Au procès des militants basques de Louhossoa, un parquet antiterroriste obtus
Les 2 et 3 avril derniers, à Paris, Jean-Noël « Txetx » Etcheverry et Béatrice Molle-Haran répondaient de leur participation à l’opération de désarmement de l’organisation de lutte armée ETA en 2016, à Louhossoa, au Pays basque. Avec cette question : un acte illégal, mais qui s’est avéré légitime, mérite-t-il d’être puni ?
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Mais en filigrane, au fil des plaidoiries de leurs avocats, le parquet national antiterroriste (PNAT), représenté par la procureure Aurélie Valente, se retrouve lui aussi interpellé. Huit ans après, la cascade d’événements positifs qui a découlé de l’opération de Louhossoa en valide la pertinence, au point que l’audience a semblé instruire un vieux cas de conscience d’école : un acte illégal, mais qui s’est avéré légitime, mérite-t-il d’être puni ? Et pour simplifier l’étude, les deux prévenus — « Artisans de la paix » comme ils ont été dénommés au Pays basque —, ne contestent nullement l’élément matériel des infractions. « Si c’était à refaire, je le referai, conclura Txetx Etcheverry. Sauf si on a mieux à me proposer. »
Dans son réquisitoire, la procureure a fustigé les deux prévenus pour s’être « improvisés armuriers et artificiers » en transportant une grande quantité d’armes et d’explosifs (15 % de l’arsenal d’ETA) — dont elle détaille à plusieurs reprises la composition, comme pour renforcer le risque pris le 16 décembre 2016. Mais elle a surtout voulu démontrer qu’ils ont sciemment fait le jeu d’ETA : selon la thèse du PNAT, l’organisation était « exsangue », acculée par des opérations de police des deux côtés de la frontière franco-espagnole, et cette opération menée en solo par des militants de la société civile lui a offert une porte de sortie.
Les deux prévenus « se sont inscrits dans un plan écrit par ETA qui visait à protéger ses membres et rendre impossible l’investigation sur leurs faits, selon son calendrier et ses conditions, sans aucun contrôle, assène Aurélie Valente. Et l’intentionnalité de l’action est un fait objectif : elle découle de la confiance accordée à l’organisation que l’on sait terroriste, nul besoin d’en être sympathisant ou adhérant à son idéologie. »
Avec l’aval du sommet de l’État
La veille, après le passage à la barre des six témoins présentés par la défense, on pressentait cependant que la tâche de la procureure ne serait pas aisée, et les avocats de la défense ont sévèrement attaqué son réquisitoire. D’abord en plaidant que les « Artisans de la paix » (leur surnom) ont agi « en état de nécessité », ce qui, en droit, les exonère de responsabilité pénale. Alors qu’ETA avait annoncé sa volonté de désarmer depuis 2011, aucune démarche n’avait depuis été entreprise par les gouvernements espagnol et français.
À l’espoir avaient succédé une grande désillusion et la crainte d’un retour des armes au Pays basque. Une lecture appuyée par la quasi-unanimité des élus locaux. Entre autres conséquences positives de Louhossoa : trois mois et demi après, le 8 avril 2017, la quasi-totalité de l’arsenal d’ETA a été remise aux autorités françaises, l’organisation s’est dissoute l’année suivante et les conditions de détention des prisonniers basques se sont nettement assouplies depuis.
Deux témoignages de luxe, présentés à la barre par de grands commis de l’État, révèlent notamment le singulier arrière-plan de l’opération de désarmement du 8 avril 2017. Sa concrétisation sera permise par l’intermédiation des mêmes Artisans de la paix qui ont organisé Louhossoa (1). Et cette fois-ci, l’opération se monte avec l’aval du plus haut échelon de l’État, nommément le Premier ministre Bernard Cazeneuve et le président de la République François Hollande, « sous l’injonction que rien de ce qui sera entrepris ne le soit sans que le Parquet en soit informé et de manière transparente », rapporte à la barre Éric Morvan, alors préfet des Pyrénées-Atlantiques.
Ils étaient six à l’époque. Stéphane Etchegaray (photographe) n’a pas été poursuivi, Michel Berhocoirigoin (agriculteur et ex-secrétaire national de la Confédération paysanne), l’avocat Michel Tubiana (ex-président de la Ligue des droits de l’Homme), et Michel Bergougnan (viticulteur) sont décédés depuis.
Txetx Etcheverry, auquel ETA a renouvelé sa mission d’intermédiation, lui expose le plan de remise de l’arsenal de l’organisation. Il sera son seul intermédiaire à ce sujet. « La confiance s’est peu à peu établie avec les Artisans de la paix. D’ailleurs, je connaissais bien l’un d’eux, Michel Berhocoirigoin, qui m’a beaucoup marqué par ses convictions, un homme profondément attaché à sa terre. Je n’ai jamais vu en lui un quelconque amoureux ni une quelconque caution du terrorisme. »
Le plan sera donc validé, ajoute-t-il, par le procureur de Bayonne ainsi que le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris. « Rien n’est écrit, ils donnent leur accord formel par oral. Ça se passe entre gens de bonne foi. Notre souci, à l’époque, c’était le terrorisme islamique, et pas ETA. Nous étions avant tout préoccupés par l’existence d’une grande quantité d’armes sur le territoire. Elles pouvaient tomber entre les mains de n’importe qui. »
Au regard de l’histoire, il faut savoir prendre des chemins de traverse.
É. Morvan
Un an et demi plus tôt, le 13 novembre 2015, Paris et sa banlieue étaient la cible d’attentats ayant fait 130 morts et 413 blessés. « Avec le pragmatisme de tous les acteurs, j’ai donc vu dans l’opération du 8 avril une occasion à saisir. À défaut, nous aurions pu être confrontés à une restitution de l’arsenal d’ETA dans une désorganisation très problématique. En droit pur, nous étions plus qu’aux marges de la légalité judiciaire. Au regard de l’histoire, il faut savoir prendre des chemins de traverse. J’en ai eu la conviction forte au soir du 8 avril. »
Patrick Baudouin, avocat de la défense, insiste. « Avec le recul du temps, vous est-il apparu qu’il était important de démanteler cet arsenal en raison d’un danger pour la pacification le Pays basque ? ». Confirmation de l’ex-préfet. « C’est pour moi une évidence. Je n’ai pas d’autre vocabulaire pour exprimer aujourd’hui ce que j’ai ressenti alors. »
Autre témoin de poids, Matthias Fekl, ministre de l’Intérieur de mars à mai 2017, renforce cette conviction. « C’est grâce à la coopération des autorités préfectorales, judiciaires, gouvernementales et de la société civile du Pays basque qu’une opération d’une telle envergure a été possible. J’ai régulièrement été confronté à des opérations terroristes. Je ne tiendrais pas de tels propos si cette coopération n’avait pas été utile, ou qu’il y ait eu des terroristes parmi les Artisans de la paix. »
Débat politique
Xantiana Cachenaut, avocate de la défense et forte de vingt ans de pratique des affaires basques en lien avec ETA, situe la nature politique du débat. « C’est un moment historique. D’expérience, c’est la première fois que des représentants de la société civile et de l’État à son plus haut niveau parlent d’une seule voix. Mais alors que je pensais que le parquet national antiterroriste allait ratifier a posteriori le chemin initié par les procureurs de l’époque, ma déception est grande de constater qu’il n’a pas bougé d’un iota depuis quinze ans, alors que la situation est aujourd’hui totalement différente. Le PNAT poursuit un raisonnement obtus. »
Considérant la personnalité des prévenus, leur absence de casier judiciaire et de tout lien avec ETA, la procureure a requis des peines « clémentes ». De la prison avec sursis, un an pour Béatrice Molle-Haran, et deux ans pour Txetx Etcheverry, avec interdiction de détenir une arme pendant cinq ans, et sans inscription au Fichier des auteurs d’infractions terroristes (Fijait).
Le motif légitime de l’action – désarmer –, détruit l’infraction présentée par le parquet.
J-F. Blanco
La défense pour sa part réclame la relaxe pure et simple. Et si elle déploie largement la justification politique, elle s’appuie tout autant sur des arguments juridiques. « Où se trouve l’intention des Artisans de la paix de commettre une infraction ? Les faits leur ont donné raison, plaide Jean-François Blanco. Le motif légitime de l’action – désarmer –, détruit l’infraction présentée par le parquet, qui veut écrire cette histoire. Le droit ne peut pas s’écarter de la justice à ce point. » Le délibéré a été fixé au 16 mai prochain.