La semaine de 32 heures en 4 jours, l’idée que plébiscitent les Français
Derrière la semaine de quatre jours se cachent, en réalité, de nombreux paramètres. Si elle ne s’accompagne pas d’une réduction du temps de travail, tout indique qu’elle s’avérerait une fausse bonne idée.
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« La question du partage du travail fait son retour » « La semaine de 4 jours est possible et pleine d’avantages pour tous »Deux salles, deux ambiances. D’un côté, l’entreprise d’informatique LDLC, plus de mille salariés, passée à la semaine de 32 heures en quatre jours depuis 2021. De l’autre, l’Urssaf Picardie, où la semaine de quatre jours sans réduction du temps de travail a été expérimentée début 2023. Dans la première, la mesure a été appliquée à tous les salariés. « C’était tout le monde ou personne », explique Laurent de La Clergerie, le fondateur et patron de LDLC, qui a d’abord pensé à compresser le temps de travail en quatre jours.
« Je me suis vite dit que 8 h 45 par jour, ça ne passerait pas et qu’il fallait donc réduire le temps de travail, sans baisse de salaire. » La suite est connue car LDLC est devenue le modèle français des 32 heures en quatre jours. De bons chiffres de croissance, un turn-over au plus bas, des gains de productivité, des conditions de travail meilleures pour les salariés. Ceux-ci sont ravis. Le patron aussi – il a même écrit un essai : Osez la semaine de quatre jours !
Pour mener leurs politiques, les yeux rivés sur leurs tableurs Excel, ils ne cessent de réduire les dépenses publiques, remettent en cause les droits des plus fragiles – allocations-chômage, RSA, APL, droits des étrangers, etc. – paupérisent les services publics, le bien commun de tous. Faire de la politique, ce n’est pas ça. Faire de la politique, c’est rêver. C’est penser le monde et améliorer la vie du plus grand nombre. C’est avoir un projet. Pas un programme : un projet. Dans quelle direction allons-nous ? Quelle société voulons-nous ? Comment voulons-nous vivre, comment voulons-nous travailler, produire, consommer ?
Les indicateurs de croissance, le produit intérieur brut, le pouvoir d’achat sont des indicateurs d’économistes. Ils ne devraient pas être la boussole de ceux qui nous gouvernent. Ces repères sont obsolètes. Ils devraient être remplacés par des indicateurs de pouvoir vivre, de bonne santé, d’accès à la culture, à la justice, à l’éducation, à la nature. Combien de mètres carrés réservés aux enfants dans nos villes ? Voilà les paramètres qui devraient déterminer nos politiques publiques. Car l’obsession de la « règle d’or » et de la réduction de la dette conduit inévitablement à une paupérisation généralisée de la population, qui nourrit le ressentiment, et met à mal les engagements écologiques.
Faire de la politique, c’est changer la vie. C’est réformer. Même ce mot « réforme » a été galvaudé, usurpé. Réforme de l’assurance chômage, réforme des retraites : des contre-réformes ! Depuis combien de temps n’avons-nous pas eu de véritable réforme, de celles qui améliorent concrètement et significativement le quotidien de tous ? De celles qui vous ouvrent des droits à une sécurité sociale, à des congés payés, à la réduction du temps de travail ? Voire de celles qui garantiraient un salaire à vie ?
Aujourd’hui, Politis vous propose d’aller plus loin dans la réduction du temps de travail. Une semaine de 32 heures, sur quatre jours, payée 35 heures. Une idée très largement plébiscitée par les Français (70 %). Et même dans l’électorat macroniste (57 %). Elle n’a rien d’une utopie : elle est possible. Et comme nos gouvernants manquent d’imagination, cette semaine de quatre jours pourrait bien être une aubaine pour les caisses de l’État. Travailler moins, c’est travailler mieux. C’est aussi partager le travail avec ceux qui n’en ont pas. Ce sont donc de nouvelles cotisations. Et le chômage qui baisse. C’est aussi notre empreinte environnementale qui diminue. Mais surtout, avec ce temps libéré, c’est une autre société que l’on invente, qui pourrait bien être plus vivable et plus solidaire. Vite, une réforme des 32 heures !
Pierre Jacquemain
« Du point de vue des entreprises qui ont mis en place cette semaine de quatre jours à 32 heures, les retours sont positifs. Même chose côté salariés. Pour certains, il est même impossible d’imaginer revenir à cinq jours », explique Jean-Yves Boulin, chercheur associé à l’Irisso-université Paris Dauphine, qui enquête actuellement auprès d’entreprises sur la semaine de quatre jours avec réduction du temps de travail.
Dans la seconde salle, la petite musique est bien différente. Début 2023, le ministre des Comptes publics, un certain Gabriel Attal, annonce en grande pompe une expérimentation de la semaine en quatre jours au sein de l’Urssaf Picardie. La grosse différence ? Ce passage ne s’accompagne d’aucune réduction du temps de travail. Mais de la compression des 36 heures hebdomadaire sur quatre jours. Soit des journées de travail atteignant 9 heures, sans compter les temps de trajet et la pause déjeuner, bien sûr. Le test est un « fiasco total », pour reprendre les termes de la directrice adjointe de l’administration picarde, Anne-Sophie Rousseau. Sur les 200 salariés à qui l’on a proposé ce changement, seuls trois s’en sont emparés.
Ces deux exemples, antagonistes, illustrent parfaitement les débats sur la semaine de quatre jours. Promue par certaines franges de la gauche comme par des néolibéraux ou des patrons en manque de personnel, l’expression regroupe, en fait, des réalités bien diverses selon les paramètres retenus. Avec ou sans réduction du temps de travail ? Avec ou sans baisse de salaire ?
Aujourd’hui, la semaine de quatre jours est devenue l’apanage d’une idéologie plutôt libérale. En témoignent les annonces récentes de Gabriel Attal, désormais Premier ministre. Lors de son discours de politique générale à l’Assemblée nationale, il demande à ses ministres « d’expérimenter la semaine en quatre jours, sans réduction du temps de travail », dans « leurs administrations centrales et déconcentrées ». Le 17 mars, dans La Tribune Dimanche, il annonce vouloir mettre en place « la semaine différenciée » pour les parents divorcés. En quatre jours lorsqu’ils gardent leurs enfants. En cinq quand ces derniers sont chez l’autre parent. Une mesure pour « travailler mieux », selon le Premier ministre.
« Travailler mieux »
Gabriel Attal ne semble toutefois pas franchement disposé à regarder de près les retours d’expérimentations qu’il lance à tour de bras. Car, justement, si le test au sein de l’Urssaf Picardie a été un tel échec, c’est notamment parce que cette semaine « en quatre jours » ne permettait pas de concilier vie professionnelle et vie parentale. Comment, en effet, amener et aller chercher ses enfants à l’école quand une journée de travail dure 9 heures ? Les trois salariées volontaires pour l’expérimentation dans l’administration picarde étaient des femmes sans enfants.
Malgré tout, cette idée de « travailler mieux » est souvent mise en avant par les porteurs de la semaine « en » quatre jours – donc sans réduction du temps de travail. « J’ai observé des secteurs composés essentiellement de métiers d’exécution qui mobilisent la semaine en quatre jours pour attirer de la main-d’œuvre, comme l’hôtellerie-restauration », souligne Pauline Grimaud, postdoctorante en sociologie au Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET), qui enquête actuellement sur la semaine de quatre jours.
Autrement dit, certaines entreprises de métiers dits « en tension » en font un argument de marque pour recruter. « Ce qui est intéressant, c’est que la semaine en quatre jours s’appuie sur l’idée de redonner du sens au travail. Mais elle est principalement portée par des gestionnaires et des responsables RH. Elle devient une politique managériale qui permet de ne pas envisager d’augmentation salariale, par exemple », poursuit la sociologue.
Le risque de la semaine « en » quatre jours est celui de l’intensification du travail.
Le risque, dans cette compression du temps travaillé en quatre jours, est celui de l’intensification du travail par des journées à rallonge et donc d’autant plus pénibles. Un risque déjà bien connu des travailleurs français qui ont vu l’intensité de leur travail largement augmenter entre les années 1980 et aujourd’hui, comme le souligne l’enquête Conditions de travail et risques psychosociaux de la Dares, l’institut statistique du ministère du Travail.
Un risque qui existe aussi dans la semaine « de » quatre jours avec, donc, réduction du temps de travail à 32 heures par semaine, sans baisse de salaire. Comme cela avait été le cas avec le passage aux 35 heures au début du siècle. « Les 35 heures nous ont appris que la réduction du temps de travail a des effets plutôt favorables sur l’emploi, au prix d’une intensification du travail », souligne Christine Erhel, économiste, directrice du CEET.
70 % des Français sondés se déclarent favorables à l’instauration de la semaine de 4 jours (32 heures payées 35) dans les entreprises publiques et privées. Dans le détail, les jeunes y sont le plus favorables (84 %). Seuls les plus de 65 ans n’y sont pas majoritairement favorables (49 %).
77 % des actifs sondés y sont favorables. Un chiffre qui monte à 81 % pour les femmes actives. Soit 8 points de plus que les hommes (73 %). Un écart qui s’explique certainement par l’inégale répartition des tâches domestiques et de la charge éducative, qui entraîne des doubles journées.
L’intégralité du sondage est à consulter ici.
« On a assisté à une réduction des temps de pause et de tout ce qui était périphérique au travail en lui-même pour essayer de récupérer une productivité plus importante du temps de travail. Et comme en France la pression est souvent mise sur les salariés, est-ce que l’effet d’un passage à 32 heures en quatre jours ne sera pas de mettre encore plus de stress et de pression sur leurs épaules ? », questionne-t-elle.
Les gains de productivité : un des indicateurs les plus régulièrement mis en avant par les défenseurs de la réduction du temps de travail. Selon plusieurs études, celle-ci permet aux salariés de se sentir mieux au travail et donc d’être plus productifs. « Chez nous, ça a fait du bien à tout le monde, et donc tout le monde a mieux travaillé », explique Laurent de La Clergerie.
Chez nous, ça a fait du bien à tout le monde, et donc tout le monde a mieux travaillé.
L. de La Clergerie
Malgré tout, plusieurs métiers ne sont pas forcément sujets aux gains de productivité. À LDLC, par exemple, les personnels en boutique sont contraints par les horaires d’ouverture et de fermeture des magasins. Pour passer aux quatre jours à 32 heures, sans baisse de production, le recrutement devient obligatoire. « Effectivement, on a dû recruter pour nos boutiques, mais c’est la seule exception. Les autres métiers de l’entreprise ont compensé la réduction du temps de travail par une meilleure organisation du travail et une meilleure productivité », glisse le patron de l’entreprise.
Partager le travail
Créer de l’emploi en partageant le travail. Voilà un des effets majeurs mis en avant par ceux qui prônent une réduction du temps travaillé. « On l’a vu avec les 35 heures, ça permet d’embaucher bien plus que les aides aux entreprises », souligne Catherine Giraud, secrétaire confédérale de la CGT. On estime aujourd’hui que plus de 350 000 emplois ont été créés lors du passage aux 35 heures. La CGT, seul syndicat – avec Solidaires –, à défendre largement les 32 heures en quatre comme en cinq jours, pense que cela pourrait créer jusqu’à 4 millions d’emplois.
Un chiffre très important – et difficilement vérifiable – qui a le mérite de poser le débat clairement. « La nouvelle réduction du temps de travail que nous proposons doit s’accompagner de créations d’emplois et doit aussi prendre en compte une meilleure organisation du travail. Elle ne doit pas se traduire par une hausse de l’intensification du travail, au contraire », écrit la confédération dans un livret pour expliquer et défendre sa mesure.
Lors du passage aux 35 heures, l’absence de recrutement dans le secteur hospitalier l’avait, par exemple, largement désorganisé. « Un des grands paradoxes des 35 heures est que l’État ne s’est pas engagé à embaucher. Le résultat a été un recours massif à des heures supplémentaires dans certains services, l’accumulation de jours de congé dans des comptes épargne-temps et une désorganisation visible à l’hôpital avec une réduction drastique des temps de tuilage entre équipes », explique l’économiste Philippe Askenazy dans un article intitulé « Les 35 heures en France : pourquoi sont-elles toujours en débat ? » (publié dans la revue Dynamiques régionales, n° 10, 2021).
Un des grands paradoxes des 35 heures est que l’État ne s’est pas engagé à embaucher.
P. Askenazy
Ainsi, pour que la réduction du temps de travail aille de pair avec une meilleure conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle, et émancipe les travailleurs, elle doit absolument s’accompagner de recrutements massifs. C’était d’ailleurs une des mesures du programme de Jean-Luc Mélenchon pour atteindre le plein-emploi. Une politique à l’opposé de celle promue actuellement par le gouvernement. Dans la quête de ce même objectif du plein-emploi, celui-ci mène en effet une politique de l’offre qui vise à n’augmenter le coût du travail sous aucun prétexte.
Les lois Aubry – sur le passage aux 35 heures – avaient essayé de concilier ces deux approches en baissant le temps de travail tout en accordant des exonérations de cotisations aux entreprises pour ne pas augmenter leurs coûts. Plus de vingt ans après, l’équation n’est plus la même alors que les aides aux entreprises sont toujours plus importantes et que les bénéfices des grandes multinationales atteignent des records. « Oui, il faudrait accompagner les TPE/PME et les services publics pour qu’il y ait des embauches à la clé. Mais le coût du capital n’a jamais été aussi élevé », rappelle Christine Giraud.
Un choix de société
Un avis plutôt partagé par Christine Erhel : « Dans le contexte actuel, on peut toujours avoir l’objectif d’augmenter l’emploi en réduisant le temps de travail. Mais l’incitation par des baisses supplémentaires de charges pour les entreprises ne serait pas justifiée aujourd’hui. » Surtout, outre les paramètres purement économiques, réduire la durée du temps de travail est un choix de société, que ce soit sur quatre ou cinq jours. « Le sens de l’histoire » pour la secrétaire confédérale de la CGT, organisation qui lutte depuis des décennies en ce sens.
Sortir de l’emprise d’un travail toujours plus intense et pénible, avoir plus de temps libre pour des activités socialement ou écologiquement utiles, améliorer la sécurité des travailleurs, permettre aux femmes qui disposent d’un temps partiel subi de bénéficier d’un temps plein : autant d’objectifs louables que pourrait permettre la mise en place des 32 heures. « On changerait l’ambiance du pays. De toute notre société ! », s’exclame même, plein d’emphase, Laurent de La Clergerie.
Un changement largement plébiscité par les Français, comme en atteste notre sondage Ifop pour Politis. Un changement, malgré tout, qui ne semble pas être à l’ordre du jour pour le gouvernement. Pourtant, celui-ci, en surfant sur la vague de la semaine en quatre jours, montre qu’il a compris cette évolution sociétale vis-à-vis du travail, dont le mouvement social contre la réforme des retraites a été le catalyseur. Mais la compression du temps de travail ne permettra pas de « travailler mieux », pour reprendre les termes du Premier ministre. Pour cela, plus que la semaine de quatre jours, c’est la réduction du temps de travail, et son partage effectif qui en seraient la notion cardinale.