La Macronie, une « usine à fake news » avant les européennes
En difficulté avant les élections de juin, le camp présidentiel enchaîne les bobards sur le chômage, la santé, la culture ou encore la sécurité… Une agitation qui est loin de faire décoller sa liste de la majorité dans les sondages pour les élections de juin.
Le gouvernement a le sens de l’humour. Prisca Thévenot annonce mercredi 3 avril une nouvelle « rubrique anti fake news » dans le compte-rendu du conseil des ministres pour lutter contre « les mauvaises informations qui circulent ». Voilà qui tombe à pic, Politis en a listé un certain nombre émanant de la Macronie pour l’y aider.
Mardi 2 avril. Gabriel Attal passe un savon aux députés de son propre camp lors de la réunion de groupe à l’Assemblée nationale. « On ne s’en prend pas aux chômeurs mais à un système qui a abouti au chômage de masse », martèle le Premier ministre, en difficulté pour vendre sa nouvelle réforme de l’assurance-chômage. Sacha Houlié, le président de la commission des lois, représentant de l’autoproclamée « aile gauche » de la Macronie en prend pour son grade. « Le seul qui parle de cette réforme comme une mesure d’économie, c’est toi », poursuit le locataire de Matignon.
Le chef du gouvernement veut réduire une fois de plus la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi. La réforme de trop, comme l’affirme Michaël Zemmour dans Politis ? « Le problème, c’est qu’on avait passé un contrat avec les Français : quand le chômage augmente, on augmente aussi la durée d’indemnisation, là on passe pour des menteurs, d’autant que ça ne va pas rapporter des masses aux comptes publics », souffle un député macroniste opposé à cette réforme. Et de mettre en garde : « Attention à ne pas devenir une usine à fake news avant les élections européennes. » Le message a du mal à passer, à en juger par les bobards distillés par le gouvernement et ses fidèles.
Double discours
À commencer par le déficit public, qui a grimpé à 5,5 % du PIB selon l’Insee, bien au-delà des prévisions officielles du gouvernement qui tablait sur 4,9 %. Bruno Le Maire attribue ce dérapage sans précédent à des « aléas » sur les recettes : moins 21 milliards d’euros pour l’année 2023. Las, ses propres services l’avaient averti dès la fin de l’automne dernier sur l’état des finances du pays, à travers plusieurs notes rendues publiques par Jean-François Husson, le rapporteur général de la commission des finances du Sénat (LR).
Bruno Le Maire est un menteur, il y a des hausses de taxes sur le dos des Français.
F. Roussel
L’heure est grave : Emmanuel Macron est visé par les critiques, à gauche comme à droite, de même que Bruno Le Maire, qui s’est posé en garant du sérieux budgétaire. Pressé de rendre des comptes, l’exécutif annonce des coupes budgétaires sans précédent : 10 milliards d’euros, puis 20 milliards d’euros, voire 50 milliards d’ici à la fin du quinquennat en 2027 ? Qui dit mieux ? Mais Bruno Le Maire refuse de parler de hausse des impôts et de taxation des « superprofits », comme le réclament des voix à gauche mais aussi dans sa propre majorité.
« C’est un menteur, il y a des hausses de taxes sur le dos des Français, affirme le patron du PCF, Fabien Roussel sur RTL le 19 mars. Il ment parce qu’il augmente la taxe sur l’électricité, les franchises médicales : des centaines de millions d’euros pris dans les poches des Français. »
Plusieurs ténors de la majorité font le même constat, comme François Bayrou et Yaël Braun-Pivet. La présidente de l’Assemblée exprime son « malaise » de ne pas faire « partager l’effort » à tous les Français et plaide pour de taxes « exceptionnelles » au micro de Franceinfo ce 2 avril, en vain pour le moment. Tout au plus le Premier ministre a-t-il concédé du bout des lèvres la création d’une « mission » sur la taxation des rentes pour calmer la grogne au sein des parlementaires, selon les informations de Politis.
Outre les chômeurs, le gouvernement cible désormais les plus malades. Bruno Le Maire lorgne désormais les indemnités journalières, après un piteux rétropédalage face au tollé provoqué par son idée de s’en prendre aux personnes sous ALD (affections de longue durée). Les salariés sont davantage arrêtés car « les arrêts maladie ont augmenté de 10 % depuis le Covid », s’insurge le ministre. Le locataire de Bercy veut ouvrir le débat sur le nombre de jours de carence « dès cette année afin de lutter contre les abus » supposés.
Une mesure qui choque les électeurs
« C’est le retour du vieux refrain de la fraude et des arrêts de complaisance », raille un député de la majorité. « Avec les retraites et l’inflation, c’est une mesure qui choque mes électeurs quand je suis en circonscription », s’agace cet élu. Sans compter que le ministre est contredit par sa propre administration : « Les résultats indiquent que les salariés couverts durant le délai de carence n’ont pas de probabilité plus élevée d’avoir un arrêt dans l’année, mais ont des durées totales d’arrêt maladie significativement plus courtes », écrivaient les hauts-fonctionnaires de la DREES, qui dépendent de Bercy, dans une étude de 2015.
Pire, un effet contre-productif était apparu : « Les salariés couverts ont en moyenne 2 jours d’arrêt en moins par an que les salariés non couverts. » Traduction : la hausse des jours de carence a plutôt eu tendance à alourdir les comptes de la Sécu, soit le contraire du but recherché par le gouvernement.
Même double-discours face au monde de la culture. Très fragilisé par la crise du covid, le secteur a appris avec inquiétude une coupe importante du budget du ministère dédié de l’ordre de 200 millions d’euros, dont 96 millions pour la création. Quelques jours plus tard, Rachida Dati provoque la stupéfaction en annonçant le 19 mars la fermeture de plusieurs écoles d’enseignement supérieur culturel publiques, notamment « certaines de ces écoles d’art, en particulier pour les écoles territoriales, qui sont en situation de crise, malgré l’engagement confirmé de l’État ».
Vingt-quatre heures après avoir reçu les syndicats, la ministre recule quatre jours plus tard, affirmant finalement que ces écoles « sont au cœur de (sa) réflexion pour l’avenir », en raison notamment de leur « utilité sociale avérée ».
Le président, un temps fâché avec Bolloré, a enterré la hache de guerre.
Un proche de Macron
Et que dire de la lutte contre l’extrême-droite, dont Emmanuel Macron assurait faire une priorité en nommant Gabriel Attal, présenté comme « l’arme anti-Bardella » ? Le président embarque avec lui à Bruxelles, fin mars Geoffroy Lejeune, le directeur de la rédaction du JDD à qui il distille ses confidences, s’assurant la une de l’hebdomadaire, transformé en organe de propagande d’extrême-droite depuis son rachat par Vincent Bolloré.
Gabriel Attal, Gérald Darmanin et Bruno Le Maire s’affichent eux aussi dans le journal. « Le président, un temps fâché avec Bolloré, a enterré la hache de guerre, observe l’un de ses proches. Son emprise sur les médias est tellement puissante qu’il estime qu’il ne peut plus s’en passer. » Message reçu par les députés macronistes : Quentin Bataillon, président de la commission d’enquête sur la TNT, se montre sans scrupules chez Cyril Hanouna pour encenser l’animateur star de Bolloré et critiquer « l’arrogance de Yann Barthès » qui refuse obstinément d’inviter le RN dans son émission.
Des propos en contradiction avec la promesse de l’élu de veiller à l’indépendance des travaux de la commission qu’il préside. Il avait déjà qualifié les soupçons autour du projet politique de Vincent Bolloré de « fantasme » lors de l’audition du multimilliardaire breton le 13 mars à l’Assemblée, suscitant des soupçons de complaisance.
La « bourde XXL » de Darmanin
L’enfumage à tous les étages se poursuit dans le domaine de la sécurité. Après Marseille, Gérald Darmanin annonce une nouvelle opération « place nette XXL » contre le trafic de drogue à Strasbourg, Nantes et Toulouse ce 2 avril, à grand renfort de messages sur les réseaux sociaux. Problème : la préfecture du Bas-Rhin annonçait le début des investigations le 3 avril, soit 24 heures plus tard.
De quoi laisser aux dealers visés le temps de se préparer ? Le député LFI du cru, Emmanuel Fernandes, fustige « une bourde XXL ». Sollicité, l’Intérieur balaye les procès en amateurisme : « Les forces de police sont mobilisées, que le ministre fasse un communiqué ne change rien. » Les policiers ont eu une autre analyse de la situation : « Annoncer une opération avant qu’elle ne débute met à mal notre crédibilité et va dans le sens de ceux qui dénoncent une opération de communication », soupire un syndicaliste.
Qu’importe, le gouvernement poursuit le tout-répressif et tente d’étouffer toute contestation. Le directeur de la rédaction de La Provence est mis à pied après la publication de la une jugée trop critique sur la visite d’Emmanuel Macron, des élus du camp présidentiel ayant fait pression sur l’actionnaire du journal, Rodolphe Saadé. Tandis que les magistrats, qui ont osé remettre en question le dispositif du ministre de l’Intérieur, ont pris « une soufflante » de la part d’Éric Dupond-Moretti, furieux contre des propos qu’il juge « défaitistes », relate Le Figaro.
Emmanuel Macron ne peut s’en prendre qu’à lui-même : ‘La campagne pour les européennes, c’est lui‘.
Un proche du président
Place Beauvau, on assume un « volontarisme » sur le sujet, sans commenter ces attaques contre des magistrats et la presse. Pour l’instant, toute cette agitation ne fait pas décoller la liste de la majorité dans les sondages pour les européennes : le RN s’envole à 30 % quand la liste de la majorité plafonne à sept points en dessous dans les intentions de vote, selon le dernier baromètre OpinionWay pour Les Echos.
« Le président est conscient que c’est un mauvais résultat pour l’instant », confie l’un de ses proches. Emmanuel Macron ne peut s’en prendre qu’à lui-même, « la campagne pour les européennes, c’est lui, la liste de candidats c’est encore lui, et l’activisme médiatique forcené de ses troupes, c’est toujours lui. Ils ne font que répercuter ses volontés », témoigne cette source.
L’humeur du président ne risque pas de s’améliorer dans l’immédiat : l’agence de notation Fitch vient de publier une nouvelle mise en garde à son intention, jugeant « de plus en plus hors de portée » les objectifs budgétaires fixés par son gouvernement de ramener le déficit public à 3 %. De quoi faire craindre un nouveau tour de vis pour les plus précaires ?