« Jean-Luc Mélenchon est un candidat possible »

Manuel Bompard, le coordinateur national du mouvement insoumis, plaide pour la poursuite du rassemblement des gauches après les élections européennes. Pour Politis, il évoque aussi Rima Hassan, les 100 jours d’Attal à Matignon et l’horizon 2027.

Lucas Sarafian  • 22 avril 2024 abonnés
« Jean-Luc Mélenchon est un candidat possible »
© Maxime Sirvins

Son mouvement est sous le feu des polémiques. Le 18 avril, une conférence de Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan sur la Palestine a été interdite par l’université de Lille puis la préfecture du Nord. Le lendemain, la militante franco-palestinienne apprend qu’elle est convoquée par la Direction nationale de la police judiciaire pour « apologie publique d’un acte de terrorisme ». Dans un café à quelques rues du siège de la France insoumise, dans le 10e arrondissement de Paris, Manuel Bompard répond à la controverse, mais pas seulement.

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Le coordinateur national du mouvement fait le bilan des trois premiers mois de Gabriel Attal à Matignon, commente les prémices du retour de la guerre des gauches en pleine campagne électorale pour les européennes et évoque 2027. Lui plaide pour l’unité, à condition qu’elle se construise autour d’une ligne de rupture, et ne cache pas qu’il « travaille, comme d’autres », pour que son nom soit l’une des candidatures possibles à gauche pour la prochaine présidentielle.

La conférence de Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan, prévue le 18 avril, a été annulée par l’université de Lille. Puis Rima Hassan a reçu une convocation par la police. Comment réagissez-vous ?

Manuel Bompard : Je dénonce cette dérive autoritaire du pouvoir macroniste. L’université est un lieu de la liberté de pensée et de la pluralité des points de vue. Les annulations de conférences et la convocation de Rima Hassan participent d’une même campagne d’intimidation pour faire taire les voix de la paix face au massacre en cours à Gaza. Des syndicalistes et d’autres figures politiques en sont aussi victimes. L’autoritarisme se porte à présent sur le terrain des idées. Il n’y a plus de limites. Dès lors, les élections européennes du 9 juin prennent un autre sens : voter pour la liste de Manon Aubry, c’est aussi défendre nos libertés fondamentales aujourd’hui menacées.

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Pourquoi dites-vous incarner le « camp de la paix » à propos du conflit israélo-palestinien ?

Nous sommes les premiers à avoir plaidé pour un cessez-le-feu. Et nous tenons bon contre vents et marées, malgré des campagnes odieuses de menaces et de calomnies. Nous défendons un embargo sur les livraisons d’armes, des sanctions contre le gouvernement de Benyamin Netanyahou et la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël. Nous souhaitons également que la France reconnaisse officiellement l’État de Palestine. En réalité, nous appelons simplement à l’application pleine et entière du droit international, c’est-à-dire de l’ensemble des résolutions de l’ONU, qui demandent notamment l’arrêt de la colonisation, la fin de l’occupation des territoires palestiniens et du blocus de Gaza, l’instauration d’un État de Palestine dans les frontières de 1967.

Attal compte faire payer au peuple la facture des cadeaux que Macron a distribués aux plus riches

Comment qualifiez-vous les positions des autres forces de gauche et celles du camp d’Emmanuel Macron ?

Une grande partie du spectre politique français s’est enfermée dans un soutien inconditionnel au gouvernement de Netanyahou. Or on ne peut pas accepter que l’on réponde à un massacre par un massacre. C’est une rupture avec les engagements traditionnels de la France. Heureusement, depuis le mois d’octobre, les lignes bougent.

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Lesquelles ?

La plupart des forces politiques du pays ont contribué à l’odieuse campagne de diabolisation contre les insoumis. Le Parti socialiste a même pris ce prétexte pour en finir avec la Nupes (Nouvelle union populaire, écologique et sociale, N.D.L.R.). À présent, on les voit se rallier aux appels au cessez-le-feu. Enfin ! Mais elles refusent d’assumer les mesures à mettre en place pour l’obtenir. Comme Emmanuel Macron, qui ne fait rien pour créer un rapport de force avec le gouvernement criminel de Benyamin Netanyahou.

« Nous ne gagnerons pas la présidentielle avec le programme politique de François Hollande. » (Photo : Maxime Sirvins.)

Gabriel Attal a dépassé le seuil symbolique des 100 jours en tant que Premier ministre. Quel bilan en faites-vous ?

Gabriel Attal est arrivé à Matignon en promettant de l’action. Mais, depuis 100 jours, il ne fait que de la communication. Les seules choses qui ont changé dans la vie des Français, ce sont l’augmentation de 10 % du prix de l’électricité et le doublement des franchises médicales. En vérité, Gabriel Attal attend que les élections européennes soient passées pour opérer un véritable racket social : gel des pensions de retraite et des prestations sociales, augmentation de la TVA, hold-up sur l’assurance chômage, coupes massives dans les dépenses publiques. Il compte faire payer au peuple la facture des cadeaux que Macron a distribués aux plus riches et aux grandes entreprises depuis 2017.

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Vous présentez ces élections européennes comme un premier tour de l’élection présidentielle de 2027. Mais que feront les députés insoumis au Parlement européen ?

Le résultat de ces européennes aura un impact important sur la situation politique nationale et européenne. Il faut se mobiliser massivement pour battre Macron et combattre l’extrême droite. Mais ce sera aussi l’occasion d’élire un maximum d’eurodéputés pour mener une série de combats : la fin des accords de libre-échange, la taxation des superprofits, l’harmonisation sociale et fiscale par le haut, la bifurcation écologique, la paix à Gaza et en Ukraine, l’inscription du droit à l’IVG dans la charte des droits fondamentaux ou l’abolition des règles anti-services publics. Nous nous en tenons à des engagements concrets plutôt qu’à un débat théorique sur l’Europe.

D’ailleurs, vous ne parlez plus du « plan A/plan B » ni de la sortie de l’Union européenne. Avez-vous changé de vision ?

Notre vision est constante : si nous sommes au pouvoir, il n’est pas question que des décisions européennes s’appliquent en France si elles sont contraires au programme choisi par les électeurs.

Les catégories les plus jeunes et les classes populaires sont celles qui se démobilisent le plus pour les européennes. Ce sont des électorats plutôt insoumis. Que leur dites-vous ?

D’abord, que les sujets votés au Parlement européen ont un impact concret sur la vie quotidienne. Récemment, les eurodéputés se sont prononcés sur le marché européen de l’électricité. Son impact est très clair : en France, nos factures d’électricité ont augmenté de 40 % en deux ans. Manon Aubry est la seule de toutes les têtes de liste à avoir voté pour sortir de ce marché et refuser la suppression des tarifs réglementés.

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Mais soyons clairs : ce qui va se passer le 9 juin sera déterminant pour l’avenir du pays. Si la jeunesse et les quartiers populaires ne votent pas, ils laissent les mains libres aux macronistes et à l’extrême droite pour dérouler leur politique. Au contraire, s’ils se mobilisent, ils ont le pouvoir de bousculer les scénarios écrits par avance. À deux mois du premier tour de la présidentielle de 2022, Jean-Luc Mélenchon était annoncé à moins de 10 % dans les sondages. Il a finalement obtenu 22 % des voix. C’est la preuve qu’une participation massive du peuple peut tout changer.

Dites-vous que les insoumis sont les seuls à incarner l’union des gauches ?

Notre liste est la seule à poursuivre la démarche de la Nupes.

Bien sûr. Notre liste est la seule à poursuivre la démarche de la Nupes. Ce n’est pas qu’une liste insoumise. Damien Carême est un eurodéputé sortant écologiste. Camille Hachez est l’ancienne secrétaire nationale des Jeunes Écologistes. Arash Saeidi était coordinateur national de Génération·s il y a encore quelques semaines. Et ce rassemblement n’est pas que politique. Il regroupe aussi des figures engagées dans les batailles de la société : Anthony Smith est un inspecteur du travail et syndicaliste, et Rima Hassan est une juriste en droit international, figure de la lutte pour la paix à Gaza. Notre liste poursuit l’unité sur une ligne de rupture, permise par le résultat de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle et validée par le peuple qui nous a mis en tête du premier tour des législatives de 2022.

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Pendant cette campagne, les gauches expriment de profonds désaccords. Avec le recul, estimez-vous que, lors de l’accord qui a donné naissance à la Nupes, vos partenaires étaient insincères ?

La question se pose. Ce n’était pas qu’un accord électoral mais aussi un accord sur un programme complet. Je lis parfois que la question européenne avait été mise de côté. C’est faux. Il y avait un chapitre complet du programme partagé consacré à ce sujet. Aujourd’hui, Jordan Bardella (la tête de liste du Rassemblement national, N.D.L.R.) domine dans les sondages. Il y avait une solution pour éviter cette situation : faire une liste commune.

Ce qui a permis l’alliance de 2022, c’est un programme de rupture avec ce quinquennat.

Nous avons tout mis sur la table pour que ce soit possible, y compris en proposant qu’une telle liste ne soit pas conduite par une personne de la France insoumise. Mais les socialistes, les communistes et les écologistes ont refusé. Ils ont tourné le dos à l’engagement pris devant les électeurs en 2022, sans aucune justification de fond. De notre côté, nous restons fidèles au programme de la Nupes et nous proposons au peuple de faire l’union en concentrant ses bulletins de vote sur la liste conduite par Manon Aubry.

Comment expliquer qu’en deux ans l’union des deux gauches ait laissé place au retour possible des « deux gauches irréconciliables » ?

En désignant Raphaël Glucksmann comme tête de liste, le Parti socialiste tourne le dos au rassemblement sur une ligne de rupture. Il a toujours refusé la Nupes. Il est le candidat de François Hollande et de tous ceux au PS qui ont préféré faire perdre des députés de gauche en 2022 en soutenant des candidatures dissidentes. Alors que ces élections européennes doivent permettre de préparer l’après-Macron, le Parti socialiste veut revenir à l’avant-Macron en préparant le retour de Hollande.

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Or ce qui a permis l’alliance de 2022, c’est un programme de rupture avec ce quinquennat. Je souhaite un vote qui puisse mettre de l’ordre à gauche : en votant pour la liste de Manon Aubry, il s’agit de donner de la force à ceux qui n’ont pas renoncé à rassembler sur cette ligne. Sinon, ce sera le retour du désordre et de l’affrontement entre deux orientations qui ne sont pas conciliables. Nous ne gagnerons pas la présidentielle avec le programme politique de François Hollande.

Que comptez-vous faire après le 9 juin ?

Poursuivre le rassemblement autour du programme de la Nupes. En 2022, nous avons prouvé que, lorsque les électeurs nous en donnaient le mandat, nous en étions capables. Il faudra créer les conditions pour qu’on ne soit pas condamnés à choisir entre l’héritier d’Emmanuel Macron et l’extrême droite. Si nous sommes en tête le 9 juin, nous le ferons.

« Il faudra créer les conditions pour qu’on ne soit pas condamnés à choisir entre l’héritier d’Emmanuel Macron et l’extrême droite. » (Photo : Maxime Sirvins.)

Seriez-vous prêt à rediscuter du programme partagé en 2022 si les partenaires s’accordent au préalable sur l’impératif de la rupture ?

Un programme doit évoluer constamment. Celui de 2027 devra être enrichi par le travail que nous avons réalisé depuis 2022 et les contributions du monde associatif, syndical et citoyen. Mais il ne faut pas se mentir : pour gagner, il faut un programme qui résonne avec les exigences de la société. C’est incompatible avec ce que défendent certains. Olivier Faure voulait renoncer au retour à la retraite à 60 ans. Plusieurs responsables écologistes voulaient abandonner les mesures de blocage des prix sur l’alimentation ou l’énergie. Bien évidemment, il ne peut pas en être question.

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Avant d’échanger avec les autres partis, comptez-vous vous réconcilier avec les frondeurs au sein de votre mouvement ?

Nous ne sommes pas fâchés, nous sommes en désaccord. Ce n’est pas un problème personnel. Mais l’appartenance à un cadre collectif implique de respecter les décisions prises en commun et de ne pas participer aux campagnes de division de nos adversaires. C’est un principe de base. Pour le reste, j’observe que tous les parlementaires insoumis soutiennent la liste de Manon Aubry. C’est que la coordination du mouvement que j’anime doit plutôt bien travailler. La puissance de notre campagne sur le terrain en atteste. Je m’en réjouis.

L’union pourra-t-elle se construire avec Jean-Luc Mélenchon ?

On ne peut pas gagner l’élection présidentielle sans le candidat qui a réalisé 22 % lors du scrutin précédent. L’ostracisation à laquelle se livrent ceux qui, la dernière fois, n’ont pas franchi la barre des 5 % est un précédent dangereux et grossier.

Il faudrait être complètement hors de la réalité du terrain pour dire que Jean-Luc Mélenchon n’est pas une candidature potentielle.

Sera-t-il candidat ?

C’est un candidat possible. Jean-Luc Mélenchon a fait trois campagnes présidentielles : à chaque fois, il a levé des millions de gens autour d’un programme politique à la hauteur des urgences de notre temps. Il faudrait être complètement hors de la réalité du terrain pour dire qu’il n’est pas une candidature potentielle. Mais il faut aussi écouter ce qu’il dit : il aspire à être remplacé et il se félicite que d’autres figures de la France insoumise commencent à émerger.

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Il vous cite d’ailleurs parmi ces candidatures possibles. Vous préparez-vous ?

Je m’implique pleinement pour essayer de faire gagner les idées que nous défendons. Je l’ai toujours fait dans la position où je me sentais le plus utile à notre collectif, en étant à deux reprises directeur de la campagne présidentielle puis coordinateur du mouvement. Aujourd’hui, je travaille, comme d’autres, pour continuer à progresser. J’ai constaté des impatiences. J’en souris. Je ne crois pas aux auto-investitures mais seulement au travail collectif. Je ne crois pas à la compétition mais à l’émulation. Il faut que tout le monde se tire vers le haut, que nous ayons plusieurs possibilités sur la table pour pouvoir décider collectivement, le moment venu, quelle sera notre option la plus efficace. Car il ne faut jamais oublier que nous ne faisons pas ça pour nous-mêmes mais pour des millions de gens qui voient en nous l’espoir d’un monde meilleur.

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