« Borgo », infernal engrenage

Stéphane Demoustier met en scène une surveillante de prison en proie à la mafia corse. Magistralement mené et intelligent.

Christophe Kantcheff  • 16 avril 2024 abonné·es
« Borgo », infernal engrenage
Pas de violence spectaculaire ni de scène tonitruante pour faire « typique ». La rigueur du propos et celle de la mise en scène sont au rendez-vous.
© Le Pacte

Borgo / Stéphane Demoustier, 1 h 57.

Stéphane Demoustier poursuit dans la veine judiciaire, après La Fille au bracelet (2020). Cette fois-ci, il porte sa caméra au sein du milieu carcéral, dans la prison de Borgo, en Corse. D’emblée, on sait que ce cinéaste n’en fera pas trop : pas de violence spectaculaire ni de scène tonitruante pour faire « typique ». La rigueur du propos et celle de la mise en scène sont au rendez-vous. L’action se situe dans un secteur particulier de la prison, celui où sont regroupés les détenus corses, où arrive une nouvelle surveillante, Melissa (Hafsia Herzi).

Melissa est la véritable héroïne de Borgo. D’où un équilibre dans le scénario entre les scènes où elle exerce son métier – en imposant le respect mais avec humanité – et celles où on la voit chez elle, avec son mari, Djibril (Moussa Mansaly), et ses deux enfants. Venu de la région parisienne, le couple souhaite prendre un nouveau départ. Mais Djibril est exposé au racisme dans la cité où ils viennent d’emménager.

Engrenage mortifère

L’intrigue se met en place selon une mécanique imparable sans que rien paraisse factice pour autant. D’un côté, la police enquête sur un double assassinat, dont on voit mal au départ le lien avec Melissa. De l’autre, celle-ci retrouve dans la prison de Borgo un jeune détenu déjà croisé à Fleury-Mérogis, qui s’avère être lié à la mafia corse. Ses ennuis de voisinage sont à l’origine de l’engrenage mortifère dans lequel Melissa va se laisser prendre. On n’en dira rien ici, sinon que son métier l’y expose et que le film montre que tout un chacun aurait pu y succomber.

Sur le même sujet : « La Fille au bracelet », de Stéphane Demoustier : La place de la parole

Hafsia Herzi est remarquable. Préférant le jeu intérieur aux marques démonstratives, elle interprète avec subtilité une Melissa solide, aimant son métier et sachant affronter les problèmes de « matonne », de femme et de mère, sans voir, cependant, tous les dangers se profiler.

La montée du suspense s’accompagne d’une réflexion implicite sur le point de vue. La police a recours avant tout aux caméras de surveillance, tandis que l’œil du cinéaste épouse le regard de Melissa. Il en résulte deux réalités possibles, le spectateur éprouvant une nette préférence pour l’une des deux, qui n’est pas forcément la plus « objective ». Mais quelle est la plus juste ? En plus d’être magistralement mené, Borgo est un film intelligent. Chapeau !

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Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes