Européennes : la longue marche des gauches

Toutes les listes du camp progressiste rêvent de créer des dynamiques de rassemblement grâce à quelques prises de guerre.

Lucas Sarafian  • 13 mars 2024 abonnés
Européennes : la longue marche des gauches
La juriste et défenseure de la cause palestinienne Rima Hassan est en 7e position sur la liste de La France insoumise.
© EMMANUEL DUNAND / AFP

Avant les grands discours, les petites manœuvres. Et les partis de gauche n’ont pas hésité à jouer ce jeu qu’ils connaissent bien. Débauchages de personnalités issues de la société civile, transferts de figures politiques venues d’autres organisations : socialistes, communistes, insoumis et écologistes rêvent d’ouvrir leurs listes en dehors de leurs propres cercles militants et de leurs viviers de cadres. Les insoumis parlent même d’une nouvelle démarche « unitaire » et tentent de réveiller les fantômes de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes). Mais ils sont bien seuls à vouloir ressusciter cet accord signé pour les législatives de 2022.

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Les Écologistes restent dans leur ligne : les européennes ne répondent pas à la logique d’un scrutin national. « On ne fait pas semblant d’être dans une logique Nupes. Nous ne voulons pas être unitaires, mais nous inscrire dans une démarche d’ouverture. Nous sommes toujours dans notre stratégie : si chaque liste de gauche renforce sa base électorale, chacun de nos groupes pèsera un peu plus et la gauche sera plus forte », expose Olivier Bertrand, membre de la direction des Écologistes, chargé des relations avec les autres partis de gauche. Deux nouvelles figures ont intégré la liste de son parti : Priscillia Ludosky et Amine Kessaci. La première (9e position) fut l’un des visages les plus médiatiques des gilets jaunes, le second (10e) est un militant engagé pour les quartiers populaires à Marseille.

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Les réflexions sont similaires chez les communistes, qui ont nommé leur liste « La gauche unie pour le monde du travail ». La formation de Fabien Roussel a attiré Sigrid Gérardin (2e position), cosecrétaire générale du Snuep-FSU, Emmanuel Maurel (3e), eurodéputé sortant et fondateur de la Gauche républicaine et socialiste (GRS), Samia Jaber (6e), conseillère départementale du Territoire de Belfort et porte-parole de L’Engagement, petite formation fondée par Arnaud Montebourg, et Isabelle Amaglio-Térisse (10e), coprésidente des Radicaux de gauche (LRDG). Aucune entente n’a pour le moment été trouvée avec le Mouvement républicain et citoyen (MRC), fondé par Jean-Pierre Chevènement.

Nous avons construit une liste qui dépasse très largement les rangs de La France insoumise.

P. Vanier

Une coagulation d’organisations de faible poids électoral ? « On a voulu créer une liste de rassemblement de gauche connectée au monde du travail et unie sur une base politique : ce sont ceux qui s’opposent au traité de 2005 et qui veulent reprendre la main sur la France », indique Hélène Bidard, membre de l’exécutif du PCF et 4e de cette liste. « Le rassemblement est loin d’être terminé », promet Léon Deffontaines, la tête de liste, qui compte sur une nouvelle dynamique de campagne pour attirer des figures inattendues.

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Chez les socialistes, on met en avant des figures peu connues du grand public comme Pierre Jouvet (3e) ou Emma Rafowicz. Le premier est secrétaire général du parti et maire de Saint-Vallier (Drôme) ; la seconde, présidente des Jeunes Socialistes. Si ce sont de nouveaux visages, ces personnalités sont donc déjà des cadres du PS. Au sein du parti à la rose, on tente de faire la publicité de l’alliance avec Place publique, le petit parti de Raphaël Glucksmann, tête de liste, à qui il est promis trois candidats parmi les dix premières places. Le candidat a déjà reçu le soutien de personnalités comme José Bové ou Daniel Cohn-Bendit, mais cette liste est loin de refléter une envie unitaire.

Invités surprises et prises de guerre

Une démarche à l’opposé de celle de La France insoumise. « Nous avons construit une liste de l’Union populaire qui dépasse très largement les rangs de La France insoumise, estime le député Paul Vannier, chargé des négociations avec les autres formations de gauche, qui met en lumière les 20 % de candidatures d’ouverture sur la liste. En dépit des tentatives des appareils politiques pour nous empêcher de poursuivre le regroupement autour du programme de la Nupes, nous allons mener une campagne commune avec une série d’organisations politiques. »

En plus de confirmer les eurodéputés sortants – Leïla Chaibi, Marina Mesure et Younous Omarjee (mais pas Anne-Sophie Pelletier, exclue du groupe en décembre 2023 pour harcèlement) –, on vend quelques invités surprises dans cette liste : l’inspecteur du travail CGT sanctionné pour avoir assigné en justice un employeur afin qu’il fournisse des masques à ses salariés pendant l’épidémie de covid-19, Anthony Smith (4e position), la juriste et défenseure de la cause palestinienne Rima Hassan (7e), la militante écologiste du petit parti d’Aymeric Caron, Révolution écologique pour le vivant (REV), Carine Sandon (11e), et une militante du collectif citoyen La Seine-Saint-Denis au cœur, Laetitia Rigaudière (27e).

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Les transfuges politiques sont un peu plus nombreux. « On veut s’adresser aux orphelins de la Nupes », annonce Emma Fourreau, 9e sur cette liste. La formation de Manuel Bompard, qui n’a pas réussi à s’accorder avec l’économiste Julia Cagé, s’est entendue avec l’ex-responsable des Jeunes Écologistes Camille Hachez (19e), ou l’ancien coordinateur national de Génération·s, Arash Saeidi (6e), suspendu après un conflit interne sur les européennes. Mais aussi Damien Carême (8e), eurodéputé écologiste sortant et ancien maire de Grande-Synthe (Nord). « Il participera à long terme à la construction de l’Union populaire et à la préparation des échéances à venir », glisse Paul Vannier.

Fureur chez les Écologistes ? « Damien Carême était insatisfait de sa place sur la liste écologiste aux européennes. C’est la principale motivation de son départ, explique une écologiste qui assure que son parti lui proposait la 10e place. Il avait fait une démarche similaire il y a cinq ans et il avait été remonté au rang 3. Pas cette fois. » Ces prises de guerre individuelles ne signent pas d’accord politique d’ampleur, mais arrivent tant bien que mal à cacher le manque d’attractivité dont pâtit la formation depuis deux ans.

Ambition présidentielle et primaire déguisée

Chez les insoumis, on espère que cette liste, savant mélange de débauchages opportunistes de personnalités mises au ban de leur propre organisation et de démarche unitaire hors des appareils majeurs à gauche, pourra être la première pierre d’un nouveau rassemblement. Une dynamique unitaire tournée vers la prochaine présidentielle. « À travers cette campagne et au-delà des enjeux européens, on va peut-être bâtir le bloc de demain qui pourra construire l’alternative contre l’extrême droite et contre les macronistes », annonce la tête de liste, Manon Aubry. Voilà l’éternel paradoxe insoumis : espérer l’union mais en s’imposant comme force hégémonique.

LFI cherche surtout à reposer son rapport de force pour imposer Jean-Luc Mélenchon comme candidat unique en 2027.

Exit la Nupes, les insoumis remettent dans leur logiciel sémantique « l’Union populaire », ce slogan associé à Jean-Luc Mélenchon dans l’imagerie électorale. « C’est juste une question de communication : ils utilisent leurs marqueurs », relativise un écologiste. Par ailleurs, deux places sont laissées vides à la fin de leur liste. Jean-Luc Mélenchon s’immiscera-t-il dans cette campagne comme en 2019 ?

« LFI cherche surtout à reposer son rapport de force pour imposer Jean-Luc Mélenchon comme candidat unique en 2027 », décrypte un membre des instances nationales du PS. Manuel Bompard assume cette ambition : « Le bulletin de vote Manon Aubry est une manière de préparer la prise du pouvoir en 2027. Plus nous serons hauts aux européennes, mieux nous serons disposés pour prendre le pouvoir au niveau national. » Si quelqu’un en doutait encore, les européennes risquent bien d’être une primaire déguisée.

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