« Je n’ai qu’une hâte : quitter l’hôpital public »
Directions sourdes, directives déconnectées, dégradation des soins : Nathalie explique le mal profond que traverse la santé publique hospitalière.
dans l’hebdo N° 1805 Acheter ce numéro
Un an après nous avoir alertés sur ses conditions de travail en tant qu’infirmière, Nathalie revient sur le mal profond de l’hôpital public, entre une direction sourde, des nouvelles directives déconnectées de la réalité et une dégradation des soins.
Depuis la création, il y a un an, du plan de mobilité des personnels, j’ai observé de multiples problèmes : les aides-soignant·es (AS) passent officier·es ou même agent·es de service hospitalier (ASH), c’était déjà le cas mais cela s’est accentué. Nouveauté : les infirmier·es diplômé·es d’État (IDE) passent très souvent sur la fonction AS parce que, paraît-il, nous en manquons : c’est un non-sens. Les ASH sont contraint·es dorénavant de circuler dans six ou sept services (un ou deux auparavant). Ils et elles n’ont pas toujours deux jours de repos dans la semaine, travaillant le week-end, les jours fériés : ils et elles sont épuisé·es.
On nous vend le « travailler ensemble » en binôme AS-IDE. C’est une bonne idée, mais lorsque nous ne sommes que deux pour douze patient·es, c’est impossible de travailler correctement ! Cette réorganisation des soins, paraît-il, rendrait l’hôpital plus attractif pour les soignant·es. On nous impose une journée de travail de douze heures, quasi non-stop : c’est insoutenable pour la santé à long terme ! Celles et ceux qui restent ne tiendront pas. Il y aura soit des arrêts-maladies, soit des départs : autant d’expériences qui manqueront à l’hôpital.
On nous impose une journée de travail de douze heures, quasi non-stop.
Nous avions alerté sur les aspects négatifs de ce plan de mobilité, mais la direction n’a rien voulu savoir : plusieurs postes de soignant·es supprimés et une accentuation de la pression du travail pour les autres. Depuis quelques mois, la charte qui permet la création d’une équipe de remplacement pour une mobilité sur plusieurs services (six ou sept) n’est pas respectée (week-ends, jours fériés, vacances acceptées, etc.). Celles et ceux qui font ce choix sont contraint·es d’accepter (ou de démissionner) et les contractuel·les n’ont pas leur mot à dire.
Nous n’avons pas de moyens, le matériel est défectueux ou obsolète. Des problèmes numériques persistent : perte de temps de travail et un logiciel plein d’erreurs. Nos locaux ne sont pas correctement entretenus : il n’y a aucune isolation. Difficile d’obtenir du matériel pour soigner les patient·es. Difficile d’avoir un·e technicien·ne, puisqu’une intervention est subordonnée à une demande informatique effectuée par les soignant·es. Nous manquons de temps.
Il n’y a pas assez d’effectifs pour effectuer les formations obligatoires. Non pas par manque de formateurs et de formatrices, mais par manque de participant·es : on ne peut pas les libérer de leur horaire en tant que soignant·es, donc on leur demande de venir pendant leur temps de repos. J’ai l’impression de me trouver dans la situation de France Télécom dans les années 2000, mais en pire, car il s’agit de la santé et de la vie de la population que l’on met en balance pour des questions de rentabilité, tout en mettant notre santé en danger !
Il s’agit de la santé et de la vie de la population que l’on met en balance pour des questions de rentabilité.
La direction ne nous écoute pas. Elle s’intéresse beaucoup plus à la « com » mais ne se sent pas concernée par les moyens d’appliquer ses directives. Toutes les décisions en lien avec le terrain sont laissées aux cadres supérieurs : des « managers ». Ils ne sont pas soignants et sont complètement déconnectés du travail de terrain. Pour eux, nous serions trop « empathiques ». Ils causent une véritable désorganisation des soins, car ils n’ont pas de formation aux plannings. Ils considèrent la transmission orale entre deux équipes inutiles : intolérable et très dangereux !
Lorsqu’on les alerte, ils nous répondent « on ne vous retient pas, allez voir ailleurs ». Il y a un abandon des soins non lucratifs, avec une multiplication des actes même inutiles parce que cela « rapporte », et les médecins sont incité·es à le faire depuis la tarification à l’activité. J’ai réalisé des examens ophtalmologiques – cela rapporte de l’argent – sans qu’ils soient interprétés par un·e médecin. Les patient·es pensent avoir un suivi correct : ce n’est pas le cas.
Ce qui se passe à l’hôpital est révoltant, scandaleux. Je suis dégoûtée, sonnée, déprimée.
Mon constat est sans appel : les soins se dégradent. Les patient·es ne s’en rendent pas compte, ils et elles bénéficient de l’hôpital de jour ou de semaine et, si tout se passe bien, sont content·es. Mais combien d’autres sont laissé·es de côté ? Celles et ceux n’ayant pas de famille ou de proches ? Celles et ceux à qui l’on a refusé des soins ? Qui n’ont pas d’aide à domicile ? Qui n’ont pas d’accompagnement de fin de vie ? Ce qui se passe à l’hôpital est révoltant, scandaleux. Comme beaucoup de mes collègues, j’ai malheureusement dépassé ce stade de la révolte et je suis plutôt dégoûtée, sonnée, déprimée. Et je n’ai qu’une hâte : quitter l’hôpital public.
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