Dans le Nord, l’écologiste Marie Toussaint tente de lier fin du monde et fin du mois

La tête de liste des Écologistes pour les européennes est venue assister au procès en appel des victimes de la pollution de la fonderie de Metaleurop et a rencontré un agriculteur de la région. Marie Toussaint tente tant bien que mal d’imposer ses thèmes.

Lucas Sarafian  • 21 mars 2024 abonnés
Dans le Nord, l’écologiste Marie Toussaint tente de lier fin du monde et fin du mois
Marie Toussaint, tête de liste des Écologistes, le 15 février 2024 à Saint-Malo, lors d'une manifestation organisée par l'association de protection des océans Bloom contre le navire-usine "Annelies Ilena".
© Damien MEYER / AFP

La salle d’audience paraît presque trop étroite, en ce 20 mars de début de printemps. Quatre fenêtres, une dizaine de rangées de sièges. Une pièce trop banale pour son enjeu. Au sein de la première chambre de cour administrative d’appel de Douai (Nord), 53 habitants d’Evin-Malmaison (Pas-de-Calais) attaquent l’État en justice. Selon eux, il serait responsable d’avoir laissé la fonderie Metaleurop polluer en toute impunité.

Avant sa fermeture en janvier 2003, l’usine, un temps considérée comme la plus grande fonderie d’Europe, produisait 130 000 tonnes de plomb et 100 000 tonnes de zinc chaque année. Elle rejetait dans l’air des poussières de plomb et du cadmium, un type de métal présent dans le cuivre. Des produits éminemment toxiques. Lors de l’année de la fermeture, la zone de 700 hectares qui entoure l’usine est considérée comme le territoire le plus pollué de France. Le site est situé à Noyelles-Godault (Pas-de-Calais), à 3 kilomètres d’Evin-Malmaison.

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Ce mercredi 20 mars, la petite foule d’habitants souhaite réparation. Une deuxième fois. En décembre 2021, ils avaient été déboutés en première instance par le tribunal administratif de Lille. Ils demandent à l’État la dépollution de leur terrain et des indemnisations pour la perte de la valeur de leurs biens immobiliers et des dédommagement pour l’anxiété qu’ils auraient pu ressentir du fait de la peur de contracter une maladie.

Inconnue

Il est presque 14 heures. Une invitée surprise du nom de Marie Toussaint vient d’entrer dans le petit bâtiment en travaux de la cour administrative d’appel. Ni le responsable de la logistique du lieu, ni la greffière ne sont au courant. À vrai dire, ils ne connaissent même pas son nom. L’équipe de la tête de liste des Écologistes pour ces élections européennes avait seulement prévenu l’association Pige (« Pour l’intérêt général des Evinois ») qui épaule les victimes.

Tentant de faire le moins de bruit possible, l’eurodéputée sortante, jean foncé, chemise noire et chaussures de ville, s’assoit au dernier rang de la salle. Personne ne se retourne pour la regarder. À ses côtés, Majdouline Sbai et Amine Kessaci, respectivement 5e et 10e de la liste, et Coline Vanneroy, la directrice de campagne. La petite équipe politique n’est ni connue, ni attendue.

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L’audience débute. Avant d’évoquer le dossier, la présidente liste tous les requérants et souligne les absences de représentants de la préfecture du Pas-de-Calais et du ministère de la Transition écologique. « Le gouvernement n’est pas là ? », chuchote Marie Toussaint à son équipe. Le rapporteur public, Aurélien Gloux-Saliou, prend ensuite la parole.

Son débit est rapide, robotique, les références juridiques s’enchaînent, les dates des lois environnementales du siècle dernier aussi. L’écologiste prend des notes sur son téléphone. Habituée des prétoires, la juriste de formation était aux côtés des « écureuils », ces opposants au projet d’autoroute A69, jugés à Toulouse en janvier, et relaxés. « Son arme, c’est le droit », défend Coline Vanneroy.

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L’exposé du rapporteur public est long et détaillé. La conclusion tant attendue arrive : « Vous devez engager la responsabilité pour faute de l’État en raison de sa carence dans le contrôle de l’usine pendant son exploitation. » Petite victoire. La cour rendra son délibéré le 23 mai. Marie Toussaint et son équipe s’échappent de la salle.

Mépris social

À quelques pas du beffroi qui surplombe la ville et ses successions d’immeubles en briques rouges, l’écologiste se sent un peu soulagée. « La reconnaissance de la responsabilité de l’État dans le contrôle et la surveillance de la pollution est une avancée importante, même si rien n’est reconnu après la fermeture de Metaleurop, relativise-t-elle. Ce cas pourra peut-être ouvrir une nouvelle page pour des politiques publiques plus protectrices. »

On dit à ces gens qu’ils sont malades à cause du tabac ou de l’alcool, et pas à cause de l’état de l’environnement.

Mais l’écolo pointe la frilosité de la justice française à reconnaître le préjudice d’anxiété en ce qui concerne certains dossiers environnementaux, notamment ceux évoquant une exposition à l’amiante. « On dit à ces gens qu’ils sont malades à cause du tabac ou de l’alcool, et pas à cause de l’état de l’environnement. C’est du mépris social. Qui s’intéresse vraiment à eux ? L’écologie doit être là pour porter un discours contre ce mépris, cette “pauvrophobie” et ces atteintes à la santé. »

Et l’absence de représentant de l’État ? « C’est une affaire d’État. Donc c’est choquant qu’il ne soit pas représenté. Peut-être qu’il y a une volonté de ne pas assumer. » Marie Toussaint n’hésite pas non plus à donner un coup de griffe au gouvernement, campagne européenne oblige. « Le gouvernement ne tire pas la leçon de Metaleurop. Avec Thierry Breton et Emmanuel Macron, on a affaibli comme rarement le droit de l’environnement. Et en ce moment, le gouvernement marche sur les rapports scientifiques », pointe-t-elle.

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Une référence au rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) sur les plantes issues des nouvelles techniques génomiques, autrement appelées « nouveaux OGM ». Le ministère de l’Agriculture l’avait reçu en janvier, mais l’avait retenu pendant des semaines, n’étant pas aligné avec les préconisations de l’agence. Le rapport a finalement été publié le 6 mars.

« On est un peu cernés ici »

En dehors des réseaux écolos, l’eurodéputée sortante subit un clair déficit de notoriété dans l’opinion publique. La tâche est encore plus ardue à Douai. Car si le maire, Frédéric Chéreau est socialiste, les habitants ont placé en première position Marine Le Pen à la présidentielle de 2022, avec un peu plus de 28 % des voix. Côté député, c’est Thibaut François, membre du Rassemblement national, qui est arrivé à ravir la circonscription en 2022 à Dimitri Houbron, le député sortant de la majorité présidentielle. « On est un peu cernés ici », admet Stéphanie Stiernon, l’adjointe écolo au maire de Douai déléguée à l’urbanisme, qui accompagne la petite équipe.

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Marie Toussaint sait donc qu’elle est très loin de se retrouver en terrain conquis dans cette ville située sur un ancien bassin minier où le taux de chômage est important. « Avant, c’était une banlieue rouge. Mais il y a eu la désindustrialisation, la perte d’emploi, l’explosion de la précarité. Ici, c’est un condensé des colères. Les habitants sont les grands sacrifiés », assure celle qui a cofondé en 2015 l’association Notre affaire à tous, contribuant à la condamnation de la France pour inaction climatique il y a trois ans.

On est ici au croisement entre justice sociale et crise environnementale.

Avec le cas de figure de Metaleurop, l’élue verte tente de prouver que le discours mêlant fin du monde et fin du mois trouve toute sa pertinence : « On est au croisement entre justice sociale et crise environnementale. C’est une population ouvrière qui est la première victime du changement climatique. Ils ont travaillé toute leur vie, ont acheté leurs maisons qui ne valent aujourd’hui plus rien et leur santé s’est parfois gravement détériorée. »

Marathon

L’agenda de la candidate est chargé. Une campagne électorale ressemble à un marathon. Marie Toussaint et son équipe embarquent dans leurs voitures. Direction Auberchicourt, une dizaine de kilomètres plus loin. La candidate a rendez-vous avec un couple de maraîchers. Thomas vit avec 800 euros par mois. « On a l’impression qu’on est les bouchons de la société », lâche-t-il. « On favorise un mode d’agriculture et d’alimentation qui fait que les agriculteurs n’arrivent pas à vivre », tente de répondre Marie Toussaint.

L’écolo en profite pour faire le service après-vente des propositions de son parti face à la colère des agriculteurs : le versement des aides de la Politique agricole commune (PAC), un plan d’épuration des dettes des petits agriculteurs, la mise en place des prix planchers et d’une sécurité sociale de l’alimentation, l’encadrement des marges de l’agroalimentaire. L’agriculteur n’est pas vraiment un opposant : il est syndiqué à la Confédération paysanne.

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Petit tour sur les chemins de terre de son exploitation. Elle reste sur place environ une heure. La candidate doit être à Lille en fin de journée pour échanger avec Sue Ellen, présidente de Da so vas, un collectif de femmes issue de la communauté des gens du voyage qui se bat contre le racisme environnemental, pour préparer la prochaine marche pour la dignité en avril. Occuper le terrain, sur tous les fronts : une stratégie sur laquelle Marie Toussaint entend bien faire la différence. Cela suffira-t-il ?

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