Fin de vie : pour les personnes handicapées, « la mort ou quelle vie ? »

Céline Extenso, militante antivalidiste, co-fondatrice du collectif handi-féministe Les Dévalideuses, rejoint les chroniqueuses de la rubrique « Intersections ». Pour son premier billet, elle tire la sonnette d’alarme sur le futur projet de loi sur l’aide active à mourir, « porte ouverte doucereuse sur l’eugénisme ».

Céline Extenso  • 20 mars 2024
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Fin de vie : pour les personnes handicapées, « la mort ou quelle vie ? »
Les urgences pour adultes de l'hôpital de Hautepierre, à Strasbourg, le 29 décembre 2022.
© SÉBASTIEN BOZON / AFP

« Moi, à ta place, je me tuerais. » Il faut être bien malade ou handicapé pour s’entendre confier, sans l’ombre d’une gêne, cette candide incitation au suicide. Et le fait qu’elle soit généralement camouflée derrière un compliment (« Je t’admire, tu es si courageuse ») n’enlève rien du cinglant de la claque. Alors ne vous étonnez pas que les militants antivalidistes flairent l’immense danger quand le chef de l’État annonce son projet de loi pour une « aide active à mourir », soutenu par 82 % de la population.

Nos voix protestataires sont étouffées par la présence massive des paroles religieuses, principalement portées par des groupes réactionnaires et liberticides. Nous refusons d’y être associés. Nous sommes pro-choix plus que quiconque, nos luttes ont pour étendard l’autodétermination, mais de quel choix exactement parlons-nous ? La mort ou quelle vie ? Peut-on vraiment prôner l’autonomie corporelle sans assurer l’autonomie tout court ?

Peut-on vraiment prôner l’autonomie corporelle sans assurer l’autonomie tout court ?

La communication politique met en exergue quelques situations tragiques, suscitant naturellement émotion et compassion, projetant notre espoir de rester maîtres de notre vie jusqu’au dernier souffle. Mais la politique ne se joue pas à l’émotion. Cessons de ramener le handicap au prisme de l’expérience intime, et exigeons une vue politique globale à la hauteur de nos existences.

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N’oubliez pas que l’histoire se passe dans un pays qui enferme toujours ses citoyens handicapés dans des institutions, en reniant ses engagements européens. Dans un pays qui stérilise encore des femmes handicapées, qui les expose aux violences sexuelles. Dans un pays où l’accessibilité se dégrade, à coups de dérogations et de reculs de lois. Dans un pays où l’allocation aux adultes handicapés (AAH) est maintenue sous le seuil de pauvreté. Dans un pays où l’aide humaine quotidienne est manquante, précaire, et souvent maltraitante. Dans un pays qui abandonne l’hôpital public, tolère que 21 départements soient privés d’unité de soins palliatifs, et annonce vouloir restreindre encore les prises en charge en affection de longue durée (ALD) des plus malades.

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Lorsqu’au quotidien on entrave légalement notre accès au logement, aux transports, aux études, au travail, aux loisirs, à la vie de famille et même aux soins les plus élémentaires, qui ne connaîtrait pas des « souffrances psychologiques réfractaires », ce critère avancé pour accéder à l’aide à mourir ? L’État nous met la tête sous l’eau, puis nous propose de faire le « choix libre et éclairé de mourir » et ose le cynisme d’appeler cela une « loi de fraternité ».

L’État nous met la tête sous l’eau, puis nous propose de faire le « choix libre et éclairé de mourir ».

Dans un monde idéal, où les personnes handicapées seraient dignement aidées à vivre, l’aide à mourir irait de soi. Mais dans le monde réel, libéraliste et validiste, cette mesure est une porte ouverte doucereuse sur l’eugénisme, que nous ne pouvons accepter sans tirer la sonnette d’alarme. Nous souhaitons ardemment que chacun puisse exercer ses choix librement. Mais, dans une société qui œuvre tant à nous faire disparaître, symboliquement ou physiquement, nous ne sommes pas dupes : cette société fait le choix de nos morts.

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