Italie : dans les régions, Giorgia Meloni et ses alliés mettent en danger l’IVG
À la tête de la majorité des régions d’Italie, la coalition de la cheffe de l’exécutif italien fait tout pour restreindre l’accès à l’avortement. Pour pallier la détérioration du service public et les procédures complexes, des associations féministes s’organisent.
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Droit à l’IVG : en Europe, une âpre révolution féministe Enfumage L’IVG devient une « condition de notre démocratie » La mouvance anti-IVG, toujours vivace en FranceDes panneaux publicitaires anti-choix montrant des images d’embryon s’affichent de plus en plus ostensiblement dans les villes italiennes : « 9 biologistes sur 10 me reconnaissent comme un être humain. Et toi ? », peut-on lire sur certains d’entre eux. Lors de sa campagne électorale de 2022, Giorgia Meloni avait mis un point d’honneur à relancer la natalité dans une Italie vieillissante.
La patronne du parti postfasciste Fratelli d’Italia, devenue présidente du Conseil des ministres, avait affirmé ne pas vouloir revenir sur la loi 194, adoptée en 1978, qui dépénalise l’avortement. Pourtant, l’arrivée au pouvoir de son camp politique dans des régions a fragilisé l’accès à l’IVG en Italie. Le discours de ses proches alliés en témoigne : « Oui, l’avortement fait malheureusement partie du droit des femmes », avait affirmé la ministre de la Famille et de la Natalité, Eugenia Roccella sur la chaîne Rai 1, le 20 janvier 2023.
Ils ne peuvent pas supprimer la loi, alors ils rendent l’avortement impossible.
M. Toschi
La coalition de droite formée de Fratelli d’Italia, de La Lega Nord (le mouvement de Matteo Salvini, d’extrême droite) et de Forza Italia (Antonio Tajani, centre-droit), a conquis le territoire au fur et à mesure des élections régionales. Elle est au pouvoir dans la majorité des régions, qui sont autonomes et compétentes en matière de santé publique. « Ils ne peuvent pas supprimer la loi, alors ils rendent l’avortement impossible. Dans les régions où les fascistes sont au pouvoir, c’est encore plus compliqué pour les femmes », dénonce la gynécologue Marina Toschi.
« La plupart des régions qui sont passées sous La Lega et les fascistes ne se mettent pas à jour sur les directives nationales. Certaines régions sont restées sur un délai de sept semaines pour l’IVG médicamenteuse alors qu’un décret l’a augmenté à neuf. C’est très court, l’acte chirurgical est beaucoup plus pénible », détaille-t-elle.
Après la prise du second médicament, alors que les douleurs sont intenses, les femmes sont obligées de rester dans les services. L’hospitalisation est une dépense supplémentaire pour les elles alors qu’elle n’est pas nécessaire. « Ils rendent l’intervention la plus pénible possible », atteste Mirella Parachini, ancienne gynécologue et membre de la Fédération internationale des professionnels de l’avortement et de la contraception (Fiapac).
L’abandon de l’hôpital public
Les partis au pouvoir dans ces régions contraignent l’accès à l’IVG de diverses manières. D’abord par la faiblesse des budgets consacrés. Beaucoup de régions investissent peu dans les hôpitaux publics alors que l’avortement est autorisé uniquement dans les structures publiques ou conventionnées (partiellement publiques). De fait, l’acte n’est pas considéré comme n’importe quelle autre intervention médicale. « L’hôpital public s’effondre tandis que les établissements privés catholiques sont subventionnés. C’est injuste de partager l’argent public avec des structures privées, déjà riches et financées », atteste Marina Toschi.
La Lega, qui gouverne la région de la Lombardie, finance des planning familiaux privés catholiques. « On retrouve ces centres d’aide à la vie dans toutes les régions. Le manque de planning familial public est devenu terrible dans toute l’Italie », témoigne Marina Toschi. Sans structures indépendantes de toute idéologie, les femmes sont peu informées et ne savent pas comment avorter. « Dans ma ville, à Pérouse, on est passé de douze plannings familiaux publics à trois. La région a coupé les aides, résultat : ils ferment », souffle la gynécologue.
À Pérouse, on est passé de douze plannings familiaux publics à trois.
M. Toschi
La région du Piémont, dirigée par Fratelli d’Italia, a, elle, versé un million d’euros de fonds publics à des associations pro-vie pour « soutenir les femmes enceintes ». À l’initiative du vote qui a permis le versement de cette somme, un conseiller régional de Fratelli d’Italia, Maurizio Marrone, a décidé de mettre en place des « salles d’écoute » dirigées par les anti-choix dans les hôpitaux publics. Cela pour « aider les femmes à surmonter les raisons qui pourraient les pousser à avorter ».
Les anti-choix au centre des politiques pour la famille
Ces associations sont très présentes dans les plannings familiaux et hôpitaux. En 2023, l’association Pro-vita déclare avoir fait changer d’avis 449 femmes dans le Piémont. Ces associations versent de l’argent aux femmes qui renoncent à avorter. « Ce n’est pas pour l’enfant, c’est pour empêcher l’avortement », affirme Marina Toschi. La région de Vénétie préfère aussi attribuer le budget pour la famille à des anti-choix plutôt qu’en faveur de politiques de soutien aux familles.
Un amendement à la loi 194 propose d’obliger les femmes à écouter le cœur de l’embryon avant d’avorter.
Le gouvernement « ne fait rien pour contenir l’anti-avortisme alors que la radicalisation de ses groupes augmente avec le soutien international de ses sympathisants », dénonce Giorgia Alazraki, sage-femme et vice-présidente à l’association italienne des non-objecteurs de conscience (Laiga). Elle confie que ces groupes ont organisé un marathon de 40 jours pour « prier contre l’avortement » devant l’hôpital de Modène.
Ils ont porté une proposition d’initiative populaire de 106 000 signatures qui a été examinée par les députés ce lundi 26 février, dans laquelle un amendement à la loi 194 propose d’obliger les femmes à écouter le cœur de l’embryon avant d’avorter. Un procédé que l’allié hongrois de Meloni, Viktor Orbán, a déjà mis en œuvre pour dissuader les femmes – allant même jusqu’à faire inscrire dans la Constitution la protection du fœtus.
Mentalité conservatrice
En Italie, les procédures sont longues et compliquées. Il faut d’abord détenir un certificat d’avortement d’un médecin. Difficile à trouver car « 63,4 % sont des objecteurs de conscience », selon Giorgia Alazraki. Puis, un délai de réflexion d’une semaine est ensuite imposé. Ensuite, la femme doit trouver l’hôpital et le gynécologue qui accepte de pratiquer l’IVG. « Sur 560 hôpitaux qui ont la possibilité d’avoir le service d’IVG disponible, 335 seulement, le pratiquent. L’objection de conscience est prônée aussi par les infirmières et les anesthésistes alors qu’ils ne provoquent pas l’IVG », détaille la sage-femme. Selon elle, l’État devrait faire en sorte que chaque hôpital dispose d’une équipe de non-objecteurs dans le service pour assurer le droit à l’IVG.
Sur 560 hôpitaux qui ont la possibilité d’avoir le service d’IVG disponible, 335 seulement, le pratiquent.
G. Alazraki
L’avortement n’est pas enseigné dans les écoles de médecine : « Ça ne sert à rien puisque dans beaucoup d’hôpitaux, il n’y a pas de service IVG », explique Marina Toschi. En moyenne dans les établissements la pratiquant, deux gynécologues sur dix acceptent l’intervention, mais ils ne sont pas toujours disponibles. Les autres, objecteurs de conscience, ne veulent pas se cantonner à cette seule activité, « cela ne rapporte pas beaucoup d’argent. Les femmes sont obligées de traverser plusieurs régions avant de trouver un centre qui s’occupe d’elles », affirme la gynécologue.
L’obsession de la natalité, un danger pour les femmes
Certaines se rendent à l’étranger, mais beaucoup n’ont pas les moyens. Dans la société italienne encore très influencée par le catholicisme, se faire avorter est perçu comme une honte. « Quand je croise des patientes dans la rue, elles font comme si elles ne me connaissaient pas », détaille Marina Toschi. Ce silence met en danger les femmes, beaucoup sont obligées d’avorter illégalement à cause des procédures trop complexes, du manque d’information et de planning familial. Elles achètent clandestinement des pilules abortives et ne sont ni conseillées ni accompagnées. « Des patientes les avaient mis dans leur vagin au lieu de les prendre par voie orale. Quand des douleurs se déclarent, si elles vont à l’hôpital, elles peuvent avoir des amendes de 10 000 euros. »
« Meloni parle de la promotion de natalité avec des primes pour soutenir les nouvelles mères. Elle donne des miettes, ça ne suffit pas. Ça démontre l’incapacité à bien gérer la question », affirme Mirella Parachini. Elle explique que c’est en investissant dans le service public, dans les plannings familiaux pour le suivi de grossesse et dans les crèches gratuites que les femmes auront envie d’avoir des enfants. « Si on veut que les femmes fassent des enfants, il faut les soutenir. En Italie, le droit du sol n’existe pas alors qu’il pourrait augmenter la natalité, mais avant tout, Meloni désire préserver ‘la race pure italienne’ », explique Marina Toschi.
Initiatives citoyennes
Plusieurs associations féministes comme Laiga, Non Una di Meno et l’association Luca Coscioni s’engagent au quotidien pour améliorer les conditions d’accès à l’avortement. Campagnes d’information et de sensibilisation, hot lines, manifestations, conférences à l’ONU, sites internet, accompagnements, fonds pour les plannings familiaux : les bénévoles sont mobilisés sur tous les fronts. Sur le site de Laiga, une carte répertorie toutes les informations sur les structures où les femmes peuvent avorter : « il a fallu appeler tous les hôpitaux d’Italie », témoigne Giorgia Alazraki.
Comme les universités n’enseignent pas l’avortement, nous le faisons, c’est fondamental.
M. Parachini
Des réseaux de solidarité importants se sont créés entre gynécologues et militants. Les femmes sont accompagnées et orientées dans leur démarche à travers un large maillage territorial de médecins et hôpitaux ouverts à la pratique. Giorgia s’est occupée d’une jeune fille de 13 ans qui a découvert sa grossesse au bout de 20 semaines. « Il nous restait trois semaines. C’était court mais nous avons pu trouver une solution. » Mirella Parachini organise avec l’Association Luca Coscioni des formations à l’IVG pour les médecins. « Comme les universités n’enseignent pas l’avortement, nous le faisons, c’est fondamental », explique-t-elle.
Pour rendre l’avortement possible, Giorgia Alazraki demande un site clair et institutionnel du ministère expliquant les procédures et les réseaux de support : « Cela pourrait aider le ministère à voir qu’il n’y a pas de structures. » Diversifier la pratique de l’IVG à d’autres professionnels comme les sages-femmes ou les médecins de famille réduirait l’attente : « plus on engage de personnels, plus il sera simple de trouver rapidement le lieu où avorter », conclut Giorgia.
Changer la loi 194 et la rendre effective
« La loi, c’est un beau papier écrit, mais son application n’est pas effective », explique Marina Toschi. Même si l’objection de conscience est légale, l’hôpital ou le médecin doit garantir l’exécution de l’intervention. « La loi oblige à orienter la patiente vers une structure qui organise l’IVG. Ce n’est pas appliqué, ils disent simplement qu’ils ne le font pas et l’État ne procède à aucun contrôle », explique Mirella Parachini.
L’organisation des régions ne permet pas l’accès simple à l’avortement mais les mentalités des gynécologues évoluent : « Les jeunes médecins sont plus investis dans le combat pour le droit des femmes à disposer de leurs corps », affirme Mirella Parachini. La loi 194 comporte son lot de confusion juridique : « Il est inscrit qu’une femme peut avorter en invoquant des raisons de santé mentales ou physiques. L’argument du libre choix n’est même pas inscrit », détaille-t-elle. Avec son association Luca Coscioni, elle souhaite modifier en profondeur le texte pour inclure de nouvelles notions qui permettrait un réel accès à l’IVG.
En France, les détracteurs de la constitutionnalisation de l’IVG arguent qu’aucune menace ne plane sur ce droit, issu de la loi Veil de 1974. Pourtant, partout en Europe les mouvements conservateurs montent en puissance. Et le cas italien résonne plus que jamais ici, alors que l’inscription de la liberté d’avorter dans la Constitution doit être votée lundi 4 mars au Congrès, réunissant le Parlement à Versailles.
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