La gauche grecque, du pouvoir à la marginalisation

Avec l’arrivée au pouvoir d’Alexis Tsipras en 2015, le pays devait faire figure de modèle pour les gauches radicales d’Europe. Près de dix ans plus tard, Syriza cumule les échecs électoraux et les espoirs se sont éteints.

Angelique Kourounis  • 3 avril 2024 abonnés
La gauche grecque, du pouvoir à la marginalisation
Alexis Tsipras, ex Premier ministre, annonçant sa démission de la direction du parti Syriza à Athènes, le 29 juin 2023, après la lourde défaite aux élections.
© SPYROS BAKALIS / AFP

Pas vraiment de débat, pratiquement pas d’articles dans la presse, pas d’affiches dans les rues, le moins que l’on puisse dire est que les élections européennes du 9 juin ne passionnent pas les Grecs. Encore moins à gauche qu’à droite, et pour cause. Porté par une vague d’espoir sans précédent, Alexis Tsipras, Premier ministre grec et président de Syriza, parti de la gauche radicale, était en 2014 le candidat à la présidence de la Commission européenne pour l’ensemble de la gauche européenne, qui voyait les lendemains qui chantent à portée de pouvoir.

Dix ans plus tard, Syriza cumule les échecs électoraux. Il est devenu le fossoyeur des espoirs d’une gauche grecque totalement déboussolée depuis l’implosion du parti lors de l’élection de son nouveau président en septembre 2023. Une élection inédite aux allures de primaire américaine, où Stefanos Kasselakis, inconnu au bataillon et ancien trader de la banque Goldman Sachs, s’est imposé.

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Tous les anciens ministres du gouvernement Tsipras ayant mené une bataille acharnée contre la rigueur imposée par les créanciers du pays, qui ont mis les Grecs à genoux, ont été, à la surprise générale, désavoués sans pitié. « Kasselakis apportait un vent nouveau et, surtout, il n’avait aucune usure du pouvoir », relève Manolis Biblis, journaliste à la télévision nationale ERT. Cela n’a pas empêché onze cadres historiques, fondateurs du parti pour certains, de claquer la porte. Ils ont refusé de rendre leur siège, tant au Parlement européen qu’au Parlement national, pour créer la Nouvelle Gauche.

Parmi les contestataires, Sia Anagnostopoulou, ancienne ministre des Affaires européennes sous le gouvernement Tsipras : « Nous avons quitté Syriza car, après les élections nationales de 2023 et le départ de Tsipras, le parti a commencé à migrer vers le centre d’une manière apolitique, démunie d’identité et d’orientation idéologique », assure-t-elle. Et d’ajouter : « Cela a commencé en 2019 lorsqu’un groupe au sein de Syriza a engagé une transformation vers un parti du centre, avant de devenir le courant dominant. » Ce ne sont pas les déclarations, en février, de Stefanos Kasselakis qui la contrediront.

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« Je veux devenir Premier ministre avec une empreinte plus grande que celle d’Andreas Papandreou», a martelé le nouveau patron de Syriza. La comparaison en a surpris plus d’un. Andreas Papandreou n’est autre que le fondateur historique du Parti socialiste, le Pasok, qui a changé du tout au tout la société grecque. Et l’ancien courtier de préciser : « Le parti que je veux construire sera centriste en matière économique, ‘Andreas’ en matière d’affaires nationales et de défense, et progressiste pour le reste. » Son ambition est de transformer Syriza en un parti démocrate.

La politique de Syriza, durant la crise et bien après, a été vécue comme une trahison.

Y. Pretenderis

«Le Syriza d’aujourd’hui n’a rien à voir avec le Syriza que nous avons construit», lâche Sia Anagnostopoulou. De fait, les électeurs s’y retrouvent de moins en moins. Les sections de jeunesse de Syriza ont quitté le navire les unes après les autres et leurs aînés sont de plus en plus déboussolés. Irini Kondaridou, syndicaliste, est désabusée : «Tsipras a donné raison à ceux qui disaient ‘Ne prenez pas Syriza au sérieux, ils ne savent pas gouverner’. Syriza et la gauche tout entière vont se traîner cette casserole pendant des années. »

Yannis Pretenderis, éditorialiste au journal progouvernemental Ta Nea, n’hésite pas de son côté à parler d’un « véritable traumatisme national ». «À droite, Syriza a fait peur. Le centre s’est senti délaissé et, à gauche, la politique de Syriza, durant la crise et bien après, a été vécue comme une trahison. Il va falloir des années pour dépasser cela. Syriza et la gauche au gouvernement sont un chapitre clos. »

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L’eurodéputé Kostas Arvanitis (Syriza), qui fustige ceux qui ont quitté le parti, balaie ces déclarations : « Toute l’Europe vire à droite, voire à l’extrême droite. Mais seule la Grèce a un parti de gauche qui peut et veut gouverner. On doit saisir cette opportunité et expliquer notre travail aux gens. » Sia Anagnostopoulou met en avant, elle aussi, cette nécessité d’un lien renouvelé avec la population : « Nous n’avons pas su expliquer les raisons de notre échec à sortir le pays de la crise et c’est cela que l’on paye maintenant. On a laissé croire, nous et les socialistes européens qui ont trahi, qu’il n’y avait pas d’autre choix pour sortir de la crise que la politique libérale. Désormais, il faut replacer les idées de gauche au centre du débat pour toucher ceux qui doutent. Surtout les jeunes. »

Ll faut replacer les idées de gauche au centre du débat pour toucher ceux qui doutent.

S. Anagnostopoulou

Créditée pour les européennes de 2,5 % des intentions de vote, la Nouvelle Gauche espère envoyer un député à Bruxelles. « Ce sera difficile mais pas impossible », relève Kaliopie Kountouri, réalisatrice, qui songe à transformer son abstention en vote pour ce parti. Pari difficile à tenir si l’on en croit Fabien Perrier, auteur du livre Alexis Tsipras. Une histoire grecque (Les Pérégrines, 2019), pour qui on assiste désormais «à un retour des grands partis et à l’effondrement des mouvements». Reste, souligne-t-il, qu’«en voulant à tout prix élargir son électorat, Syriza a oublié d’où il venait et n’a pas su renouveler sa base ».

De fait, Syriza n’a pas réussi à tisser des liens horizontaux avec la société grecque. Il n’a aucun relais dans les institutions et les associations. Pas de think thank pour expliquer et défendre ses idées, et pratiquement aucun élu local dans tout le pays. Il est avant tout un parti urbain. Tout le travail reste à faire. Un travail qui aurait dû être mené durant les quatre dernières années où il était dans l’opposition.

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