Fédérations sportives : le piètre score de la gouvernance
Défaut de prise en compte des violences sexistes, gestion autocratique, copinage et réseautage, corruption… Les instances du sport doivent se réformer d’urgence.
Dans le même dossier…
Passer du sport santé au sport plaisir « Il n’y a pas plus géopolitique que les Jeux olympiques »En ce mardi 30 janvier, l’amphi-théâtre du Comité national sportif olympique (CNOSF) est rempli pour les traditionnels vœux. Toutes les fédérations et ce que le monde du sport compte de notables se trouvent réunis un verre à la main. Amélie Oudéa-Castéra se présente devant eux en toute confiance. « Elle était en famille, elle avait des choses à dire », confiera un proche de la ministre au Monde. Effectivement, elle traverse alors une tempête, sa nomination au poste de ministre de l’Éducation nationale ayant viré au cauchemar. Devant les siens, elle joue la victime et se pose en « symbole d’une caste privilégiée à combattre, à abattre ».
Ces propos très personnels vont droit au cœur de l’assistance. D’ailleurs, une tribune de soutien a été signée par une cinquantaine de président·es de fédération sportive et de directeur·rices techniques nationaux·ales. Une démarche surréaliste, ne serait-ce que parce que ces dernier·ères appartiennent à l’administration que dirige la ministre. Et Fabienne Bourdais, directrice des sports, numéro 2 du ministère, a dû, sur ordre de Matignon, les rappeler à leur devoir de réserve, toute-fois sans sanction.
Peu importe, la ministre se dresse en bouclier, notamment face au rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les dysfonctionnements des fédérations, rendu en janvier 2024. « Je suis heureuse de servir de paratonnerre mais je ne laisserai pas le sport se faire insulter. » Les députées Béatrice Bellamy (Horizons) et Sabrina Sebaihi (Les Écologistes), respectivement présidente et rapporteuse de cette commission d’enquête, ne sont guère étonnées par ce mépris envers les élu·es du peuple, surtout dans ces murs. Six dirigeants ont d’ailleurs été signalés pour parjure à la justice après leur audition. « Elle aurait pu avoir un mot pour les victimes qui ont été auditionnées dans le cadre de la commission d’enquête, ce qu’elle n’a pas fait », réagira Sabrina Sebaihi auprès du Monde.
Un entre-soi nocif
Finalement, cette séquence illustre parfaitement l’un des maux qui semblent gangrener cette fameuse gouvernance du sport en France, résumé dans une expression un peu fourre-tout, « l’entre-soi ». « Vous allez retrouver une cinquantaine de noms qui tournent à tous les postes. Même la ministre des Sports a été auparavant la directrice générale de la Fédération française de tennis (FFT) », constate la députée des Hauts-de-Seine. Le rapport avait pointé les rémunérations très élevées de certains responsables du tennis, dont les 400 000 euros de brut annuel et 100 000 euros de prime d’objectif d’Amélie Oudéa-Castéra.
Quand nous avons commencé nos travaux, 42 fédérations n’étaient pas à jour sur le contrôle d’honorabilité.
S. Sebaihi
Toutefois, cet entre-soi a aussi des conséquences concrètes bien plus nocives, par exemple dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. « Pour les victimes que nous avons auditionnées, on sent qu’elles n’ont pas confiance dans leurs instances, ni même dans les dispositifs du ministère. Elles ont peur de ne pas être prises au sérieux. Quand nous avons commencé nos travaux, 42 fédérations n’étaient pas à jour sur le contrôle d’honorabilité. »
Un sentiment compréhensible quand on entend David Lappartient, président du CNOSF, regretter à demi-mot sur France Info la libération de la parole : « Des bénévoles se sont sentis attaqués et hésitent aujourd’hui à accueillir des jeunes filles dans des clubs parce qu’ils ont peur d’être attaqués pour des -comportements qui pourraient être jugés inappropriés. » Tout est donc la faute d’ingrates qui osent parler… No comment.
Colin Miège, président du -comité scientifique du think tank Sport et Citoyenneté, soulignait non sans ironie, sur le site des Décideurs du sport, la multiplication des commissions. Évoquant la publication du rapport de la commission parlementaire à peine deux mois après celle du rapport d’une commission « visant à renforcer l’éthique dans le sport » mise en place par le ministère, il constatait : « Sans prendre parti ici pour l’un ou l’autre des rapports, dont la tonalité diffère sensiblement, force est de constater que leur existence même confirme que notre mode d’organisation sportive laisse encore à désirer, et qu’il reste perfectible sous bien des aspects. »
Pouvoir pyramidal
Les fédérations sont en effet entrées en crise toutes seules. Le coup de projecteur des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) a eu aussi cet effet pervers qu’elles n’avaient pas anticipé, trop occupées à s’échanger les places VIP pour les finales d’athlétisme. Impossible désormais de continuer à dissimuler certains problèmes structurels derrière le paravent du simple fait divers. La très bourgeoise FFT est confrontée à une contestation interne contre son président, Gilles Moretton. Une lettre a été adressée au Premier ministre, Gabriel Attal – la ministre des Sports ayant été dessaisie du dossier pour éviter les conflits d’intérêts –, par un collectif de « bénévoles anonymes », dirigeants de club, de comité départemental ou de ligue régionale, dénonçant le chaos social parmi les salariés ou l’absence de contrôle en interne.
À la Fédération française d’escrime, grande pourvoyeuse de médailles olympiques, le président, Bruno Gares, a démissionné en septembre 2023 à la suite d’un signalement au Procureur de la République pour soupçon de malversation. La liste n’est pas exhaustive, du rugby aux sports de glace.
La situation est inquiétante, car par ailleurs le sport, notamment associatif, constitue un espace essentiel de la cohésion sociale.
La situation est inquiétante, car par ailleurs le sport, notamment associatif, constitue un espace essentiel de la cohésion sociale, en particulier auprès de la jeunesse ou dans la lutte contre la sédentarité, notamment chez les seniors. « On compte pas moins de 17 millions de licenciés et 3 millions de bénévoles. Le sport véhicule de nombreuses valeurs importantes et, globalement, cela fonctionne sur le terrain », défend Sabrina Sebaihi.
Pour Béatrice Barbusse, vice-présidente déléguée de la Fédération française de handball (FFHB) et sociologue, le diagnostic doit être élargi. « Le principal problème est le manque de vie démocratique. Un manque de débat également, notamment en direct avec les licenciés. On retrouve dans les instances une forte proportion d’hommes, qui sont toujours les mêmes, des organismes à géométrie variable avec beaucoup de cumuls de fonctions. Il faut aussi reconnaître que les licencié·es adoptent de plus en plus une attitude de simples consommateur·ices. »
Le rôle de l’État se retrouve souvent au centre des critiques. Certes des progrès législatifs (l’obligation de la parité dans les instances, par exemple) ont été remarqués. Cependant, dans le code du sport, la notion de tutelle exercée par l’État sur les fédérations, vieil héritage du gaullisme, a été remplacée par le terme de « contrôle » en 2021, sans qu’en soient définis la portée ni le sens. Néanmoins, le principe selon lequel les fédés « exercent leur activité en toute indépendance » favorise indirectement la reproduction d’élites, qui camouflent souvent un exercice du pouvoir pyramidal et autoritaire derrière un apolitisme de pure forme.
Pour l’économiste du sport Pierre Rondeau, codirecteur de l’Observatoire du sport de la Fondation Jean-Jaurès, « l’entre-soi se fabrique aussi de la sorte. Il n’existe pas de contrôle direct de l’État, seulement une logique d’agrément et de subvention. Le copinage ou le réseautage persistent à l’ombre de cette réalité ».
La crise qui a secoué la FFF autour du cas de Noël Le Graët l’avait illustré, ainsi que ses suites juridiques actuelles. Le constat de l’audit réalisé par l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) s’était révélé implacable, aussi bien au sujet de ses comportements problématiques avec les femmes que de sa gestion de plus en plus autocratique (plan de licenciement en plein covid). Il aura fallu un tweet de Kylian Mbappé, après une sortie maladroite de Le Graët sur Zinédine Zidane, pour qu’enfin ses pairs du conseil fédéral se décident à lui demander de céder son siège après une longue standing ovation. Depuis, l’homme a rebondi à la Fifa, dont le siège parisien se situe à l’hôtel de la Marine, sur la place de la Concorde.
Dérives de la Fifa et du CIO
L’un des points de blocage se situe aussi au-delà des frontières. Le sport français demeure en quelque sorte soumis à une loi supérieure à celle de la République, celle des fédérations ou des instances internationales. La Fifa et le CIO, tous deux basés en Suisse, bénéficient du statut d’association à but non lucratif. Cependant, ils se comportent comme un monstre hybride de multinationales et de superstructures étatiques. La Fifa affiche des réserves financières de près de 4 milliards de dollars et escompte 11 milliards de revenus pour la période 2023-2026. Les salaires de ses cadres s’approchent davantage de ceux du CAC 40 que des notes de frais en district (3,8 millions d’euros en 2022 pour Gianni Infantino).
Leur fonctionnement dans la plus grande opacité laisse la porte ouverte à toutes les dérives. « Elles ne répartissent certes pas leurs profits auprès de leurs actionnaires, souligne Pierre Rondeau, à l’instar de Total ou autres, mais nous avons pu voir que, par exemple, l’attribution des coupes du monde est entachée de soupçons de corruption. »
À la suite des JO de Tokyo, l’ancien président d’Aoki Holdings, Hironori Aoki, 84 ans, a écopé de trente mois de prison avec sursis pour avoir versé des pots-de-vin afin d’assurer à son entreprise de devenir partenaire officiel de l’événement. Cela dit, Tony Estanguet, président du comité d’organisation des JOP 2024 de Paris, fait l’objet actuellement de quatre enquêtes distinctes, portant notamment sur sa rémunération et des soupçons de favoritisme lors de l’attribution des marchés.
Ces belles institutions essayent d’imposer leur toute-puissance, quitte à empiéter sur le domaine régalien des États. « Lors de l’affaire Noël Le Graët, la Fifa s’était permis de rappeler la France à l’ordre, lui reprochant d’empiéter sur l’indépendance du football », se souvient Sabrina Sebaihi. Sans parler du lobbying intense pour garantir leur exemption fiscale. Le député Renaissance Mathieu Lefèvre avait tenté d’introduire un amendement au projet de loi de finances 2024 garantissant d’exonérer les fédérations sportives internationales de l’impôt sur les sociétés, de la cotisation foncière des entreprises et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, au nom de « leurs missions de gouvernance du sport ou de promotion de la pratique du sport ». Il a fallu que le Conseil constitutionnel s’y oppose au titre du principe d’égalité devant l’impôt pour nous épargner cette humiliation.