La leçon de morale des étudiants de Sciences Po

La calomnie coule à flots contre les élèves de l’institut dénonçant la situation des Palestiniens. Ceux qui s’offusquent des slogans et des drapeaux de la rue Saint-Guillaume sont très souvent des inconditionnels d’Israël.

Denis Sieffert  • 30 avril 2024
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La leçon de morale des étudiants de Sciences Po
Un sit-in à Sciences Po Paris en soutien aux Palestiniens, le 26 avril 2024.
© JULIEN DE ROSA / AFP

Que reproche-t-on aux étudiants de Sciences Po ? Des banderoles ? Des keffiehs ? Des drapeaux qui font tache dans le très bourgeois 7e arrondissement ? Ce qui leur a valu l’envoi d’un détachement de CRS, et des menaces de sanctions, heureusement annulées. Qu’ont-ils fait pour susciter une telle rage politico-médiatique ? Un député LR qui parle de « guerre civile », Valérie Pécresse qui suspend l’aide de la région Île-de-France, l’islamologue Gilles Kepel qui se dit « consterné », et Raphaël Enthoven qui accuse Rima Hassan d’être un « agent de l’étranger »… La calomnie coule à flots. Jusqu’à cette accusation lancée par Enthoven (encore lui !) qui voit dans les mains rouges brandies par les étudiants pour symboliser le sang des Palestiniens une référence à une image de 2000, quand le sang était juif sur les mains d’un Palestinien. Lamentable !

Nos moralistes sont scandalisés que des jeunes gens manifestent leur solidarité aux Gazaouis écrasés sous les bombes.

À croire que l’on n’avait jamais vu, au pays de Mai-68, des étudiants manifester, s’indigner du malheur qu’une puissance coloniale fait subir à une population. Oubliés, le Vietnam et la guerre d’Algérie ! Oublié l’apartheid sud-africain ! Aujourd’hui, nos moralistes, férus d’ordre républicain, sont scandalisés que des jeunes gens manifestent leur solidarité aux Gazaouis écrasés sous les bombes, affamés, ballottés du nord au sud et du sud au nord, livrés sans défense à une armée qui n’a plus aucune limite. On ne dira pas ici que cette mobilisation minoritaire est à l’abri des excès. On ne dira pas non plus que LFI, très présente, ne lorgne pas les européennes. Mais nous sommes très loin des sorties antisémites entendues sur certains campus américains. Et regardons surtout l’essentiel : ce qui se passe à Gaza. M. Attal (qui n’est pas le moins véhément) croit soutenir Israël, mais c’est une extrême droite raciste à la tête de l’État hébreu qu’il soutient. C’est une OAS juive qui mobilise contre elle de très nombreux Israéliens.

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Face à cette réalité, il faudrait donc enseigner aux jeunes gens à désapprendre la solidarité. Il faudrait leur apprendre l’indifférence, et la morale du chacun chez soi. Le discours officiel est connu : il ne faut pas importer le conflit israélo-palestinien en France. Mais personne n’est dupe. Ceux qui s’offusquent des slogans et des drapeaux de la rue Saint-Guillaume sont très souvent des inconditionnels d’Israël. C’est une vieille histoire. Ce qui se passe en Israël et en Palestine n’a jamais été indifférent à nos concitoyens, qu’ils soient juifs, maghrébins, ou sensibles à une oppression coloniale d’un autre âge. En juin 1967, les grandes démonstrations de soutien à Israël sur les Champs-Élysées avaient mis hors de lui le général de Gaulle. Les liens historiques de la France avec Israël, qui plongent parfois jusque dans l’intimité des familles, et le poids de notre mémoire coloniale ont toujours fait des événements au Proche-Orient de très vifs débats chez nous. Le tout est de les maintenir dans un cercle de raison. On ne peut pas dire que les étudiants de Sciences Po en soient sortis. 

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La vérité, c’est que quelques centaines d’étudiants se mobilisent contre une autre mobilisation autrement plus puissante. Celle de la droite et de l’extrême droite. Celle d’intellectuels toujours du côté du manche. Celle de chaînes d’information qui invitent soir après soir le porte-parole de l’armée israélienne à déverser sa propagande. Peut-on un instant mettre en regard le désordre qui règne rue Saint-Guillaume ou à la Sorbonne avec les épouvantables massacres que ces jeunes gens dénoncent. Où faut-il placer son indignation ? Rue Saint-Guillaume, à Columbia University ou à Rafah ? Qui tue ? On peut toujours dire aux étudiants que tout ça est loin et ne nous concerne pas. C’est faux. Et c’est hypocrite. Et c’est précisément cette logique de l’indifférence que les jeunes gens refusent.

40 000 morts plus tard, c’est le massacre qui doit mobiliser les consciences.

Il est évidemment toujours loisible de tout ramener à l’attaque terroriste du 7 octobre, de critiquer (à juste titre) le communiqué de LFI qui n’a pas trouvé, c’est le moins que l’on puisse dire, les mots qui convenaient. Mais aujourd’hui, 40 000 morts plus tard, c’est le massacre qui doit mobiliser les consciences. Au lieu de ça, le gouvernement ne trouve rien de plus urgent que de convoquer la présidente du groupe LFI pour « apologie du terrorisme ». Cela, pendant que des cargaisons de munitions destinées à la firme israélienne Elbit sont en partance de Marseille. L’heure n’est même plus de savoir s’il y a, à Gaza, génocide ou pas, les juristes un jour le diront, mais d’imposer un cessez-le-feu immédiat et définitif. D’autant plus qu’il en va aussi du sort des otages. Ce mardi 30 avril, le mince espoir renaît d’une trêve de quarante jours qui pourrait préfigurer la fin du massacre.

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