’ai une élève malentendante dans ma classe. Elle a beaucoup de mal à suivre. Mais elle ne peut être accompagnée d’une AESH que 6 heures sur les 25 qu’elle passe dans l’établissement chaque semaine », raconte Julie, enseignante dans un collège à Aulnay-sous-Bois.
Le coût de ce plan d’urgence est estimé à 358 millions d’euros supplémentaires. Un chiffre important que les enseignants n’hésitent pas à mettre en perspective avec les deux milliards estimés que coûterait – a minima – la généralisation de l’uniforme voulue par le Premier ministre, Gabriel Attal.
Une mobilisation très suivie
Ce jeudi 7 mars, ils étaient très nombreux à avoir répondu à l’appel de l’intersyndicale. Place de la Sorbonne, à Paris, chaque établissement ou presque du 93 était représenté pour une marche en direction du ministère de l’Éducation nationale. Les syndicats estiment la participation à 4 500 personnes. Parmi eux, des profs, en majorité, mais aussi des élèves, venus participer à cette mobilisation. « On est tous dans le même bateau, ces conditions on les subit tous », glisse une élève de première brandissant une pancarte sur laquelle on peut lire : « Une jeunesse en détresse ».
Première maigre victoire, la nouvelle ministre de l’Éducation nationale, Nicole Belloubet, dans une interview au Monde, a commencé à reculer sur la mesure des groupes de niveaux annonçant qu’il pourrait y avoir des dérogations et que ce serait au chef d’établissement d’examiner la déclinaison locale de cette mesure importante voulue par Gabriel Attal, dans le cadre du plan du « choc des savoirs ».
Une mesure, surtout, que contestait vivement les enseignants du 93. « Tous différents mais tous égaux : non aux groupes de niveaux », pouvait-on lire sur une banderole. Reste, désormais, à obtenir le plus important : des investissements conséquents pour sortir du délabrement l’Éducation nationale dans un département qui cumule toutes les difficultés.
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