« Le mal n’existe pas », humaine nature
Ryûsuke Hamaguchi mêle dans son dernier opus, primé à Venise, questions écologiques et existentielles.
dans l’hebdo N° 1805 Acheter ce numéro
Le Mal n’existe pas / Ryûsuke Hamaguchi / 1 h 46.
Un travail autour de Tchekhov dans Drive my car, des clins d’œil rohmériens dans Contes du hasard et autres fantaisies… La parole était reine dans les deux derniers films de Ryûsuke Hamaguchi. Changement de cap avec son nouvel opus, Le Mal n’existe pas, grand prix à la dernière Mostra de Venise, amplement mérité. Il faut attendre une dizaine de minutes pour entendre les premières paroles, puis presque autant pour assister à une vraie conversation.
Auparavant, on est au cœur de la forêt avec Takumi (Hitoshi Omika) qui coupe du bois pour le chauffage, remplit des bidons d’eau de source claire, se promène avec sa fillette, Hana (Ryo Nishikawa), qui apprend à reconnaître l’essence des arbres. Cette longue ouverture panthéiste et contemplative (où l’on ressent dans la bouche jusqu’au goût du wasabi frais) n’a rien de gratuit. Elle prend tout son sens quand débarquent de Tokyo deux émissaires d’une opération d’implantation touristique de glamping, contraction de glamour et camping (si, si, ça existe !)
Le Mal n’existe pas a des résonances écologiques. Avec une séquence de confrontation face aux villageois qui n’est pas sans rappeler celle de Dark Waters, de Todd Haynes. Mais ici, les locaux ne se laissent pas faire. Ils connaissent la région, savent qu’on ne peut traiter les eaux usées n’importe où, se montrent rationnels. Takumi écarte même l’argument identitaire de ceux qui sont là depuis toujours : leurs aïeux, fraîchement installés, ont dû transformer eux-mêmes le paysage.
Se méfier des blessures
Takumi est un personnage mystérieux, qui porte un monde en lui. Taiseux, précis quand il parle, mais sujet aux trous de mémoire, il entretient avec sa fille une relation d’amour où rôde l’absence d’une mère (que l’on voit en photo : morte ? Partie ?) La petite Hana, elle, sait trouver des marges d’indépendance dans cette vaste nature.
Le film est comme ses protagonistes : il ne semble pas laisser de place au hasard. Nombre de signes annoncent en effet ce qui peut arriver : un danger qui plane ici, une goutte de sang là. Pour autant, rien n’est jamais tracé. Le film semble suggérer qu’il faut se méfier des blessures, visibles ou non. Si le Mal n’existe pas, reste la mise à l’épreuve, qui relève non du diable, mais de l’humain seul.