« Le service civique, ce n’est pas tout beau, tout rose »
Le risque est d’en présenter des contours parfaits, et ainsi, d’en affaiblir la portée, estiment deux sénatrices du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires et les co-secrétaires nationales des Jeunes Écologistes.
Ce mercredi, nous discutons au Sénat d’une proposition de loi visant à renforcer le service civique dans le cadre de la niche parlementaire du groupe Socialiste. Quatre mois après la discussion de notre proposition de loi pour une allocation d’études, un sujet en lien avec la jeunesse sera une nouvelle fois abordé dans nos débats. Nous pouvons nous en satisfaire, tant les politiques publiques en faveur des jeunes sont trop souvent oubliées et méprisées.
Depuis plus d’une décennie, le service civique est devenu un marqueur fort dans les politiques de jeunesse. Créé en 2010, ce dispositif permet à des jeunes de 16 à 25 ans, et jusqu’à 30 ans pour les jeunes en situation de handicap, de s’engager dans une mission d’intérêt général. Alliant au cœur la solidarité et le partage, le service civique s’inscrit également dans une volonté d’ouverture et de mixité sociale. Il permet une découverte du monde associatif, un premier pas dans le monde du travail et de nouvelles perspectives à des jeunes en décrochage scolaire ou rencontrant des difficultés à déterminer leur projet de vie.
Toutefois, la nuance est de mise. Son évolution nous permet aujourd’hui de mesurer et de prendre du recul sur ce dispositif. Derrière l’affichage « d’un remarquable succès quantitatif », nous devons débattre et prendre conscience des failles et de certaines dérives du service civique. Les organisations de jeunesse nous alertent, écoutons-les.
La montée en puissance du dispositif ne doit pas servir d’effet d’annonce au détriment des premiers concernés : nos jeunes.
Élargir un tel dispositif sans l’encadrer, c’est prendre le risque de le dénaturer et surtout de précariser les premiers concernés. L’objectif de la proposition de loi est affiché d’emblée : « Continuer à mobiliser et accompagner la dynamique autour du service civique. » Après plus de dix ans d’existence, l’expérience du service civique conduit les auteurs de ce texte à penser un élargissement de cette formule. Passant de 6 000 volontaires en 2010 à près de 88 000 missions aujourd’hui, le service civique a en effet connu une forte progression.
Mais la montée en puissance du dispositif ne doit pas servir d’effet d’annonce au détriment des premiers concernés : nos jeunes. Nous refusons de tomber dans une course en avant des chiffres, à vouloir toujours plus de personnes engagées, sans se préoccuper de leur situation, de leur indemnisation et de leur insertion dans le monde du travail. Les limites du service civique sont réelles. Alors que les coupes budgétaires et la pression sur les services publics continuent d’augmenter, alors que la part de services civiques dans les administrations est passée de 12 à 38 % entre 2014 et 2021, nous ne pouvons pas fermer les yeux.
Avant tout élargissement, il apparaît donc nécessaire de renforcer le service civique. Pour que le dispositif ne devienne pas le nouveau statut précaire par excellence…
Le texte qui sera débattu au Sénat propose plusieurs points qui nous préoccupent, notamment l’allongement de l’âge limite pour obtenir un service civique à 27 ans, ainsi que l’élargissement du périmètre à d’autres secteurs comme les assemblées parlementaires, aux juridictions administratives et financières. Élargir le dispositif, sans augmenter les garde-fous pour répondre au risque d’emploi dissimulé, n’est pas souhaitable. Un jeune, volontaire et engagé dans le dispositif, n’a pas à rentrer dans une logique « métro, boulot, dodo ». Le risque, dans ce cas, est de voir se développer un service civique à deux vitesses, comme esquissé par l’étude du Céreq : les jeunes les plus diplômés s’engageant après une période d’activité pour le goût de l’intérêt général ; et les jeunes moins diplômés s’engagent après une période de chômage pour trouver une opportunité professionnelle et une source de revenus. Comment pourrait-il en être autrement lorsque l’indemnité est de 619 euros, même pas la moitié d’un SMIC ?
Loin de corriger les failles existantes, cette proposition de loi ne nous semble pas à la hauteur des attentes et des besoins de notre jeunesse.
Face à une précarisation grandissante, présentons un autre chemin à notre jeunesse
Avant tout élargissement, il apparaît donc nécessaire de renforcer le service civique. Pour que le dispositif ne devienne pas le nouveau statut précaire par excellence, pour qu’il puisse se pérenniser sur ses points forts de protection et de solidarité, pour qu’il développe le sens de l’engagement sans favoriser le salariat déguisé, nous proposons :
- De le maintenir pour les jeunes de 16 à 25 ans, et jusqu’à 30 ans pour les personnes en situation de handicap, et ne pas l’élargir à d’autres secteurs,
- De prioriser une nette amélioration de son indemnisation pour sortir les volontaires de la précarité,
- De baisser à 35 heures la durée maximale hebdomadaire du contrat de service civique, contre 48 heures aujourd’hui,
- D’améliorer l’information sur le respect des missions, sur la lutte contre le harcèlement et contre les VSS,
- De garantir une formation minimale de 10 jours pour l’accompagnement du volontaire dans la réflexion de son projet et permettre des espaces de dialogue sur le déroulement de la mission.
Plus largement, il est aujourd’hui essentiel de mettre en place des politiques publiques pérennes contre la précarité de la jeunesse et pour un meilleur accompagnement vers l’emploi. Fin décembre, nous proposions la création d’une allocation universelle d’études à 1 092 euros. La situation de nos jeunes exige une prise de conscience générale. Ce sont les premiers touchés par le déclassement, les inégalités et la précarité. Les réponses apportées par le Gouvernement ne répondent en rien à leurs quotidiens et à leurs inquiétudes. Face à une politique basée sur la jeunesse au pas, avec l’universalisation du SNU, et face au récent tournant de la rigueur, avec presque 130 millions de crédits annulés pour la jeunesse et la vie associative, nous devons collectivement proposer un autre chemin.
Les réponses apportées par le Gouvernement ne répondent en rien à leurs quotidiens et à leurs inquiétudes. Face à une politique basée sur la jeunesse au pas, avec l’universalisation du SNU, et face au récent tournant de la rigueur, avec presque 130 millions de crédits annulés pour la jeunesse et la vie associative, nous devons collectivement proposer un autre chemin.
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don