« La Fleur de buriti », rituel de résistance

Renée Nader Messora et João Salaviza poursuivent un travail de longue date parmi les Krahô. Ils filment la lutte de ce peuple autochtone du Brésil à la façon d’un conte beau et complexe aux accents ethnographiques.

Anaïs Heluin  • 30 avril 2024 abonné·es
« La Fleur de buriti », rituel de résistance
La douceur et la poésie quotidienne des Krahô, leur respect profond de la nature sont des leçons que prennent les réalisateurs et qu’ils nous offrent avec délicatesse.
© Ad Vitam

La Fleur de buriti / Renée Nader Messora et João Salaviza / 2 h 05.

La fleur qui donne son nom au deuxième film cosigné par Renée Nader Messora et João Salaviza ne tarde pas à se manifester. Elle apparaît non pas sous sa forme végétale, que le long-métrage ne dévoilera d’ailleurs à aucun moment, mais au sein d’un rituel filmé de nuit et par fragments de plans fixes sur des visages de tous âges chantant autour d’un feu. «La fleur de buriti est rouge. Cueillir la fleur. La fleur d’urucum est pourpre», nous traduisent les sous-titres, tandis que nos yeux s’adaptent à l’obscurité et que notre esprit se prépare à accueillir un imaginaire et une logique éloignés des nôtres : ceux du peuple Krahô, vivant au nord-est du Brésil dans la forêt de l’État du Tocantins.

Comme dans son premier film commun, Le Chant de la forêt (2018) – prix du jury en 2019 au Festival de Cannes dans la section « Un certain regard », où La Fleur de buriti a obtenu en 2023 le prix d’ensemble –, déjà consacré aux Krahô, le duo de cinéastes appréhende son art à l’aune touffue des forêts où il s’aventure, et des femmes, des hommes et des animaux qui y demeurent, et non l’inverse.

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Derrière la porte d’entrée au film qu’est le rituel décrit plus tôt, nulle enfilade de pièces cinématographiques dont on pourrait reconnaître la forme et la fonction. La Fleur de buriti s’épanouit tout doucement comme une fleur au matin, un pétale après l’autre, sans rien laisser présager de la forme finale. Ce n’est qu’après plusieurs scènes brèves, de forme tantôt documentaire tantôt onirique, que des voix et des corps se détachent légèrement de tous les autres pour prendre en charge la mince couche de fiction ou de fable qu’ont bâtie les réalisateurs pour la mêler au réel. Soit celle de la petite Jotàt, hantée dans ses rêves par les histoires des ancêtres, et de sa mère, Patpro, qui se rend à Brasília pour un rassemblement de peuples autochtones.

On rencontre encore Hyjnõ, le gardien et chaman du village, qui soigne la petite et accompagne la ­deuxième dans son voyage, sans oublier sa femme, enceinte, restée au village, nommée Crowrã ou « Fleur de buriti », comme avant la grand-mère de son mari, qui survécut au massacre perpétré contre les Krahô en 1964, pendant la dictature militaire.

Porosité et rhizome

Chez les Krahô, les enfants héritent du nom des ancêtres comme de leur histoire, c’est-à-dire de leurs luttes. Le cinéma permet ici de rendre particulièrement sensible cette porosité entre les époques et leurs protagonistes. Mêlée au temps présent au point de souvent s’y confondre, la reconstitution de deux moments marquants de l’histoire du peuple est loin d’être un simple procédé. Elle est l’invention d’une solution artistique, aussi proche du théâtre que du septième art, taillée à la mesure d’un imaginaire qui ne connaît pas les lignes droites mais s’adonne volontiers au cercle et au rhizome.

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Sans tout à fait cesser d’être des personnes d’aujourd’hui, les interprètes de Jotàt, Patpro et Hyjnõ se mettent dans la peau et l’esprit des victimes de 1964 et de 1940, année où des paysans cherchent à s’approprier les terres du Tocantins. C’est que les Krahô, comme tous les autres peuples autochtones, n’en finissent pas, depuis l’arrivée des Européens il y a cinq cents ans, de devoir se battre pour préserver ce qui leur appartient mais qu’ils n’habitent pas en maîtres.

Réalisé sous l’ère Bolsonaro, qui fut l’une des plus violentes envers les territoires en question, le film dit l’éternel retour de la haine.

La grande peur qui traverse la partie contemporaine du film réside dans l’arrivée des « cupē », intrus avides de toutes les richesses krahôs. On en voit certains tenter de voler des perroquets, alors que les indigènes considèrent les animaux comme des égaux, voire comme porteurs d’une vérité inaccessible à l’homme. Oiseaux, tamarins, buffles sont partout dans La Fleur de buriti, sauf dans les scènes consacrées à la manifestation de Brasília, qui témoigne de l’évolution des méthodes de résistance des différents peuples autochtones, dont l’union est rendue possible par les moyens modernes de communication.

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Réalisé sous l’ère Bolsonaro, qui fut l’une des plus violentes envers les territoires en question, le film dit l’éternel retour de la haine. La douceur et la poésie quotidienne des Krahô, leur respect profond de la nature sont des leçons que prennent les réalisateurs et qu’ils nous offrent avec délicatesse.

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Cinéma
Temps de lecture : 4 minutes