#MeToo stand-up : « Parler pour que les femmes puissent travailler en sécurité »
Dans une enquête approfondie, Télérama a recueilli le témoignage de 11 femmes accusant l’humoriste Seb Mellia d’agressions sexuelles et de viols. En janvier, Florence Mendez avait lancé l’alerte alors que #MeToo stand-up peinait à émerger. Depuis, elle explique avoir reçu les témoignages de plus de 30 victimes, qu’elle a redirigées vers l’association Derrière le rideau de Mélodie Molinaro. Entretien.
Florence Mendez est humoriste et autrice. En janvier, elle a lancé l’alerte sur les réseaux sociaux après avoir reçu plusieurs témoignages accusant l’humoriste Seb Mellia d’agressions sexuelles et de viols. Aujourd’hui, elle a reçu plus de 30 témoignages mettant en cause ce dernier, qui a annoncé porter plainte contre elle pour diffamation. Télérama publie ce 7 mars une enquête sur le sujet, où 11 femmes accusent le comédien.
Mélodie Molinaro est comédienne et membre du trio humoristique Les Coquettes. En 2021, elle a fondé l’association Derrière le rideau pour libérer la parole sur les violences sexistes et sexuelles dans le milieu du spectacle. Entretien avec deux femmes qui veulent faire bouger les lignes et les consciences.
Quels ont été les éléments déclencheurs qui vous ont conduit à dénoncer les violences sexistes et sexuelles ?
Florence Mendez : Je souhaitais ouvrir un chantier sur les violences sexistes et sexuelles dans le monde du stand-up. J’ai lancé un appel en janvier et très vite, j’ai reçu plusieurs témoignages concernant Seb Mellia. Le 11 janvier, quatre femmes avaient témoigné contre lui. Deux jours plus tard, il jouait à Bruxelles, dans ma ville, dans une grande salle. Si je n’avais rien dit, et que quelqu’un se faisait agresser alors que j’étais au courant, c’était ma responsabilité. J’ai ressenti la nécessité de parler. Au total, j’ai reçu 31 témoignages le concernant.
Des gens reconnaissaient les agresseurs sans qu’ils ne soient cités.
M. Molinaro
Mélodie Molinaro : Je voulais dénoncer tout un système plus qu’untel ou unetelle. En juin 2021, il y a eu un événement au sein du milieu de la comédie musicale, un chanteur comédien coach de The Voice a été accusé de pédocriminalité et condamné. J’ai été choquée par la violence des actes et le fait que tout le monde savait. Cet homme continuait de travailler avec des enfants. Derrière le rideau a d’abord été un podcast où les gens témoignent anonymement.
Et des gens reconnaissaient les agresseurs sans qu’ils ne soient cités, ce qui montre à quel point ils sont connus dans nos milieux. J’ai aussi eu des retours de femmes qui ont écouté les épisodes, et se sont rendu compte qu’elles avaient vécu la même chose. Ensuite, j’ai créé un groupe de parole, un espace bienveillant pour sentir une solidarité, avec une avocate et une psychologue. Au quotidien, entre 10 et 15 personnes me sollicitent. Avec #MeToo stand-up, je suis particulièrement sollicitée en ce moment.
En ce moment, un nouveau #MeToo semble secouer le monde du cinéma avec la prise de parole de Judith Godrèche. Comment expliquez-vous l’écho moindre du MeToo stand-up ?
Florence Mendez : Contrairement au cinéma, le stand-up est un art qui reste une niche. Les grandes stars ne sont pas connues du grand public et les médias s’y intéressent moins. J’explique que des hommes ont commis des viols en série et on me dit que ce n’est pas intéressant, car les noms ne sont pas connus. Comme si c’était un divertissement. Mais #MeToo stand-up ce n’est pas un spectacle. Je ne suis pas là pour divertir les gens, mais pour les avertir. Il n’ y a pas longtemps, un journaliste m’a demandé : « Alors, ça prend ou pas ? » Mais ce n’est pas une mode ou une tendance, je parle pour que les femmes puissent exercer leur travail en sécurité.
Mélodie Molinaro : Dans le milieu du spectacle, on n’a pas de figure populaire comme Judith Godrèche ou Gérard Depardieu, les victimes, c’est horrible à dire, mais tout le monde s’en fout. On considère qu’elles n’ont pas assez d’importance, ou alors il faut qu’il y en ait 20. Et encore. On voit bien avec Seb Mellia, que malgré la trentaine de témoignages, ça ne bouge pas. Beaucoup de femmes ont peur de parler, car elles voient qu’on remet tout le temps en cause la parole des victimes.
Les réactions au Metoo stand-up ont-elles été à la hauteur de la question selon vous ?
Mélodie Molinaro : À part l’humoriste Kevin Razy, très peu d’hommes ont pris la parole sur #MeToo stand-up. Alors que le milieu des humoristes comme celui du théâtre est très petit et très masculin. Ils ont forcément vu ou entendu des choses. Ce serait rassurant que les hommes disent « Allez, on y va ». Et faire un mea culpa : « Je suis désolé, j’ai été témoin, mais je n’ai pas agi. Maintenant, je me place du côté des femmes et des victimes. »
J’ai reçu du soutien, mais aussi des appels au suicide, des menaces de mort, de viol, des message de haine.
F. Mendez
Ce n’est pas parce qu’on est dans l’humour que tout doit être des blagues. Et puis on a accusé Florence Mendez de vouloir faire la promo de son livre. Mais est ce que vous avez écouté ce qu’elle dit ? C’est d’une extrême violence. Il est temps qu’on mette en avant la scène des victimes et non pas celle des agresseurs. Est ce qu’on connaît quelqu’un qui a gagné énormément d’argent et eu une carrière incroyable en dénonçant des violences ? Pas moi.
Florence Mendez : J’ai reçu du soutien, mais aussi des appels au suicide, des menaces de mort, de viol, des message de haine et des moqueries sur mon autisme. On parle de la présomption d’innocence, mais jamais du principe de précaution. Aujourd’hui, on est face à 31 témoignages, il y a un danger immédiat et constant. J’estime que toutes les agressions qui auront suivi ma prise de parole seront de la responsabilité des salles ou de sa production. C’est difficile d’être la première à s’exprimer dans son milieu. Tout le monde fait l’autruche aujourd’hui, mais une fois que le problème sera visible par tous, on fera des chroniques en disant que c’est mal.
Je pense qu’il y a un changement de paradigme qui est en train de s’opérer. Mais à quel prix pour les femmes qui ont parlé en premier lieu ? On applaudit Judith Godrèche et c’est très bien. Mais n’oublions pas qu’il y a quatre ans, Adèle Haenel quittait cette même salle toute seule. Et que certaines émissions ont reçu Patrick Poivre d’Arvor avant Florence Porcel sur les plateaux. C’est un mouvement qui fait des petits, chaque femme qui parle inspire la suivante, et chaque fois que la parole se libère, c’est un domino qui tombe et fait tomber le prochain.
Au moment de l’affaire Depardieu, on a entendu des discours sur « le vieux monde qui s’écroule. » En l’occurence, Seb Mellia a 38 ans. Pensez-vous que ce soit une affaire de génération ?
Florence Mendez : C’est le vieux monde qui a élevé le nouveau. Une année de naissance ne fait pas tout, il faut voir ce qu’il y a en matière de déconstruction. Là où les mecs ont moins d’excuse, c’est qu’ils partagent des plateaux avec des humoristes féministes. La question du consentement, on en parle. Il ne faut pas tomber dans le piège du profil de l’agresseur quel qu’il soit. On peut avoir l’air d’être un bon père de famille, être le mec le plus gentil du monde et violer des femmes.
On peut avoir l’air d’être un bon père de famille, être le mec le plus gentil du monde et violer des femmes.
F. Mendez
Mélodie Molinaro : J’ai espoir dans cette génération, mais on ne peut pas tout porter. Quand je fais des interventions en école de théâtre, j’entends davantage de questionnements que de résistances et c’est bon signe. Mais on ne peut pas tout attendre de la nouvelle génération. Ça ne va pas se faire tout seul. Il y a des choses à mettre en place. C’est de la responsabilité des programmateurs de dire : « Je reporte » lorsqu’un homme est accusé de violences. Tu es spectateur, tu peux ne pas aller voir un spectacle, ne pas le soutenir. Aujourd’hui, il y a encore des écoles de théâtre qui refusent que j’intervienne en disant : « On ne se sent pas concernés ».
Quel impact vos engagements et prises de parole ont-elles eu sur votre travail ?
Florence Mendez : Quelles que soient les circonstances, les gens vont dire qu’en tant que femme, si on dénonce des violences, on le fait par intérêt. J’aurais préféré m’exprimer sur mon roman qui est sorti en janvier, mais quand les médias m’ont invité, j’ai parlé du #MeToo stand-up. Car c’est plus important que ma petite personne. Pourtant, je suis encore vue comme l’espèce de folle qui invente des témoignages. C’est triste. C’est très français, car en Belgique, j’ai fait le journal télévisé et j’ai eu l’impression que ma parole a été très crue. En France, non.
Il y a des gens qui sont rassurés de me savoir sur un projet, car ils savent que s’il se passe quelque chose, ils pourront m’en parler librement.
M. Molinaro
Mélodie Molinaro : Certaines personnes ne veulent pas travailler avec moi. Au départ, mon compte Instagram était anonyme, car je ne voulais pas être blacklistée. Puis, je me suis dit que pour me confier leurs témoignages, les victimes avaient besoin de savoir qui j’étais. Si les gens ne veulent pas travailler avec moi, tant mieux, je ne veux pas non plus travailler avec eux. Cet engagement m’a fermé des portes, mais m’en a ouvert d’autres. Ça me permet de faire le tri sur les personnes avec qui je veux travailler et dans quelles conditions. Il y a des gens qui sont rassurés de me savoir sur un projet, car ils savent que s’il se passe quelque chose, ils pourront m’en parler librement.
Un débat revient souvent sur le fait de « « séparer l’homme de l’artiste ». Prenons la question dans l’autre sens. Dans quelle mesure la nécessité que vous avez ressenti d’agir pour faire bouger les choses dans votre milieu transparaît-elle dans votre travail ?
Florence Mendez : Je crois que la fiction peut permettre d’engager des réflexions profondes. Mon premier roman, Accident de personne, vient de paraître chez Massot, un éditeur engagé qui avait publié Virginie Despentes. C’est l’histoire farfelue d’une femme qui veut se suicider, mais n’arrive pas à le faire. Daphné qui souffre de cette vie finit par la prendre en main et devenir le personnage principal de son histoire. C’est une histoire d’émancipation et de libération qui parle aussi de la santé mentale, quelque chose qui me touche beaucoup.
Mélodie Molinaro : Pour Florence, comme pour moi, notre engagement se voit dans notre art. Je suis dans un trio d’humour, qui s’appelle Les Coquettes. On a une parole féministe, engagée. On a une chronique sur Télématin où on parle de l’actu. Ce sont des choses qui sont ancrées en moi. Avec Florence, on parle en tant qu’artistes. Oui, on est militantes, on a envie de se positionner, mais ça transpire dans notre art, dans qui on est. Et ce n’est pas un effet de mode.
On ne peut pas vivre sans ça. Ça fait partie de nous. Notre art est fait aussi pour libérer la parole, mettre des coups de projecteur sur des sujets sensibles. Mon spectacle « Zourou, au-delà des mots » est sur le handicap. Le fait d’utiliser la légèreté pour parler de sujets tabous sans être moralisateurs, ça fait du bien. L’art peut être utile dans sa forme pour transmettre des messages et conduire à la réflexion.
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