« L’armée qui fait ce qu’elle peut »

Quand l’armée russe massacre des populations civiles, Bernard-Henri Lévy, also known as BHL, philosophe, prend le parti des victimes. Mais quand c’est l’armée israélienne qui fait des hachis d’innocent·es, curieusement, ce versatile penseur prend le parti de l’armée israélienne, pour proclamer aux quatre vents, et à l’unisson de ses avocat·es les plus déshydraté·es, qu’elle est l’armée la plus morale du monde, et qu’à chaque fois qu’en dépit de ses admirables efforts elle tue un enfant, c’est la faute à pas de chance.

Ce tri sélectif ne date pas d’hier : en 2006, quand l’armée israélienne, répliquant à des tirs de roquettes du Hezbollah, avait enseveli le Liban sous un déluge de bombes, BHL, parti en reportage chez les bombardeurs, en avait notamment rapporté l’assertion selon laquelle il y avait « au principe du feu israélien » un « souci prioritaire » d’« évitement » des civil·es – lesquel·les, nonobstant cette admirable délicatesse, avaient tout de même été massacré·es par centaines dans cet assaut.

Après quoi, en janvier 2009, quand le gouvernement israélien, en représailles – derechef – à des tirs de roquette, avait déchaîné contre Gaza un nouveau déluge de fer et de feu qui avait tué 1 300 civil·es – dont beaucoup d’enfants –, BHL s’était de nouveau précipité en Israël, où il avait rencontré, parmi quelques autres admirables humanistes, le gentil Asaf, qui était « patron d’un restaurant à New York », mais aussi, « dans ses périodes de ‘réserve’, pilote d’hélicoptère Cobra » au sein des forces armées israéliennes – et qui lui avait expliqué que « rien ne justifi(ait) la mort d’un gosse », et que, lorsqu’il voyait des civil·es dans sa ligne de mire, il « détourn(ait) son missile ».

On retiendra les noms de celles et ceux qui auront minimisé ou nié la responsabilité des bourreaux.

Et bien sûr, le philosophe, qui ces jours-ci fait la tournée des rédactions parisiennes pour promouvoir son nouveau bouquin, a aujourd’hui un avis – toujours le même – sur le massacre qui dure depuis cinq mois à Gaza. Dans Le Parisien, il a déclaré : « J’ai rarement vu une armée à ce point soucieuse, dans une guerre atroce, d’éviter des victimes civiles. » Puis, invité sur une chaîne du groupe Bolloré – dont la fréquentation ne le gêne donc pas –, il a précisé : « Il y a une distinction entre une armée qui vise exprès les civils, ça c’est par exemple l’armée russe en Ukraine, elle vise exprès les civils, et puis l’armée qui fait ce qu’elle peut avec plus ou moins de succès pour ne pas atteindre les civils, et c’est l’armée israélienne. »

Au jour où ces lignes sont écrites, plus de 32 000 Palestinien·nes de Gaza, dont plusieurs milliers d’enfants, ont déjà été tué·es par l’armée israélienne – compte non tenu de celles et ceux dont les dépouilles gisent encore sous les décombres des quartiers rasés par les bombes. On ne sait si la Cour internationale de justice, plus haute juridiction onusienne, saisie par l’Afrique du Sud, dira finalement de cette abominable boucherie qu’elle est un génocide – mais on retiendra de toute façon les noms de celles et ceux qui auront minimisé ou nié la responsabilité des bourreaux.