À la Maison des métallos, des mineurs isolés se mobilisent pour leurs droits
Depuis le 6 avril, des mineurs isolés du collectif des jeunes du parc de Belleville ont décidé d’occuper ce lieu parisien symbolique des luttes sociales, pour dénoncer leur situation, davantage fragilisée par l’arrivée des Jeux olympiques.
« Moi, j’ai risqué ma vie pour venir en France, j’ai traversé la Méditerranée. Au final, c’est de la merde, oui je peux le dire. » Mame Thierno, un Guinéen membre du collectif des jeunes du parc de Belleville, arrivé il y a six mois, s’indigne. « Nos conditions de vie sont inacceptables, donc avec le collectif, on a jugé nécessaire d’occuper la Maison des métallos », ajoute-t-il. « Tous les jeunes présents ont déjà fait une demande de reconnaissance de mineurs isolés, et tous ont été refusés, s’exaspère Jeanne, un de leurs soutiens. Ils attendent depuis des mois leur réponse à leurs recours, en errant dans les rues de Paris sans aucune prise en charge. »
Avant le collectif, je dormais sous les ponts.
S. Salah
Dans ce lieu du 11e arrondissement parisien, symbole des plus grandes luttes sociales, il y a plusieurs salles : pour manger, dormir et se réunir. « Ça fait trois mois que je suis en France, je n’ai aucune famille alors maintenant, je suis avec le collectif sinon je dois dormir dehors », se désole Mamou, un jeune logé grâce au collectif. Une situation similaire à celle de Sidibé Salah, un ivoirien arrivé en février : « Avant que le collectif vienne jusqu’à moi, je dormais sous les ponts, c’est eux qui ont fait pression pour qu’on puisse dormir dans des gymnases. »
« Le droit à une vie digne »
Les jeunes peuvent entrer et sortir librement, il y a environ cent mineurs isolés qui dorment chaque nuit dans ce lieu. « Ici, les non hébergés peuvent rester la nuit, mais la plupart sont déjà dans des gymnases prêtés par la mairie », explique Elias, un autre soutien. « Mais ce n’est pas une solution pérenne, les jeunes ici viennent juste revendiquer leurs droits d’obtenir un lieu où ils peuvent dormir sans s’inquiéter de se faire virer du gymnase où ils sont », ajoute-t-il.
Lors de la conférence de presse de ce 18 avril, tous ont redemandé l’application de leurs droits fondamentaux : « Le droit au logement, à la santé, à l’école et surtout à une vie digne. » « L’État français se dit garant des droits des femmes, or, il laisse dormir dehors des filles mineures, souvent victimes de viols pendant leur parcours migratoire, s’indigne Milor, une membre du collectif. C’est inhumain et inacceptable. » Cette jeune fille de 16 ans vit dans la Maison des métallos avec une dizaine de congénères, elles aussi en attente de leur recours auprès de la juge pour enfant. « Les évaluations de reconnaissance sont racistes avec des questions pièges qui ne nous laissent aucune chance, se désespère-t-elle, les filles qui ont la peau plus foncée se font systématiquement refuser. »
« Le collectif s’est formé seul »
Depuis septembre des mineurs non accompagnés âgés de 14 à 17 ans se sont réunis en collectif, suite à l’évacuation du parc de Belleville. « Nous avons pu obtenir 615 places dans des gymnases grâce à notre mobilisation et nos différentes occupations », indique Fouss, l’un de ses délégués. Mathieu, un soutien de la Marche des solidarités, se réjouit : « Ils ont réussi à pousser les mairies à les recevoir alors que ces institutions ferment les yeux au quotidien, ils s’organisent seuls pour leurs droits, c’est incroyable ! »
Ces jeunes-là, ils sont incroyables, il faut les écouter !
Elias
Mais à l’approche des Jeux olympiques et paralympiques, la préfecture de Paris annonce la réquisition de ces gymnases. Face à cette situation, chaque gymnase a désigné ses propres délégués. « Il fallait absolument faire le lien entre tous les mineurs isolés qui occupaient les gymnases, pour une meilleure mobilisation », explique Jeanne. « Ils nous ont dit que le 16 avril, on allait être à la rue, donc c’est pour ça qu’on a commencé à se mobiliser, explique Mame Thierno. « Depuis notre mobilisation n’avons de pas nouvelles de la préfecture. »
« Les associations ont baissé les bras par la multitude d’échecs qu’ils ont depuis un certain temps, alors il fallait bien qu’ils prennent le relais », ajoute-t-il. En effet, hormis un soutien matériel venu notamment d’Utopia 56 ou de Médecins du monde, le collectif tient seulement grâce aux dons. « Les associations ne passent qu’une seule fois par semaine, Utopia nous a prêté toutes les couvertures et d’autres nous donnent de la nourriture. Mais le collectif s’est formé tout seul », indique Elias. « Ces jeunes-là, ils sont incroyables, il faut les écouter ! » insiste-t-il.
« Je n’ai qu’une seule envie, aller à l’école »
Dans l’immense hall de la Maison des métallos, un planning d’activités : atelier journal, cours de français, foot, suivi juridique, etc. En train d’écouter de la musique, Sidibé Salah, un Ivoirien en France depuis trois mois, raconte : « Ici, je peux me reposer, je peux manger et je peux dessiner aussi. » Des dessins recouvrent un mur de la salle du haut. « Nos dessins, ils veulent dire beaucoup de choses. Moi, j’adore le foot donc je dessine des footballeurs », raconte Mame, en riant.
Amadou, un Guinéen en France depuis bientôt un an, complète : « Moi ça fait deux mois que je suis avec ce collectif. On se mobilise pour nos droits, parce que je n’ai qu’une seule envie : aller à l’école. » « Moi, je dors dans un gymnase, mais je viens ici la journée pour donner de la force aux autres qui n’ont pas de places. Mais aussi pour ne pas rester tout seul, c’est difficile d’être dans un autre pays, avec une autre culture, sans tes parents. Surtout avec l’État qui nous traite comme des délinquants », s’attriste Mame. « C’est important de ne pas rester seul dans notre situation, le collectif permet de ne pas l’être », ajoute-t-il.
Une solidarité qui pourrait être mise à mal, par la solution donnée par l’État : les envoyer dans d’autres régions ; une solution accentuée à l’approche des JO, provoquant un « nettoyage social » que dénoncent le collectif et d’autres associations. « En région, on va être complètement dispersés et on perdra le lien qu’on a avec les autres jeunes », s’alarme Mame. « Je ne veux pas aller dans une autre région, c’est à Paris que je gère toutes mes démarches administratives, et puis je ne suis pas tout seul ici », explique Amadou, en attente depuis trois mois de son recours auprès de la juge pour enfant.
« Nos amies, nos recours, notre vie est ici, à Paris », insiste Mame Thierno. Un traitement fortement critiqué aussi par leurs soutiens, comme Jeanne : « Pour eux, c’était soit la région, soit rien, c’est inacceptable. » « Quand c’est pour les JO, la mairie de Paris et la préfecture peuvent travailler ensemble, mais là ils ne font que se renvoyer la balle », dénonce-t-elle. Le 16 avril, le collectif a envoyé une lettre ouverte adressée à la mairie de Paris, pour demander un soutien réel face à l’État, en dépassant le cadre la mission d’urgence sociale.
« Montrer que la septième puissance mondiale ne prend pas ses responsabilités »
L’adjointe au maire chargée de ce dossier se défend face à une responsabilité, qui incombe selon elle à l’État : « Nous sommes limités dans nos moyens d’agir, nous faisons déjà le maximum et c’est une impasse dramatique pour tout le monde surtout pour ces jeunes », juge Léa Filoche, qui « assume un soutien total à ce collectif », car « ils ont raison de pas se laisser faire ». Et d’ajouter : « Même si la pression des JO est réelle, je ne pense pas que la réponse de l’État aurait été plus satisfaisante. » « Pendant les JO, les caméras seront braquées sur la France, c’est à ce moment-là qu’il faut montrer que la septième puissance mondiale ne prend pas ses responsabilités », signale Fouss, un délégué du collectif, en conférence de presse.
« L’arrivée des jeux augmente les violences policières à notre encontre, ils ne veulent plus voir de migrants dans les rues, nous empêchant même de dormir dehors », alerte Franck, un autre délégué. Une situation vécue, il y a une semaine, dans ce lieu occupé : « Des policiers sont venus plusieurs fois, même en civil, juste pour nous provoquer ! s’indigne Jeanne. Ils avaient des gazeuses à la main et une policière avait un patch ‘La faucheuse’ sur son uniforme. » Vendredi dernier, une mobilisation du collectif a permis d’obtenir le soutien d’associations, de collectifs, de syndicats et de certains élus. Ce 19 avril, une nouvelle manifestation est prévue pour rejoindre des travailleurs migrants devant Adoma, une résidence sociale. Une convergence des luttes est espérée par le collectif et leurs soutiens.