« Il pleut dans la maison », la fraternité à toute épreuve
La réalisatrice belge Paloma Sermon-Daï signe un premier film de fiction très réussi.
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Il pleut dans la maison / Paloma Sermon-Daï / 1 h 20.
Le cinéma belge montrant à l’écran les classes populaires ne se résume pas aux frères Dardenne. Voici une nouvelle venue, Paloma Sermon-Daï, qui s’est à juste titre déjà fait remarquer, notamment parce que son premier film de fiction, Il pleut dans la maison, a été sélectionné à Cannes l’an dernier par la Semaine de la critique. Paloma Sermon-Daï, née à Namur en 1993, est diplômée de la Haute École libre de Bruxelles. Preuve qu’on peut sortir d’une école (branche image) et faire du cinéma non conventionnel ou faire non conventionnellement du cinéma.
Purdey (Purdey Lombet), bientôt 18 ans, et son frère Makenzy (Makenzy Lombet), 15 ans, vivent à la campagne dans une maison en mauvais état qui a appartenu à leur grand-mère. Sans père, avec une mère alcoolique, fantomatique. Purdey a endossé le rôle de cheffe de famille et de sœur protectrice, ce qui l’oblige à faire des choix, c’est-à-dire des sacrifices personnels, comme celui de travailler (et gagner une misère pour un « bullshit job ») plutôt que de poursuivre ses études.
On ne peut pas dire que ces contrées de la Wallonie et ces jeunes personnages démunis et plongés dans une telle situation familiale soient fréquemment représentés au cinéma. Pour la réalisatrice, il s’agit de montrer un milieu qui lui est familier. Déjà, elle avait choisi pour son court métrage de fin d’études, un documentaire, de tourner avec les mêmes Makenzy et Purdey, qui sont frère et sœur dans la vie – ils devaient avoir alors 10 et 13 ans.
Ce qui frappe en premier lieu, c’est l’absence de ce naturalisme si fréquent au cinéma.
Mais son seul sujet ne suffit pas à faire d’Il pleut dans la maison un film singulier. Ce qui frappe en premier lieu, c’est l’absence de ce naturalisme si fréquent au cinéma où les pauvres baignent forcément dans une esthétique poisseuse. Paloma Sermon-Daï a choisi de placer l’action en plein été, avec ses grosses chaleurs et ses orages – la pluie s’infiltrant par la fenêtre d’une des chambres, d’où le titre –, mais aussi ses couleurs éclatantes.
Les personnages ne sont pas non plus sans cesse filmés à l’épaule (après les Dardenne, encore eux, cette manière est devenue un poncif de mise en scène, finissant par rejoindre l’esthétique télé « pour faire vrai »). La cinéaste use de plans fixes quand elle les juge nécessaires. Certains, nocturnes, sont incontestablement très beaux ; d’autres, situés au bord des lacs de l’Eau d’Heure, au sud de Charleroi, rendent justice à ce paysage magnifique.
Amour, solidarité et joie de vivre
La cinéaste renverse aussi d’autres clichés. Ainsi, le petit copain de Purdey, Youssef (Amine Hamidou), est d’origine marocaine, mais d’une famille de la classe moyenne qui lui permet de s’inscrire à l’université. Un fossé se creuse entre eux, il est social, non identitaire.
Si le piège du déterminisme se referme progressivement sur Purdey et Makenzy, le film ne grossit jamais le trait. Beaucoup est dit à travers les silences. Exemple : on assiste à deux repas « familiaux ». Le premier préserve encore un peu de complicité entre les enfants et leur mère, qui s’incarne dans le moment où les trois fument ensemble. Le second est totalement vide d’une quelconque relation (la mère ayant entre-temps déserté les lieux, avant de revenir encore plus hagarde, sans se soucier – mais en avait-elle la force ? – de son fils et de sa fille).
L’ennui (« heureusement », il y a la PlayStation), la frustration, le ressentiment sont à la base des bêtises, dont une assez grave, que commet Makenzy, jeune garçon encore avide d’un amour maternel dont la manifestation s’est évaporée. Purdey témoigne d’une grande volonté, encaissant les coups de la violence sociale sans tomber. Déjà jeune femme, dont le visage fait parfois beaucoup plus que son âge, pour soudain s’illuminer d’un sourire adolescent.
L’humour n’est pas non plus absent. Au contraire d’un film pesant, misérabiliste (c’est-à-dire bien-pensant), Paloma Sermon-Daï y insuffle de l’énergie et une manière de résister. Autrement dit : de l’amour, de la solidarité fraternelle et, aussi, de la joie de vivre. Ce qui fait tenir la sœur et le frère, que le spectateur devine, non sans émotion, indissociables à jamais.