La monnaie a-t-elle un pouvoir ?
Le livre de trois économistes formule une proposition de « monnaie volontaire » pour financer les investissements de transition qui ne rapporteront pas de profit. Si l’intention est bonne, elle nécessite d’être discutée.
dans l’hebdo N° 1802 Acheter ce numéro
Trois collègues, Jézabel Couppey-Soubeyran, Pierre Delandre et Augustin Sersiron, publient Le Pouvoir de la monnaie. Transformons la monnaie pour transformer la société (Les Liens qui libèrent). Selon eux, les modes de création de la monnaie bancaire (par crédit ou par acquisition de titres) enracinent la monnaie dans la dette et empêchent de financer la transition sociale et écologique. Ils formulent donc une proposition de « monnaie volontaire » sous la forme de subventions pour financer les investissements de transition qui ne rapporteront pas de profit. Si l’on partage totalement l’intention, leur proposition mérite toutefois discussion.
Cette proposition s’articule autour de deux volets. Le premier instaurerait un institut d’émission, détenant le pouvoir de décider d’une création monétaire qui serait effectuée par la banque centrale, et une caisse du développement durable, qui subventionnerait les investissements socialement et écologiquement nécessaires. Le second volet organiserait le contrôle de la masse monétaire, grâce à des mesures fiscales. Celles-ci seraient constituées d’une contribution monétaire assise à la fois sur les stocks de dépôts en réserves à la banque centrale et sur les flux de transactions monétaires, et d’une compensation écologique d’une extraction ou d’une importation de ressources non renouvelables, et de tout rejet non dégradable dans l’environnement, qui s’apparente largement à une écotaxe pigouvienne.
Quel serait le statut de l’institut d’émission ? Une banque centrale bis ? Une banque publique comme la BPI ou la BEI ? Mais comment s’harmoniseraient-elles ? En quoi une monnaie « à mission » différerait-elle d’un fléchage de la politique budgétaire ? L’émission volontaire ne serait pas en contrepartie d’une dette mais d’une « contribution aux missions du développement durable ». Comptablement, la différence n’est que sémantique.
La monnaie symbolise un rapport social. C’est celui-ci qu’il faut transformer.
Si une région obtient une subvention pour construire un bassin de rétention des eaux de pluie pour éviter les inondations, des investissements seront réalisés et des salaires versés. Il faut donc envisager le « bouclage » du circuit économique. Les auteurs arguent que leur monnaie volontaire serait permanente car elle n’a pas à être remboursée, mais ils envisagent logiquement d’organiser le « reflux » de cette monnaie, sous la forme d’impôts et d’épargne. C’est dire qu’il n’y a pas de « magie » de la monnaie. Elle n’a en soi aucun pouvoir. Seuls ont du pouvoir ceux qui la détiennent et ceux qui en maîtrisent l’évolution.
De là vient la nécessité de rendre à la monnaie son statut d’institution de la société alors que le capitalisme néolibéral a eu au contraire tendance à en privatiser la création, la fonction et la destination. Les auteurs font un pas important dans ce sens, mais leur problématique gagnerait à voir dans la monnaie l’équivalent général du travail socialement validé. La transformation de l’argent en capital toujours plus grand passe par le travail. La monnaie symbolise un rapport social. C’est celui-ci qu’il faut transformer.
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