« Il est presque sûr que des eurodéputés RN ont reçu de grosses sommes de la Russie »

À deux mois des élections européennes, l’ONG internationale Avaaz part en campagne contre le parti de Jordan Bardella et Marine Le Pen dont les sulfureux liens internationaux sont inquiétants.

Michel Soudais  • 11 avril 2024 abonné·es
« Il est presque sûr que des eurodéputés RN ont reçu de grosses sommes de la Russie »
Visuel de la note de contexte d'Avaaz intitulée « Puissances étrangères : les liaisons dangereuses du RN ».
© Avaaz

L’ONG internationale Avaaz vient de publier une « note de contexte » sur les « liaisons dangereuses du RN avec des puissances étrangères ». Cette intéressante synthèse fondée sur une pluralité d’enquêtes journalistiques, des travaux d’experts mais aussi des témoignages de sources internes au Rassemblement national, est librement téléchargeable. Elle vise à informer les citoyennes et citoyens qui méconnaissent encore trop les enjeux des élections européennes, nous explique Marie Yared, directrice des campagnes de ce mouvement citoyen.

Pourquoi Avaaz a eu l’idée de cette campagne ? Considérez-vous l’extrême droite comme un des grands défis de notre époque ?

Marie Yared : Avaaz est un mouvement citoyen mondial qui fait rarement des campagnes nationales, mais plutôt sur des enjeux mondiaux où elle rassemble des citoyens de tous les pays du monde. Là, avec les élections européennes, dont les gens n’ont pas encore trop compris les enjeux, à peu près tout ce à quoi notre communauté tient est menacé. Que ce soient les valeurs démocratiques, républicaines, la protection de l’environnement, de la paix, ou le vivre ensemble. Tout cela est en jeu à chaque fois que l’extrême droite gagne des élections quelque part dans le monde.

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Avant de lancer une campagne d’importance, en particulier dans un pays, Avaaz sonde toujours ses membres. Dans le cas présent, on a un mandat de 95 % de nos membres, qui ont répondu à notre sondage en France, pour lutter dans les prochains mois contre une victoire de l’extrême droite aux prochaines élections.

Votre « note de contexte » rappelle les liens importants du RN avec la Russie, la Hongrie, Trump, la Syrie, les phalangistes du Liban. En quoi ces liens avec des pays pour l’essentiel extérieurs à l’Union européenne peuvent se traduire par des ingérences et influer sur la sécurité de l’Europe ?

Notre campagne vise à donner à voir le vrai visage du RN, à informer au maximum sur ses alliances et ses liaisons.

Ces liens ne sont pas que superficiels et de relations diplomatiques. Ce sont des liens d’amitié, avec parfois des prêts (russes, hongrois) qui ont financé des campagnes électorales du FN/RN. Ces liens très importants ont des conséquences. Je peux aussi rappeler que Der Spiegel a sorti, il y a quelques jours, une enquête très préoccupante menée par les services secrets tchèques qui montre une ingérence de la Russie au Parlement européen avec des remises d’argent. L’enquête n’a pas totalement abouti mais on est presque sûrs que des députés européens du Rassemblement national figurent parmi les élus français qui ont reçu de grosses sommes de la Russie. On peut se demander si des gens comme Thierry Mariani ou Patricia Chagnon ne pourraient pas avoir reçu cet argent.

Tout cela est très inquiétant car ces amitiés ne sont pas gratuites. Quand Thierry Mariani, encore ces derniers jours, défendait la Russie et Vladimir Poutine, quand plusieurs guerres sont aux portes de l’Europe, on peut vraiment s’inquiéter pour l’intégrité et pour l’indépendance de la France et de l’Europe. C’est un enjeu d’importance.

Considérez-vous que cette enquête du Spiegel et des services tchèques a eu un écho suffisamment important en France dans nos médias ?

Ah non ! Elle n’a pratiquement pas été couverte et c’est très étonnant. Effectivement, il n’y a pas les noms définitifs. Il y a juste un eurodéputé tchèque qui a été nommé. Mais l’enquête se poursuit et ça peut être quelque chose de beaucoup plus ample apparemment que ce qui était même révélé au départ. Je m’étonne clairement du peu d’intérêt des médias et des Français pour ces questions extrêmement préoccupantes alors que nous sommes en guerre.

Le groupe Identité et démocratie, dans lequel siègent les eurodéputés RN avec leurs alliés du FPÖ, de l’AfD ou de la Lega, est perçu au parlement européen comme « une clique embarrassante », dites-vous. Quel danger représente ce groupe dans l’élection à venir ?

Quand Marine Le Pen ou Jordan Bardella sont interrogés sur ces accointances en France, ils répondent que « c’est de la cuisine interne ». Pas du tout. C’est un groupe où ils siègent aux côtés de néo-nazis ou de partis comme l’AfD allemande qui sont favorables à une « remigration » d’étrangers et même de nationaux allemands. Cette cuisine a un impact très concret.

Ce groupe pourrait devenir le troisième groupe au Parlement européen.

Si malheureusement les élections se passent comme prévu dans les sondages, si tout le monde ne se réveille pas et ne va pas voter, ce groupe pourrait devenir le troisième groupe au Parlement européen, gagner 40 sièges et avoir une force d’une centaine d’eurodéputés. Avec des conséquences très concrètes sur toutes les régulations européennes, l’indépendance de l’Europe, et tous les sujets extrêmement variés que couvre l’Union européenne, qui vont de l’environnement aux droits des femmes, le droit à l’avortement. Tous ces sujets, ces droits et la démocratie européennes pourraient être menacés. Ce groupe-là n’a pas à cœur la défense de l’Europe et des Européens.

Comment comptez-vous mener campagne dans les deux mois qui nous séparent du scrutin ? Et allez-vous faire campagne dans d’autres pays de l’UE ?

Notre campagne vise à donner à voir le vrai visage du RN, à informer au maximum sur ses alliances et ses liaisons. Elle va se décliner sur de nombreux sujets. Souvent ces notes et révélations seront publiées avant les grands débats télévisés pour offrir du contenu à la fois aux médias, au grand public et à nos membres en France et au-delà. Nous allons aussi utiliser les réseaux sociaux.

Mais nous ne la mènerons pas seulement en France. Ni même exclusivement en Europe. Nous sommes dans une année record pour le nombre d’élections dans le monde et l’extrême droite gagne du terrain dans de nombreux pays. En Inde, en Indonésie, en Argentine… Et évidemment aux États-Unis.

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Pour les Français les élections européennes sont le 9 juin prochain. On espère les inciter à voter pas uniquement « contre » mais aussi pour défendre tout ce à quoi ils tiennent. D’une certaine manière on va mener également une campagne positive pour inciter et donner envie de voter.

Dans d’autres pays européens – Avaaz est présent dans tous les pays d’Europe – nous mènerons des campagnes paneuropéennes et nous nous concentrerons sur les pays où il y a un enjeu important sur l’extrême droite : nos membres vont être très mobilisés en Pologne où Avaaz est très présente, en Allemagne et aussi en Espagne.

Votre « note de contexte » sur les liaisons dangereuse est sortie à la veille d’un débat sur France 24 pour lequel une fois de plus Jordan Bardella s’est fait remplacer. Comment réagissez-vous à ce défilement de la tête de liste du RN ?

Comme toutes les têtes de liste, il était invité à débattre et s’est défilé. C’est vrai que cela peut interroger sur sa connaissance des dossiers. Il est très fort pour dérouler un narratif mais a peut-être un peu plus de mal à répondre à des questions difficiles sans ses fiches.

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