Personnes trans dans le sport : quelle inclusion ?

Le Comité international olympique a laissé les fédérations sportives prendre position sur le sujet. Si de nombreuses discriminations demeurent, la situation évolue peu à peu.

Malika Butzbach  • 29 avril 2024 abonné·es
Personnes trans dans le sport : quelle inclusion ?
Alexia Cerenys, de l’équipe de Lons-Pau, a été la première joueuse de rugby transgenre.
© Gaizka Iroz / AFP.

Lorsqu’elle évoque ce souvenir fort, la voix d’Alix tremble un peu. « J’ai rencontré Alexia Cerenys, la première joueuse de rugby trans, en 2018 lors d’un événement LGBT. C’était la première fois que je voyais une personne trans qui faisait le même sport que moi. A posteriori, je pense que cette rencontre fait partie des choses qui m’ont aidée à passer le pas de la transition. »

Née homme, Alix évolue au poste de demi de mêlée dans son équipe de rugby du Nord depuis ses 10 ans. « Je ne me suis jamais sentie à ma place dans mon corps, et encore plus dans les vestiaires », raconte-t-elle posément. C’est aussi ce mal-être qui l’a poussée à arrêter le sport lorsqu’elle a commencé ses études supérieures, à 18 ans. Presque huit ans après, c’est en tant que femme qu’elle a de nouveau chaussé ses crampons pour retrouver le terrain. « Il m’a fallu un peu de temps après ma transition pour trouver le courage de recommencer le rugby. Heureusement, certains de mes coéquipiers m’ont soutenue pendant toutes ces années. C’est aussi ça la beauté des sports d’équipe ! », sourit la jeune femme.

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Amaël Pradier évoque également cet esprit d’équipe lorsqu’en 2020 il annonce sa transition à son équipe de foot. « Je jouais depuis cinq ans dans ce club de la Creuse. J’en ai parlé avec le coach et mes coéquipières. S’est posée la question de savoir dans quelle équipe je jouerais. Parce que je tenais beaucoup à mes copines et à la cohésion de notre équipe, j’ai continué chez les filles. »

Les rares travaux scientifiques ne démontrent pas la persistance d’un avantage des sportives trans sur leurs adversaires.

Avant chaque match, avec son entraîneur et sa capitaine, Amaël va à la rencontre de l’équipe adverse pour expliquer la situation. En général, tout se passe bien avec des échanges. « Une seule fois on m’a demandé ma carte d’identité. Comme je n’avais pas changé de genre administrativement, j’étais toujours une fille et c’était donc légal. » Pendant trois ans, il va poursuivre avec cette équipe avant de devoir déménager.

Toutefois, Amaël constate une vraie difficulté pour les personnes trans à poursuivre une pratique sportive. Lui qui, en plus du foot, pratique assidûment le handball depuis dix-sept ans, l’a vécue. « Le sport fait partie de moi, mais j’avais cette idée que ce ne serait pas compatible avec la transition, et ça m’a d’ailleurs un peu retenu. Il faut dire qu’il n’y avait pas de sportifs ni de sportives trans comme modèle. » Depuis, celui qui est vétérinaire de métier a créé le compte Instagram Trans&Sports Queer pour combler ce manque et mettre en valeur les sportifs et sportives queer et trans. Aussi pour sortir d’une médiatisation limitée aux seuls débats sur l’inclusion des personnes trans dans le monde du sport.

Un pas en avant, trois pas en arrière

Concernant ce débat qui ne cesse de faire frémir journalistes et dirigeants des instances sportives, « on fait un pas en avant pour trois pas en arrière », grince Amaël. Dernière situation en date : la décision, en mars 2023, de la Fédération internationale d’athlétisme d’exclure les athlètes transgenres de la catégorie féminine. Les soupçons pèsent avant tout sur les femmes trans, «que l’on continue de voir comme des hommes», indique Amaël Pradier. « Et comme les hommes sont toujours perçus comme plus forts que les femmes, ces sportives suscitent la méfiance », complète Alix. Surtout au haut niveau.

Comme les hommes sont toujours perçus comme plus forts que les femmes, ces sportives suscitent la méfiance.

Alix

Pourtant, les rares travaux scientifiques portant sur le sujet ne démontrent pas la persistance d’un avantage des sportives trans sur leurs adversaires. Une étude de Joanna Harper, discutée sur sa méthodologie, datant de 2015 et analysant 200 courses de huit sportives trans, montre que celles-ci sont au moins 10 % plus lentes après leur transition. Un constat partagé par une autre étude, en 2021, qui utilise les tests d’aptitude physique standardisés de l’armée. Selon les auteurs, un an après leur transition, les femmes trans perdent leurs avantages.

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Face à un manque d’éléments scientifiques, les instances sportives s’appuient sur le taux de testostérone. Un indicateur qui apparaît un peu simpliste aux yeux de certains spécialistes. « Il est important de répéter que le corps est un système, et qu’aucun biomarqueur ne permet à lui seul de comparer facilement les corps des athlètes entre eux sur le plan de la performance », précise une étude publiée en novembre 2022, à l’initiative du Centre canadien pour l’éthique dans le sport (CCES).

La balle est dans le camp des fédérations sportives. Pour les JO 2024, le Comité international olympique a renoncé à établir des directives uniformes quant aux critères de participation des sportifs intersexes et transgenres, laissant la main aux fédérations. « Ça permet au CIO de ne pas se mouiller. Mais on peut aussi voir quelles fédérations sont prêtes à faire évoluer les choses », observe Amaël.

Sensibiliser plutôt que séparer

Au sein de certaines, le travail a été lancé. « Le roller derby, une fédération plus jeune qui porte haut et fort les valeurs de l’inclusivité, a été la première. Mais d’autres, plus importantes, s’en sont également emparées. Doucement, les choses bougent », constate Éric Arassus, de la Fédération sportive gaie et lesbienne (FSGL). C’est notamment le cas pour le rugby et plus récemment pour le handball, sous la mandature de Béatrice Barbusse.

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« Dans le sport, la plupart des fédérations en sont restées à vouloir distinguer deux catégories figées que sont les hommes et les femmes. Alors on fait au cas par cas : les personnes trans représentent moins de 1 % de la population mondiale », explique au micro de France Culture la sociologue, secrétaire générale de la Fédération française de handball (FFH) de 2016 à 2020, vice-présidente depuis. La FFH a adopté une charte sur laquelle Amaël Pradier a été invité à travailler. « Les choses changent lorsque l’on place d’autres personnes que des hommes hétérosexuels cisgenres et blancs à la tête des instances », constate-t-il en riant.

Un même travail de sensibilisation est fait par la FSGL. Depuis 2014, elle met à disposition des clubs une charte sport et trans, coécrite avec des associations. «L’idée est d’inciter les clubs à prendre ces thématiques à cœur. Il est important que tout le monde – les joueurs et joueuses, le public, l’équipe encadrante – soit sensibilisé», explique Éric Arassus.

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Face au constat que certaines fédérations interdisent aux athlètes trans de concourir, une idée a émergé : la mise en place d’une catégorie spéciale. Une annonce, notamment, de la Fédération mondiale de natation pour la Coupe du monde de Berlin. « Pourquoi faire une catégorie pour les trans ? Je suis la seule en France », avait réagi l’athlète Halba Diouf, spécialiste du 200 mètres.

Nous séparer pour les compétitions, c’est nous isoler un peu plus encore.

A. Pradier

Amaël Pradier renchérit : « Si l’on faisait ça dans le football, on devrait disputer un championnat entre cinq personnes. Autant le jouer directement aux tirs au but. Et de manière générale, nous séparer pour les compétitions, c’est nous isoler un peu plus encore. » C’est aussi l’intérêt de son compte Instagram : « Montrer que, lors des compétitions, cela se passe bien », explique le militant avant de se lancer dans une énumération. « Dans le football, il y a Mara Gomez et Marcos Rojos qui jouent en Argentine, Kumi Yokoyama au Japon, mais aussi Quinn, première personne trans non-binaire à avoir remporté une médaille lors des JO de Tokyo. »

Autant d’exemples qui « font du bien » à Alix. « Le système ambiant nous répète tellement que l’on n’a pas notre place dans le sport, que l’on est parfois tenté de le croire. » Lorsqu’elle doute, la rugbywoman pense à son modèle, Alexia Cerenys. « Nous avons discuté d’une joueuse de l’équipe de France qui nous avait fait mal au plaquage. Comme quoi, que l’on soit femme ou homme, cela ne veut pas dire grand-chose », sourit la jeune femme.

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