Gaza : l’enfance sacrifiée

Chaque jour l’enclave palestinienne s’enfonce un peu plus dans une crise humanitaire sans précédent. Selon l’Unicef, plus de 600 000 fillettes et petits garçons ont dû fuir leurs maisons avec leur famille.

Céline Martelet  • 13 mars 2024 abonné·es
Gaza : l’enfance sacrifiée
Un enfant palestinien, à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 12 mars 2024.
© MOHAMMED ABED / AFP

Entouré d’enfants réunis en cercle, un petit garçon fait quelques pas en avant pour se mettre au centre. Il place ses mains sur ses hanches puis frappe en rythme le sol avec ses pieds. Quelques pas de « dabké », danse traditionnelle du Moyen-Orient, qui déclenchent aussitôt des rires et des applaudissements. En regardant cette courte vidéo pleine de joie, on en oublierait presque les tentes en arrière-plan, le sol boueux et les visages épuisés de certains enfants.

Ces images ont été diffusées sur les réseaux sociaux par la Gaza Circus School. Cette école de cirque créée en 2008 était l’une des fiertés de la bande de Gaza. L’armée israélienne a détruit ses locaux au nord de l’enclave palestinienne. Ses quinze artistes ont dû fuir comme des centaines de milliers d’autres Palestiniens. Aujourd’hui, ils ont relancé leurs spectacles dans les camps de déplacés de Nuseirat pour divertir les plus jeunes.

Selon l’ONU, depuis le début de la guerre, un enfant est mort toutes les dix minutes.

«Ces enfants souffrent plus que les adultes, explique Samara, l’un des fondateurs du cirque joint via WhatsApp. Ils ont besoin de bienveillance parce qu’ils ne comprennent pas ce qui se passe. On leur offre un soutien psychologique avec nos numéros d’artistes. Ces enfants retrouvent le sourire et se souviennent de leur vie avant la guerre. Cette vie où ils étaient en sécurité, allaient à l’école, avaient une maison. »

ZOOM : Plus de 5 000 enfants morts sous les bombes à Gaza depuis le 7 octobre

Les enfants sont les premières victimes de l’offensive israélienne dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre dernier. Et les chiffres donnent le vertige. L’ONU estime que 40 % des morts sont des enfants. Selon l’Unicef, depuis l’attaque terroriste du Hamas, plus de 5 350 enfants sont morts sous les bombes israéliennes, 12 300 ont été blessés, 17 000 ont perdu leurs parents ou en sont séparés et des milliers d’autres sont portés disparus. Sur la seule bande de Gaza.

Parce que la Cisjordanie n’est pas en reste : plusieurs dizaines d’enfants ont été tués et de nombreux autres obligés de fuir. «2023 aura été l’année la plus meurtrière jamais enregistrée pour les enfants de Cisjordanie», indique le tragique bilan établi par l’Unicef. Un million d’enfants sont affectés par cette guerre menée par le gouvernement et l’armée israéliens : famine et insécurité alimentaire, absence d’accès à l’eau potable ou aux soins. Les deux tiers des hôpitaux de la bande de Gaza ne sont plus en service alors que près de 200 bébés y naissent chaque jour.

Ce n’est pas le Hamas qu’ils éradiquent. C’est une population qu’ils balaient, qu’ils effacent. Une génération qu’ils sacrifient. Le traumatisme de la guerre, la déscolarisation de toute une jeunesse laisseront des traces indélébiles. Pour le plus grand bénéfice du Hamas, sans doute. Hélas. Notre silence est complice. Quand la communauté internationale fera-t-elle cesser ce massacre ? Car, comme le chantait Barbara, « un enfant qui pleure, qu’il soit de n’importe où est un enfant qui pleure, / car un enfant qui meurt au bout de vos fusils est un enfant qui meurt. / Que c’est abominable d’avoir à choisir entre deux innocences ! / Que c’est abominable d’avoir pour ennemis les rires de l’enfance ! »

Pierre Jacquemain

L’Unicef ne cesse d’alerter sur l’ampleur du traumatisme psychologique pour ces fillettes et ces petits garçons. Des blessures invisibles qui marquent à jamais. Beaucoup ont vu mourir un proche, un voisin. Tous ont vécu des nuits d’effroi, paralysés par la violence des frappes aériennes tout autour d’eux. Et tous ont faim malgré les efforts de leurs parents pour trouver chaque jour de quoi les nourrir.

«Nous avons rencontré un garçon qui a survécu à un bombardement. Depuis, il refuse de dormir avec quelque chose au-dessus de sa tête. D’autres enfants font pipi au lit. Et puis il y a ceux qui ne peuvent plus parler parce qu’ils ont déjà vu trop de choses horribles dans cette guerre», confie Samara.

Premières victimes d’une guerre sans fin

Les chiffres concernant les enfants de Gaza donnent le vertige. Ils sont alarmants, déchirants, désespérants. Selon l’ONU, 17 000 petits Gazaouis sont orphelins ou ont été séparés de leur famille. Plus d’une dizaine au moins sont morts de faim ces dernières semaines. Toujours selon les Nations unies, depuis le début de la guerre, un enfant est mort toutes les dix minutes.

Sur les images qui nous parviennent de la bande de Gaza, les enfants sont partout. Des petits corps sont extraits des décombres par un père, un oncle, un passant. Portés à bout de bras. Filmés. Ils sont les visages de la violence d’une offensive israélienne que personne ne semble pouvoir arrêter.

Dans les hôpitaux, ces filles et ces garçons errent à la recherche de leurs parents lorsqu’ils ont survécu à des frappes aériennes. Sur l’une des nombreuses vidéos publiées sur Instagram, un petit Gazaoui réconforte son frère gravement blessé. Avec calme, il lui parle. Lui demande de réciter des versets du Coran pour demander de l’aide à Dieu. Sur un autre enregistrement, une fillette, le visage couvert de poussière, hurle à la recherche de sa mère. Autour d’elle, des adultes courent et ne semblent ni la voir ni l’entendre.

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Au milieu de ce chaos, les femmes continuent à mettre des bébés au monde dans des conditions très difficiles. Désormais, un seul hôpital a la capacité de prendre en charge les nouveau-nés dans la bande de Gaza. L’établissement est saturé. «J’en suis à un stade vraiment avancé de ma grossesse. J’ai atteint le sixième mois et maintenant j’ai peur d’accoucher au milieu de la guerre», raconte Sahar dans un message audio. Elle a 37 ans. Elle vit sous une tente à Rafah au sud de la bande de Gaza avec ses deux autres enfants et son mari. «

Il n’y a pas d’hôpitaux, ni même de matériel médical en stock. Pour mon dernier accouchement, les médecins ont dû pratiquer une césarienne», explique Sahar, contactée via Facebook. Cette angoisse de devoir accoucher dans sa tente paralyse la Palestinienne. «Je suis heureuse que ce bébé vienne au monde, mais pas dans ces circonstances. C’est un garçon. On va l’appeler Ward, cela veut dire rose. J’aime les fleurs, donc ça me tient à cœur qu’il porte ce prénom. » Sahar a pu faire une échographie, il y a quelques jours. L’examen a révélé une présence trop importante de liquide amniotique. 

Le nombre de décès de bébés prématurés est en progression.

Z. Lahna

«Le nombre de décès de bébés prématurés est en progression. Dans les couveuses, ces nourrissons fragiles sont à trois ou quatre, ce qui augmente le risque d’infection », raconte Zouhair Lahna. L’obstétricien franco-marocain est parvenu à entrer dans la bande de Gaza le 20 janvier dernier avec l’association de médecins PalMed. Il y a passé près de six semaines. Les nouveau-nés ne restent que quelques heures à l’hôpital. Faute de place, ils retournent très vite dans les camps de déplacés avec leur mère.

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« Beaucoup souffrent de bronchiolite, s’inquiète le médecin. La moindre maladie représente un risque de mortalité énorme. Parce que nous n’avons pas les moyens humains et matériels de les sauver ». Pour l’instant, le nombre de bébés décédés quelques semaines après leur naissance reste impossible à estimer.

Sortir les enfants à tout prix

« Qui veut mes légumes ? » Assis à l’arrière d’une camionnette lancée à toute allure, un petit garçon joue au vendeur ambulant dans les rues de Rafah. Nour* a tout juste 10 ans. « Tu as froid ? », lui demande son père qui le filme. « Non, tout va bien», répond l’enfant. Il sourit, emmitouflé dans une doudoune noire et un bas de pyjama. Avant la guerre, il vivait à Gaza City avec sa famille dans un appartement où il avait sa propre chambre. Fan de Neymar, il rêve de pouvoir porter un jour un maillot du PSG avec une dédicace du joueur brésilien.

*

Les prénoms suivis d’une astérisque ont été modifiés.

Aujourd’hui, Nour n’a plus rien. Il vit dans un camp de déplacés. L’histoire de Nour, c’est son père, Ahmed*, qui nous la raconte dans des vidéos ou de courts messages lorsqu’il trouve suffisamment de réseau pour les envoyer. « Mes enfants sont terrorisés par les bombardements, je ne sais plus comment les rassurer. Même moi, je perds le contrôle», nous écrit Ahmed après une nouvelle nuit de frappes aériennes israéliennes début février.

Mes enfants sont terrorisés par les bombardements, je ne sais plus comment les rassurer.

Ahmed

En octobre, l’armée israélienne a réduit à néant l’immeuble où vivait la famille. « Nour, mon fils, veut jouer de la batterie, et ma fille rêve d’être chanteuse. J’espère que je pourrai les aider à atteindre leurs rêves. » Ahmed retrouve parfois un peu d’espoir et se réjouit de pouvoir juste offrir quelques falafels à son fils. « Il m’a demandé d’aller en acheter pour lui, alors on est en route. Ma fille voulait du poulet, mais c’est trop cher. Ils me demandent aussi des bonbons, des barres de chocolat. »

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Épuisé par l’angoisse de voir les siens mourir, le Gazaoui écrit quelques jours plus tard : « Je n’ai pas assez d’argent pour sortir de Gaza, alors je pense à les faire sortir sans moi et seulement avec leur mère. » Beaucoup de Gazaouis sont contraints de faire ce choix pour sauver leurs enfants d’une bande de Gaza qui étouffe. Pour la quitter, il faut débourser au minimum 5 000 dollars par personne auprès d’un réseau de trafiquants d’êtres humains en lien avec les autorités égyptiennes.

Le prix à payer pour vivre en sécurité. Très peu de familles parviennent à rassembler cette somme. Ce sont les femmes et les enfants qui sortent en premier. Les pères restent dans l’enclave palestinienne en espérant un jour retrouver leurs proches.

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Monde
Publié dans le dossier
Les enfants sacrifiés de Gaza
Temps de lecture : 7 minutes

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