Nouvelles des États désunis

Où notre chroniqueur de bonne humeur s’attarde sur deux beaux livres, Sauver cette terre de Michael Farris Smith et Le Dernier Grand Train d’Amérique, de James Grady.

Sébastien Fontenelle  • 13 mars 2024
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Nouvelles des États désunis
Un drive-in à Middle Point, Ohio, en 2020.
© Megan JELINGER / AFP

Voici deux beaux livres. Le très impressionnant Sauver cette terre (1), de Michael Farris Smith, nous emmène, dans un (très) proche futur qui n’est pas encore complètement une apocalypse mais qui s’en approche dangereusement, à travers le sud des États-Unis, où les intempéries ont ravagé la Louisiane et le Mississippi : dans ce « paysage détrempé », Jessie, traquée par une prédicatrice illuminée et ses adeptes ultra-violents, retourne avec son fils chez son père par « des routes à deux voies traversant des petites villes hérissées de panneaux À VENDRE ou BAIL À CÉDER ou ENTRÉE INTERDITE », entre « moulins et dépôts de bois rouillant en silence, reliques industrielles d’une époque baignée de soleil » et « rangées de mobile homes alignés sur les parkings de centres commerciaux déserts ».

L’intrigue, pour minutieusement ficelée qu’elle soit, est d’abord le prétexte à une méditation sur la dislocation d’un pays – et d’une planète livrée aux tempêtes où les éclairs explosent « avec une violence telle » qu’on croit à des coups de feu. Dans cette fin du monde, et dans la nostalgie des temps « où le vaste ciel n’avait rien d’autre que la lune, le soleil et les étoiles à offrir », l’auteur trouve cependant des raisons d’espérer : son livre, hautement recommandable, est aussi une bouleversante réflexion sur l’amour et la solitude.

James Grady, autre écrivain américain, est un auteur important : on lui doit notamment le mythique Les Six Jours du Condor (2) et le formidable Steeltown (3). Son dernier opus est un huis clos dans un train américain de légende : l’Empire Builder, qui relie Seattle à Chicago en 47 heures. À son bord, dans le fourgon : un coffre-fort rempli de billets de banque usés et retirés de la circulation – tout à fait le genre de fret qui attise les convoitises. Et dans les voitures environnantes, outre une équipe de flics d’élite chargés de surveiller cette précieuse marchandise : des passagers et des passagères qui vont devoir cohabiter pendant deux jours et deux nuits.

L’intrigue, tendue, est ici encore secondaire : l’interminable voyage de ce « dernier grand train d’Amérique » qui donne son titre à l’ouvrage (4) est surtout, pour Grady, l’occasion de parler de son pays – les États-Unis d’Amérique. Pour lequel il ressent d’évidence un profond attachement, mais dans lequel « une folie » capitaliste et raciste et trumpiste « se répand », à laquelle on voudrait échapper – et d’où l’on voudrait bien pouvoir descendre, comme d’un train –, cependant que ses plus magnifiques paysages disparaissent dans la catastrophe climatique, tel ce parc national du Montana, « si prisé des Américains », qui « perd peu à peu » ses « cent cinquante glaciers, car leur fonte s’accélère ».

Dans cette adversité, Grady, radicalisé, réinvente une morale de la résistance drôle et jubilatoire, où le « crime » n’est finalement pas là où on le croit.


(1) Sauver cette terre, Michael Farris Smith, trad. Juliane Nivelt, Gallmeister, 285 pages, 23,50 euros. Chez le même éditeur et au format de poche, on trouve aussi Wayward Pines, réjouissante trilogie fantastique de Blake Crouch.

(2) Adapté au cinéma par Sidney Pollack sous le titre Les Trois Jours du Condor.

(3) Ces deux ouvrages sont parus aux éditions Rivages.

(4) Le Dernier Grand Train d’Amérique, James Grady, trad. Clément Martin, Rivages, 393 pages, 23,90 euros.

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Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

Temps de lecture : 3 minutes
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