Pour la CFDT, une nouvelle réforme de l’assurance-chômage relève de « la politique fiction »
Après l’annonce gouvernementale d’une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, les syndicats sont dans l’attente. Si certains préparent déjà une éventuelle mobilisation, d’autres espèrent encore voir le gouvernement faire marche arrière.
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Réforme de l’assurance-chômage : « Ça va détruire nos vies » Assurance-chômage : « C’est la réforme de trop ! » Une étatisation dangereuse La perpétuelle chasse aux pauvres du gouvernementLa colère a été grande, mercredi 27 mars au soir, au sein des organisations syndicales. Voir le Premier ministre, sur le plateau du 20 h de TF1, expliquer qu’il fallait, de nouveau s’attaquer à l’assurance-chômage a été vécu comme une nouvelle provocation contre les personnes privées d’emploi. Mais, aussi, comme une énième humiliation infligée aux partenaires sociaux qui, depuis plusieurs semaines, négocient un avenant à la nouvelle convention d’assurance-chômage, sur laquelle ils s’étaient déjà entendus en novembre 2023.
« Pour le moment, on s’en tient à cette négociation de manière à finir ce qu’on avait commencé », explique Olivier Guivarch, secrétaire national de la CFDT, en charge des questions d’assurance-chômage pour la confédération. Son organisation syndicale, comme FO et la CFTC, a signé l’accord de convention en novembre 2023.
Un accord déjà dur pour les droits des chômeurs, mais qui, pour les syndicats signataires, leur permettaient de reprendre la main sur le sujet. « Réussir les négociations, c’est aussi une façon de mettre un terme à la carence, et cela évite que le gouvernement puisse agir par décret. Puis ça montre que les partenaires sociaux savent trouver des accords », poursuit le cédétiste.
Feuille de route intenable
En effet, depuis 2018, la négociation des partenaires sociaux sur l’assurance-chômage est fixée par une « lettre de cadrage » du gouvernement. Un système qui complique la négociation comme l’a expliqué, dans nos colonnes, l’économiste Michaël Zemmour : « L’État truque le jeu de la démocratie sociale en donnant systématiquement aux partenaires sociaux des feuilles de route intenables qui feront échouer la négociation. »
Sauf que là, les partenaires sociaux sont en bonne voie pour, justement, trouver un accord qui, sur le volet de l’indemnisation des seniors, viendrait compléter celui de novembre dernier. « Ensuite, on demandera à l’État l’agrément de cette convention », souligne Olivier Guivarch. Lequel, s’il est obtenu, permettrait d’éviter une carence donnant les coudées franches au gouvernement. D’autant que cet accord est censé s’étendre jusqu’en 2027.
La stratégie de la CFDT, de FO et de la CFTC a échoué.
D. Gravouil
C’est donc, dans ce contexte, que Gabriel Attal a annoncé vouloir relancer, « avant l’été », une négociation, avec une nouvelle lettre de cadrage, encore plus âpre. L’illustration, pour la CGT, qu’accepter les règles du jeu fixées par le gouvernement est voué à l’échec. « La position des trois organisations syndicales qui ont signé l’accord de novembre était de dire qu’avec cette nouvelle convention, on était tranquille pour quatre ans. Mais cette stratégie a échoué », constate Denis Gravouil, en charge de la protection sociale et des retraites à la CGT.
« Ce serait irresponsable de la part du Premier ministre de jouer les apprentis-sorciers »
Ce désaccord stratégique montre que, sur la question de l’assurance-chômage, les deux plus grosses centrales du pays ont rarement été sur la même ligne. Une fois n’est pas coutume, c’est de nouveau le cas. Ainsi, à la CFDT, on pense encore pouvoir convaincre le gouvernement de faire marche arrière.
« On est encore loin de la lettre de cadrage », assure Olivier Guivarch qui réfute toute accusation de naïveté. « Je ne suis ni optimiste ni naïf. Simplement, je donne de l’importance à ce que nous faisons. Sur l’assurance-chômage, il faut bien faire attention à ce que l’on fait, sinon on produit de la pauvreté. Ce serait irresponsable de la part du Premier ministre de jouer les apprentis-sorciers. Je crois qu’il y a encore un espace pour expliquer et argumenter cela auprès du gouvernement, donc on va continuer comme ça. »
Ce serait irresponsable de la part du Premier ministre de jouer les apprentis-sorciers.
O. Guivarch
Un « espace » qu’on ne perçoit pas à la CGT. « La lettre de cadrage va sortir à la suite des négociations du 10 avril avec une convocation d’une réunion immédiate pour des mesures avant l’été où l’on devra faire hara-kiri aux chômeurs », affirme Denis Gravouil.
Un boycott des négociations ?
Malgré ces divergences, les deux organisations s’accordent sur une chose : s’attaquer, une énième fois, aux droits des chômeurs est inacceptable. Si, pour la CFDT, cela reste à ce stade – c’est à dire sans lettre de cadrage – de la « politique fiction », les syndicats commencent tout de même à discuter d’une éventuelle stratégie commune.
En effet – au contraire des réformes précédentes –, les organisations syndicales sont désormais unies depuis la mobilisation contre la réforme des retraites. Et, malgré la promulgation de cette dernière, le dialogue, jamais rompu, se poursuit régulièrement. « Les lumières de l’intersyndicale ne se sont jamais éteintes. La fraternité syndicale est toujours là, on continue à se parler », assure Dominique Corona, numéro 2 de l’UNSA.
Que faire, alors, pour lutter contre cette nouvelle réforme ? Dans les rangs syndicaux, on sait très bien qu’il est ardu de mobiliser dans la rue sur la question du chômage. « On a des difficultés à faire passer ce sujet-là dans l’opinion. Mais peut-être, quand on voit les réactions même au sein de la majorité, que c’est la réforme de trop », espère Denis Gravouil. « La colère monte, on le ressent en interne. Lors de notre dernière réunion sur le sujet, on était cinq fois plus nombreux. »
Tout le monde attend la lettre de cadrage avant de préparer quoi que ce soit.
D. Corona
La question d’un boycott collectif de toute nouvelle négociation est ainsi envisagée. Même si, pour l’instant, personne ne s’y engage vraiment. « Tout le monde attend la lettre de cadrage avant de préparer quoi que ce soit », souligne Dominique Corona. « La politique de la chaise vide ? C’est trop tôt pour répondre à cette question. En priorité, on va tout faire pour que cette lettre de cadrage n’existe pas. Donc, a priori, on ne souhaiterait pas négocier. Si on nous l’oblige, on réfléchira », persiste Olivier Guivarch qui assure qu’au sein de sa confédération, « rien n’est exclu ».
Même son de cloche à la CGT où l’on préfère rester prudent : « On ne sait pas si on ira en négociation. Mais en tout cas, et même si, sur l’assurance-chômage, nous n’avons pas les mêmes positions, on va essayer de se coordonner. »
Enjeu institutionnel
Faire front, ensemble, contre cette nouvelle attaque. Les organisations syndicales en auraient tout intérêt. En effet, si cette réforme s’attaque au droit des chômeurs, elle remet aussi dangereusement en cause la démocratie sociale. « L’État doit reprendre la main sur l’assurance-chômage de manière définitive », déclarait ainsi début mars Bruno Le Maire à nos confrères du Monde, soulignant une certaine idée du système assurantiel actuel et du paritarisme au sein du gouvernement.
« Si l’État reprend la main, la protection des chômeurs sera votée chaque année dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), avec des décisions unilatérales, gouvernementales pouvant être très dures. Donc il y a un vrai enjeu pour nous à ne pas l’accepter », souligne Denis Gravouil.
Une reprise en main qui, pour l’instant, reste à l’état de souhait individuel du ministre des Finances. « Le gouvernement ne veut pas aborder de front la question de la gouvernance, profitant d’un certain flou, mais cela ne peut pas durer », insiste Olivier Guivarch, plaidant pour laisser les partenaires sociaux travailler, sans interférence systématique de l’État. L’envoi d’une nouvelle lettre de cadrage au lendemain de la signature d’un accord paritaire – fait inédit – montrerait clairement la volonté inverse du gouvernement.
Ils vont finir par nous trouver. Mais on attend qu’ils mordent en premier.
Dans ce cas – le plus probable, au vu des annonces de Gabriel Attal –, tous s’accordent sur la nécessité d’avancer unis. « Ce n’est pas une fin en soi, mais cela peut être un moyen si on est plus fort ensemble », note-t-on à la CFDT. Plusieurs interlocuteurs nous confirment que des échanges informels sont en cours, sans que rien, à ce stade, ne soit tranché. « On va essayer de provoquer notre unité », glisse Denis Gravouil. Un des leaders syndicaux, préférant rester anonyme, conclut : « Tout le monde est très énervé et agacé. Ils vont finir par nous trouver. Mais on attend qu’ils mordent en premier. »