Européennes : les extrêmes gauches jouent à chacune pour soi
Une multitude de partis communistes et trotskistes n’ont ni réussi ni voulu s’entendre en vue de 2024. Trois listes devraient se bagarrer pour ne pas être invisibilisées dans cette campagne.
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À Villepinte, l’insoumise Manon Aubry veut « déjouer le duel entre les macronistes et l’extrême droite » Européennes : la longue marche des gauches Gauches : les grands chantiers de l’unitéEmbouteillage en vue. Pour les européennes, les grandes chapelles trotskistes vont devoir se partager un petit couloir. Sur la ligne de départ, Lutte ouvrière (LO), le Parti des travailleurs (PT) et une scission du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), issue de la « plate-forme C » rassemblant les opposants à la direction lors du congrès de division du parti en 2022. En bref, trois listes pour un électorat très réduit.
Mais l’avalanche d’acronymes n’est pas finie. Si le Parti ouvrier indépendant (POI) se rangera derrière La France insoumise (LFI), l’autre scission du NPA, celle de la « plate-forme B », emmenée par les médiatiques Philippe Poutou et Olivier Besancenot, compte bien continuer à interpeller les troupes mélenchonistes pour arriver à un accord. Et Révolution permanente (RP), la petite organisation née en 2021 et issue d’un courant interne au NPA, espère occuper le débat public sans se présenter.
Tous disent défendre les travailleurs, mais personne ne souhaite ou n’arrive à s’unir. La situation est claire : à l’extrême gauche, brouhaha total. Face à cette situation pour le moins complexe, difficile de ne pas penser que ces nombreux partis ne se tireront pas dans les pattes. « Être nombreux n’est pas forcément mauvais. On est tellement ignorés par les médias. Cette situation pourrait nous permettre de défendre à plusieurs une gauche internationaliste », relativise Selma Labib, porte-parole de la plate-forme C du NPA.
Alliance ou autonomie
C’est au NPA que la situation est vraiment difficile. Car, depuis plus d’un an, deux scissions se disputent l’étiquette « Nouveau Parti anticapitaliste ». D’un côté, la direction historique veut se rapprocher de LFI. De l’autre, la branche d’opposition tient à l’autonomie du parti.
Les premiers, ceux de la plateforme B, ont tenté de négocier avec le mouvement mélenchoniste. Sans succès. Après quelques réunions, la direction de LFI a estimé, dans une lettre envoyée le 22 février, qu’il existait bien trop de désaccords entre eux, sur l’Ukraine notamment. Le NPA-B est favorable à l’adhésion de ce pays à l’Union européenne. Pas LFI.
Mais les forces anticapitalistes considèrent que les insoumis leur reprochent de vouloir « reconstruire une gauche radicale autour de LFI et du NPA » en excluant d’autres partis de cet accord hypothétique. En effet, ce deal aurait pu compromettre l’objectif initial des insoumis : rassembler toute la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (Nupes).
Nous devons construire un bloc social et politique qui regroupe les forces anticapitalistes et antilibérales.
C. Poupin
Cette situation est loin de décourager les têtes pensantes anticapitalistes. « On est convaincus que l’unité est indispensable face à la montée de l’extrême droite. Nous devons construire un bloc social et politique qui regroupe les forces anticapitalistes et antilibérales. Et de nombreux insoumis préfèrent regarder vers nous plutôt que de voir leur organisation se tourner vers le PS. On est têtus, on va continuer à interpeller La France insoumise », estime Christine Poupin, porte-parole du NPA-B. Cette dernière croit fermement que les deux organisations se retrouvent sur l’écosocialisme et la nécessité de désobéir aux traités européens comme aux dogmes sur la dépense publique et la concurrence libre et non faussée.
Tendre la main
De l’autre côté du NPA, celui issu de la plate-forme C, on a pensé à faire alliance avec Lutte ouvrière. Fin de non-recevoir. Dans un courrier envoyé le 17 octobre, la formation de Nathalie Arthaud estime qu’il est trop difficile d’arbitrer « entre les deux organisations qui se disputent le nom du NPA ». Lutte ouvrière présentera donc une liste conduite par la triple candidate à la présidentielle, avec l’inusable Arlette Laguiller pour fermer celle-ci.
« Quel serait l’intérêt de faire alliance pour des élections européennes ? Si plusieurs organisations se réclament du communisme révolutionnaire, que chacun s’exprime. C’est peut-être la meilleure façon d’obtenir le plus de voix possible dans notre camp », expose Pierre Royan, membre de LO. Son parti défendra notamment l’échelle mobile des salaires.
Les anticapitalistes ne se résignent pas. « On défend des positions communes sur les sujets majeurs, nous partageons le même projet de société. On ne les lâchera pas, on va continuer à leur tendre la main », annonce Victor Mendez du NPA-C. Dans les rangs de sa scission, on jure avoir les moyens financiers pour mener cette campagne contre « l’Europe forteresse ». « Des milliers de personnes meurent dans la Méditerranée. Nous serons ceux qui s’opposeront à Frontex et défendrons l’ouverture des frontières », lâche l’une des porte-parole Selma Labib.
On veut faire entendre une voix anticapitaliste. Nous voulons défendre le camp des travailleurs.
D. Scali
« On veut faire entendre une voix anticapitaliste. Le duel annoncé entre Jordan Bardella et Gabriel Attal occupe tout le monde. Nous voulons donc défendre le camp des travailleurs puisqu’aucune des listes en présence ne le fait », assure Damien Scali, un autre porte-parole. Ils défendront notamment une idée : aucun revenu ne doit être inférieur à 2 000 euros sur tout le territoire européen.
Ont-ils envisagé un rapprochement avec l’autre fraction du NPA, le NPA-B ? Impossible. À les écouter, leurs lignes stratégiques seraient trop éloignées. La tête de liste de la scission de la plate-forme C sera décidée à la mi-mars et leur campagne commencera officiellement par un meeting à Paris, le 23 mars, avec la Lotta comunista, une organisation d’extrême gauche italienne. Une initiative électorale très mal perçue par l’autre moitié du parti : « Les listes d’auto-affirmation qui disent “l’Europe, on s’en fiche. Ce qui compte, ce sont les luttes”, ça ne pèse pas », analyse Christine Poupin.
Occuper le débat
Certains membres de cette organisation, ceux de la plate-forme C, aimeraient un rapprochement avec la liste conduite par le Parti des travailleurs (PT), cette formation fondée en 2015 à la suite d’une scission avec le Parti ouvrier indépendant (POI). Mais Daniel Gluckstein, secrétaire national du PT, l’assure : « On entend aussi ces rumeurs. Or on n’a pas été sollicités. Mais si on nous invite à discuter, on n’a aucune raison de ne pas les rencontrer. »
La situation politique justifie notre présence.
D. Gluckstein
Pour le moment, le PT ne compte pas laisser tomber sa ligne et sa liste conduite par Camille Adoue, une rédactrice de 23 ans. « La situation politique justifie notre présence. Le budget de la loi de programmation militaire a massivement augmenté alors que nous pourrions réorienter cet argent vers les écoles ou les hôpitaux. Le gouvernement passe son temps à pointer les chômeurs. Il préfère soutenir le budget pour la guerre, aider les multinationales, et pas les travailleurs », développe Daniel Gluckstein, qui précise rejeter le qualificatif d’extrême gauche pour sa formation.
Quant au Parti ouvrier indépendant, très lié à La France insoumise, il a décidé de faire campagne pour le mouvement mélenchoniste. Et Révolution permanente renonce à présenter une liste pour des raisons financières. Mais l’organisation profitera de cette séquence électorale pour occuper le débat. Le 6 mars, la formation a tenu un meeting à Paris en invitant le philosophe Frédéric Lordon, l’ancien prisonnier politique palestinien Salah Hamouri et Anasse Kazib, cheminot et figure de l’organisation.
« À l’échelle européenne, il y a un durcissement des régimes et une escalade militaire. En France, ceux qui ont lutté contre la réforme des retraites ou contre la loi immigration doivent trouver une perspective politique. Et cette perspective n’est pas qu’un enjeu électoral », indique Paul Morao, membre de la direction de cette organisation. En clair, ils sont aujourd’hui nombreux à se revendiquer du même camp politique. Il sera donc bien difficile d’y creuser son propre sillon.
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