« 3 000 vaches pour 1 200 habitants : un projet absurde, à l’image de la politique agricole »

TRIBUNE. Radicalement opposés à cette ferme-usine, Victor Pailhac, Azelma Sigaux et Fiona Vanston, coordinateurs nationaux de la Révolution écologique pour le vivant (REV), estiment que son abandon devra initier la révolution végétale et éthique qui s’impose à notre humanité.

Victor Pailhac  et  Azelma Sigaux  et  Fiona Vanston  • 11 avril 2024
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« 3 000 vaches pour 1 200 habitants : un projet absurde, à l’image de la politique agricole »
Manifestation contre un projet de ferme-usine de 1 000 vaches, le 7 janvier 2014. Dix ans plus tard, la course au gigantisme continue.
© Michel Soudais

Les habitants de Peyrilhac en Haute-Vienne l’ont appris par quelques affichettes discrètes : un projet d’élevage intensif pourrait bien voir le jour dans leur village. Si elle aboutissait, cette ferme-usine de vaches serait même la plus importante de l’histoire du pays, avec 3 100 bovins présents simultanément sur le site. Cette annonce, représentative de l’absurdité de notre modèle agricole, intervient alors que notre gouvernement réaffirme ses engagements en faveur de l’agro-industrie et des élevages les plus mortifères.

Tandis que les experts du monde entier et les plus grandes organisations spécialistes de la santé, du climat et de la biodiversité s’accordent sur la nécessité de réduire la consommation de viande, et la taille des cheptels bovins en particulier, la création d’un tel établissement déconnecté des réalités serait une véritable erreur politique.

Enquête publique : les citoyens majoritairement contre

L’enquête publique, annoncée aux habitants en même temps que le projet de ferme-usine, a ouvert le 11 mars et doit prendre fin le 12 avril. Elle devra être suivie des conclusions de l’évaluation environnementale, dont la demande a été déposée il y a plusieurs mois dans la plus grande opacité.

L’opposition quasi-unanime des citoyens concernant la ferme des 3 000 vaches de Peyrilhac sera-t-elle prise en compte par les autorités ?

Et tandis que de leurs côtés, les services de l’État n’ont relevé « aucun motif de rejet parmi ceux prévus par l’article R. 181-34 du code de l’environnement », et que la Mission régionale d’autorité environnementale n’a pour l’instant émis aucun avis, la population, elle, a déjà exprimé sa ferme opposition à ce projet. Sur près de 800 pages de contributions, la grande majorité illustre la consternation des citoyens, qu’ils soient riverains ou non.

Sur le même sujet : Fermes ou usines à viande ?

Sur la plateforme en ligne, les raisons du rejet varient, mais elles concernent surtout les atteintes à l’environnement et la condition animale. Les contributeurs disent notamment s’inquiéter des conditions de détention des animaux, mais aussi des dégâts sur la biodiversité et de la pollution des eaux. Certains alertent aussi sur l’approvisionnement en eau d’un tel projet, à l’heure où les épisodes de sécheresse se multiplient. Beaucoup s’interrogent sur le paradoxe entre les crises écologiques et sociales actuelles et ce projet à contresens de ces réalités.

L’opposition quasi-unanime des citoyens concernant la ferme des 3 000 vaches de Peyrilhac sera-t-elle prise en compte par les autorités ? Face à l’absence de considération envers l’avis des experts du GIEC, de la Cour des comptes, de l’ANSES et de l’OMS sur la nécessité de réduire drastiquement la consommation de viande, le doute est permis.

Un chantier qui semble avoir déjà commencé

Alors que la population vient tout juste d’apprendre l’existence de ce projet dit de « ferme d’engraissement », qui devrait concentrer plusieurs milliers de vaches sur une surface foncière de 56 hectares au total, selon des militants sur place, les témoignages des riverains laissent penser que les travaux préparatoires ont déjà débuté depuis plusieurs années. Car face au manque de transparence sur ce qui se prépare, un collectif d’opposition s’est monté et a mené sa propre enquête.

Selon nos informations locales, l’exploitation actuelle (…) ferait l’objet depuis quelque temps de mystérieux travaux d’agrandissements.

Ainsi, selon nos informations locales, l’exploitation actuelle, détenue par un certain M. Thomas et vouée à être revendue au groupe agroalimentaire T’Rhéa, ferait l’objet depuis quelque temps de mystérieux travaux d’agrandissements. Des bâtiments de stockage auraient été transformés en bâtiments d’élevage et quatre bâtiments de 3 346 m² chacun auraient été construits il y a moins de deux ans. Une forêt de chênes et d’acacias aurait même été rasée à la même période, ainsi que des haies vives et des zones humides.

Si cela ressemble déjà à une démarche d’industrialisation et si ces travaux questionnent sur l’ancienneté du projet de ferme-usine, ils interrogent surtout sur ce qui a permis leur réalisation. Comment est-il possible qu’une telle atteinte à la biodiversité ait pu être autorisée par le maire et le préfet ?

Une politique européenne et nationale favorable aux pires pratiques

Dans une société raisonnable, ce projet démentiel, autant contraire à l’éthique qu’aux enjeux écologiques et sanitaires, aurait dû immédiatement interpeller nos dirigeants. Malheureusement, l’Europe comme la France semblent davantage s’intéresser aux requêtes des lobbies agro-industriels et de l’élevage qu’à la protection du vivant.

Ainsi, une récente étude scientifique parue dans Nature Food alerte sur la manière dont sont distribuées les aides de la politique agricole commune : 82 % des subventions soutiennent directement ou indirectement l’élevage, un secteur pourtant responsable de la majeure partie des émissions de gaz à effets de serre, pour ne parler que du climat.

Il y a urgence à fermer les élevages intensifs, parce qu’il est nécessaire de végétaliser l’agriculture.

Côté national, la politique n’est pas davantage favorable à la transition végétale et écologique : dans son projet de loi Orientation Agricole, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a notamment promis des mesures facilitant l’installation des nouveaux éleveurs, y compris en cas de contentieux. En février dernier, le Premier ministre a annoncé une aide de 150 millions d’euros aux éleveurs. À la même période, le gouvernement a présenté un projet de décret pro-élevages intensifs, offrant à certains d’entre eux un permis de polluer, grâce à un rehaussement des seuils déclenchant les contrôles environnementaux.

Sur le même sujet : L’agriculture sacrifiée

Quant aux forces écologistes de ce pays, que l’on croirait davantage enclines à protéger le vivant, il est malheureusement difficile de compter sur elles lorsqu’il est question de soutenir les propositions concrètes pour réduire les élevages, en dépit de la cohérence politique. En témoigne la présentation, ce 4 avril lors de la niche parlementaire EELV à l’Assemblée nationale, d’un amendement rédigé par le député de la REV Aymeric Caron : ce texte proposait d’accompagner financièrement les éleveurs qui végétaliseraient leur activité. La rapporteure de la loi, Marie Pochon, a demandé le retrait de l’amendement et a émis un avis défavorable.

Face à la régression, initions une révolution pour le vivant !

Parce qu’il y a urgence à fermer les élevages intensifs, parce qu’il est nécessaire de végétaliser l’agriculture, parce que nos dirigeants et représentants politiques sont majoritairement désintéressés de ces questions, nous devons leur faire entendre la voix de la raison.

L’abandon de la ferme-usine des 3 000 vaches est une priorité absolue, pour son cas particulier, mais aussi pour ce que ce projet représente. Cet abandon devra initier la révolution végétale et éthique qui s’impose à notre humanité.

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