La proportionnelle, nouvelle arme anti-RN ?
Il est urgent de changer le mode de scrutin si l’on ne veut pas voir l’extrême droite ravir la majorité des sièges à l’Assemblée nationale, estime un collectif de chercheurs et d’élus. L’idée séduit mais il faut en mesurer les effets.
Le débat sur un changement de mode de scrutin pour l’élection des députés a récemment été relancé par la présidente de l’Assemblée nationale. Yaël Braun Pivet estime qu’il est temps d’honorer la (vieille) promesse d’Emmanuel Macron d’introduire une dose de proportionnelle.
Le 4 mars, sur le plateau de la matinale de France 2, elle plaide pour « une forte dose de proportionnelle, au moins 25 % ou 30 % ». Le 22 mars, dans un entretien au Figaro, elle propose d’élire à la proportionnelle les députés des départements qui envoient au moins onze élus siéger au Palais Bourbon. Seraient concernés les départements d’Ile-de-France, sauf l’Essonne et le Val-d’Oise, ainsi que le Nord, le Pas-de-Calais, le Rhône, la Gironde et les Bouches-du-Rhône. « Ailleurs, le scrutin majoritaire serait maintenu, précise-t-elle. Au total, 152 députés sur 577 seraient désignés à la proportionnelle, soit 26 % d’entre eux. »
Cette proposition inspirée du mode d’élection sénatoriale n’a rien de novatrice. Elle avait précédemment été suggérée en 1996 par Charles Pasqua, un maître dans l’art du découpage électoral des circonscriptions au profit de la droite. Mais Le Monde rappelait alors que ce mode de scrutin mixte avait été écarté trois ans plus tôt par le Comité consultatif pour la révision de la Constitution, présidé par le doyen Georges Vedel, en raison de sa possible inconstitutionnalité au regard du principe d’égalité des citoyens devant la loi.
Critiques du scrutin majoritaire
Le mode d’élection défendu par un collectif de chercheurs et d’élus est à la fois plus simple et plus iconoclaste.
Réservée aux abonnées du quotidien, elle est visible sur ce site avec l’intégralité des signataires.
Plus simple car l’option retenue ne fait pas dans la demi-mesure et le « en même temps ». Dans une tribune publiée par Le Monde (1), cette trentaine de personnalités couvrant un large spectre politique appelle « d’urgence » à « adopter un mode de scrutin proportionnel ». Et il suffit pour cela d’une loi ordinaire ne nécessitant qu’une majorité à l’Assemblée nationale. « Il en va de l’avenir de notre démocratie », insiste leur texte.
Il n’est pas banal de voir sous un même texte des signatures issues de la Macronie aux Insoumis.
Iconoclaste car leur plaidoyer s’accompagne d’une critique en règle du scrutin majoritaire et de ses effets que l’on n’entendait plus beaucoup : il « ne permet pas une représentation équilibrée des différentes sensibilités » politique, et « en donnant tout le pouvoir au vainqueur » il autorise une minorité d’imposer ses vues, ce qui « contribue à délégitimer la représentation nationale » et « alimente un abstentionnisme croissant ».
Tout ceci ne suffirait pas à justifier qu’on s’y arrête, n’était la diversité politique des signataires. Il n’est en effet pas banal de voir sous un même texte des signatures issues de la Macronie aux Insoumis. S’y côtoient notamment les députés Gilles Le Gendre, ancien président du groupe macroniste, et sa collègue Raquel Garrido (LFI), en passant par Barbara Pompili (Renaissance), Maud Gatel, secrétaire générale du MoDem, Bertrand Pancher, président du groupe LIOT, Jérôme Guedj (PS) ou Cyrielle Chatelain, présidente du groupe Les Écologistes. Mais aussi Daniel Cohn-Bendit (qu’on ne présente plus), le sénateur Yannick Jadot, l’ancien ministre (PS) Christian Paul et Chloé Ridel (PS), ainsi que des politistes, constitutionnalistes et responsables de Think tanks.
Le raz de marée ou l’endiguement
Surtout, ce qui motive cette union inédite c’est la crainte, fondée, de voir le Rassemblement national de Marine Le Pen et Jordan Bardella, « obtenir la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale bien qu’il rassemble moins de 30 % des voix ». Ce qui s’est déjà vu. En 2017, avec 24 % des suffrages exprimés au premier tour de la présidentielle, Emmanuel Macron a pu faire élire 314 députés de son parti (sur 577).
Avec un mode de scrutin proportionnel, un RN même à 30 % n’obtiendrait pas la majorité.
Le mode de scrutin majoritaire qui, pendant des décennies, « a contribué à sous-représenter le Front/Rassemblement National sans pour autant freiner sa progression », « l’a aidé au contraire à s’enraciner comme parti protestataire en lui évitant d’avoir à prendre ses responsabilités à l’Assemblée nationale », constatent les signataires. Qui avertissent : « Aujourd’hui ce même mode de scrutin risque de transformer la progression du RN en un raz de marée qui lui permettrait de mettre en œuvre sans entraves son programme irresponsable, pro-Poutine, xénophobe et liberticide. » Or avec un mode de scrutin proportionnel, un RN même à 30 % n’obtiendrait pas la majorité.
Ce raisonnement était aussi le mien en 1996. Je l’avais exposé en conclusion d’un essai consacré au parti de Jean-Marie Le Pen, alors en forte ascension, Le Front national en face (Flammarion). Les lecteurs curieux peuvent s’y reporter.
Limites et inconvénients
Je persiste toujours à juger le scrutin proportionnel plus représentatif des divers courants d’opinion et plus démocratique. Néanmoins, la situation politique n’est plus la même qu’il y a 28 ans. Si aujourd’hui la proportionnelle peut encore barrer la route du pouvoir au RN, c’est à la condition que le parti de Marine Le Pen ne trouve pas l’appoint de quelques alliés. Or Éric Ciotti ou Laurent Wauquiez, pour ne citer qu’eux, n’ont pas vis-à-vis de l’extrême droite la répulsion qu’avait Jacques Chirac.
Enfin, les conséquences politiques de ce changement de mode de scrutin ne seraient pas sans inconvénient pour tous ceux qui aspirent à une transformation sociale et écologique radicale de notre société et de notre économie. Les signataires de cette tribune n’estiment-ils pas que la proportionnelle est « indispensable pour développer une culture de rassemblement et de compromis » ?
Le projet qu’ils dessinent ici, c’est celui de porter aux commandes une vaste coalition centrale – et plutôt centriste – comme il en existe à la tête des instances de l’Union européenne et dans de nombreux pays d’Europe, sans que celles-ci parviennent toujours à endiguer la montée de l’extrême droite.
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