« Le recyclage est un écran de fumée qui masque l’ampleur de la pollution plastique »
Flore Berlingen est une militante écologiste spécialiste des enjeux liés aux ressources et aux déchets. Autrice de Recyclage : le grand enfumage et cofondatrice de l’Observatoire du principe pollueur-payeur, elle déconstruit les mythes sur la question du recyclage.
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Pollution plastique : vers un traité international, enfin ? Dans la Manche, on piège, on analyse et on recycle les déchets plastiquesPourquoi avoir choisi le terme d’enfumage ?
Flore Berlingen : J’utilise le terme d’enfumage au sens d’écran de fumée, c’est-à-dire quelque chose qui dissimule la réalité du problème. Il ne s’agit pas de dire que le recyclage ne sert à rien, mais de pointer que le recyclage agit comme un écran de fumée qui masque l’ampleur de la pollution plastique. Le problème va au-delà de la fin de vie du plastique sous forme de déchets. La pollution plastique est présente à toutes les étapes du cycle de vie, et, ce, dès la production. Alors qu’il faudrait penser le problème dans son ensemble, le recyclage est présenté comme une solution miracle. On pourrait même croire qu’il annule l’impact environnemental du plastique, et ça c’est vraiment trompeur.
On pourrait croire que le recyclage annule l’impact environnemental du plastique, et ça c’est vraiment trompeur.
Seulement 11,7 % des déchets plastiques recyclés ont été transformés en matières premières. Comment expliquer de telles pertes au cours du processus du recyclage ?
Sur l’ensemble des déchets plastiques générés en France, une partie seulement est triée, et ce qui est trié n’est pas forcément recyclable. Il y a certes le problème des erreurs de tri – minime – et de l’insuffisance du fameux « geste de tri » du citoyen, mais il y a aussi et surtout la question de la recyclabilité des plastiques, qui relève des choix des producteurs. Si on s’intéresse au cas des emballages, les résines plastiques utilisées ne sont pas toutes recyclables, pour des raisons techniques ou économiques, lorsque la rentabilité de la filière n’est pas au rendez-vous.
En bref, tout n’est pas trié, tout n’est pas recyclable, et enfin sur le processus en lui-même il y a une perte de qualité de la matière qui fait qu’on a du déchet. C’est ce qui aboutit à ce qu’on n’ait que 11,7 % des déchets transformés en matières premières recyclées utilisables par les fabricants.
L’objectif de 100 % de plastiques recyclés souhaité par Emmanuel Macron est-il réaliste ?
C’était son objectif de campagne, qui est assez irréaliste, puisque techniquement comme économiquement, c’est impossible aujourd’hui. Il existe des obstacles techniques, comme la présence de différents additifs chimiques constitutifs du plastique, qui constituent des entraves au recyclage en boucle fermée. Aujourd’hui, la grande majorité du recyclage s’effectue sous forme de « downcycling », c’est-à-dire qu’on récupère la matière mais qu’on ne refait pas la même chose. Pour avoir un réel impact, le recyclage doit viser la boucle fermée.
Selon l’OCDE, la production de plastique va tripler d’ici à 2060 si on suit la tendance actuelle. Pourquoi n’existe-t-il pas de réglementation plus stricte ?
Jusqu’à présent, l’objectif politique n’a jamais été de réduire la production plastique à proprement parler. Il a plutôt été question de régler le problème des déchets plastiques. Certains produits en plastique jetables ont été interdits parce qu’on les retrouvait dans la nature, mais il n’y a jamais eu un objectif clair et affiché de réduire la production. Cette optique décroissante n’a jamais été assumée politiquement, et c’est pour ça qu’on se retrouve avec des mesures de « petit pas ».
L’optique décroissante n’a jamais été assumée politiquement.
C’est très bien de promouvoir l’usage de plastique recyclé, mais si ça ne se traduit pas par une baisse de la production de plastique vierge, il y aura juste plus de plastique. Motif d’espoir, en ce moment se négocie le futur traité sur les plastiques à l’échelle internationale. Parmi les points de discussions, il y a l’idée de fixer un plafond de production à l’échelle mondiale de plastique vierge. C’est ce que demandent en tout cas les ONG environnementales et un certain nombre de pays. C’est une perspective qui est vraiment intéressante, parce que c’est évidemment à l’échelle internationale qu’il faut l’envisager.
Quel rôle les lobbies jouent-ils actuellement dans le maintien de cette production effrénée ?
Ils sont actifs, voire hyperactifs à tous les niveaux. Il y a les plasturgistes, les producteurs de matières plastiques, mais il y a aussi les lobbies des utilisateurs de plastique. Certaines industries – et notamment dans l’agroalimentaire – sont complètement dépendantes du plastique jetable. Elles se battent aussi pour éviter que des réglementations soient plus ambitieuses. Récemment, l’action des lobbies a par exemple retardé le processus de révision de la directive européenne sur les emballages et a beaucoup réduit les ambitions. C’est inquiétant. En France, on est dans une orientation intéressante en faveur de la réutilisation des emballages, mais, mais cette dynamique pourrait être affaiblie si elle n’est pas étendue au niveau européen.
Le recyclage constitue-t-il une forme d’effet rebond sur la production des plastiques ?
Il y a effectivement une forme de fuite en avant, dans la mesure où le recyclage permet aux industriels de retarder des réglementations plus strictes. Le recyclage ne permet pas de « découplage » qui permettrait une croissance de production des plastiques tout en réduisant les déchets. On est pour l’instant sur une perspective d’augmentation de la production mondiale, et le plastique recyclé ne se substitue pas pour l’instant au plastique vierge à l’échelle globale. On est dans une addition.
Le recyclage permet aux industriels de retarder des réglementations plus strictes.
Quel rôle les consommateurs peuvent-ils jouer dans la réduction des plastiques ? Peuvent-ils vraiment avoir un impact significatif à l’échelle individuelle ?
Je crois que l’action individuelle en la matière est très limitée. On peut bien sûr essayer de contribuer le moins possible au problème en faisant des choix personnels, mais il faut absolument que le cadre change. Sinon ça restera un parcours du combattant et l’affaire d’une minorité. Je crois qu’il faut plutôt privilégier l’action collective et politique. C’est là-dessus que les citoyens peuvent se mobiliser, faire pression et militer. On pourrait aussi imaginer un changement qui vienne des entreprises. Là encore, je ne crois pas aux approches volontaires – même si on peut avoir de bonnes surprises -, car d’une manière générale, les actions envisagées se limitent au recyclage sans faire d’efforts sur la production. C’est un piège dans lequel les pouvoirs publics tombent régulièrement.