Européennes : à gauche, deux salles, deux ambiances
Et revoilà le vieux refrain des gauches irréconciliables. D’un côté, un candidat de compromis qui réactive le logiciel social-démocrate. De l’autre, la rupture brandie comme moteur de la gauche. Les vieux réflexes hégémoniques menacent une possible réconciliation après les élections.
dans l’hebdo N° 1806 Acheter ce numéro
Les uns souhaitent s’appuyer sur les scores des européennes pour justifier un rééquilibrage des forces. Les autres accusent les premiers de remettre en question le niveau de radicalité de l’union. Pourtant, la promesse était belle. En partant divisées aux européennes, les familles de gauche allaient mener campagne sans s’invectiver, renforcer leurs électorats respectifs et faire élire plus d’eurodéputés.
Les tenants de cette stratégie expliquaient calmement qu’au lendemain du scrutin tout le monde se retrouverait pour construire les fondations d’un rassemblement renforcé, écrire un programme commun, réfléchir au mode de désignation du candidat qui se présenterait sous les couleurs de la gauche unie en 2027. La promesse était belle… mais elle s’est écroulée face à la réalité.
Fin mars, devant l’Association des journalistes parlementaires, le sénateur écologiste Yannick Jadot déclarait : « Si nous voulons nous donner une perspective de victoire en 2027, ça doit se faire sur un projet beaucoup plus équilibré […]. Et, de fait, ça ne peut pas être le programme de la Nupes, qui était très largement le programme insoumis de la présidentielle. » Deux jours plus tard sur Franceinfo, la tête de liste du Parti socialiste, Raphaël Glucksmann, affirmait : « Il faudra une union de la gauche après ces élections, mais ça ne sera pas sur la ligne de Jean-Luc Mélenchon. Et ces élections doivent permettre de trancher. »
Glucksmann fait figure de candidat d’une gauche de compromis contre une gauche qui revendique la conflictualité.
Les appareils politiques sont accros aux sondages. Et les socialistes se réjouissent du score potentiel de leur tête de liste, loin derrière Jordan Bardella (Rassemblement national) et à quelques points derrière Valérie Hayer (Renaissance) mais devant tous les autres candidats de gauche. Peut-être perçoivent-ils dans ces enquêtes d’opinion l’opportunité d’un rééquilibrage dans une Nupes 2.0 ? Certains y voient surtout l’occasion d’abaisser le niveau de radicalité de leur propre formation. En cela, Glucksmann fait figure de candidat d’une gauche de compromis contre une gauche qui revendique la conflictualité, portée par Manon Aubry, tête de liste de La France insoumise.
François Hollande va même plus loin. Le 14 avril, sur France 3, l’ancien président rêve de réactiver le logiciel social-démocrate après ces européennes : « Si la liste de Raphaël Glucksmann arrivait à être à 12 ou 13 %, ce serait une victoire car ce serait la première formation à gauche. À ce moment-là, une recomposition est possible. » En réponse, les insoumis estiment qu’il n’est pas question de tirer un trait sur les 22 % obtenus par Jean-Luc Mélenchon en 2022.
Dans une note de blog publiée début avril, Manon Aubry considère que « prétendre repartir sur les bases d’une social-démocratie éculée, même repeinte aux couleurs de l’écologie, c’est ignorer les appels à une transformation radicale que les élections de 2022 ont rendus évidents ». En clair, un réflexe hégémonique en réponse à un autre.
Voilà donc le retour du vieux refrain des deux gauches irréconciliables, triste thèse énoncée par Manuel Valls en 2016.
Voilà donc le retour du vieux refrain des deux gauches irréconciliables, cette triste thèse énoncée par Manuel Valls en 2016, pourtant contredite au moins une fois par la naissance de la Nupes, deal électoral mais aussi accord programmatique. Certes, tout n’a pas été réglé en 13 jours et 13 nuits : des désaccords profonds existent encore, notamment sur les questions internationales – qu’il s’agisse de la guerre de la Russie contre l’Ukraine ou des conflits au Moyen-Orient.
De là à justifier une rupture définitive… Ceux qui exploitent cette campagne électorale choisissent d’ignorer les désirs des électeurs de gauche qui s’entendent sur l’exigence d’un programme de rupture comme sur l’impératif de l’unité. Ils réduisent dans le même temps à peau de chagrin toute perspective de victoire : aux européennes comme à la prochaine élection présidentielle.
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