À Paris, les poids lourds de la Macronie tentent de sauver le soldat Hayer

La tête de liste Renew, loin derrière Jordan Bardella dans les sondages, essaie de relancer sa campagne. Mais l’eurodéputée et tout le camp macroniste peinent à trouver le ton pour se montrer offensifs contre le Rassemblement national et faire mentir les enquêtes d’opinion.

Lucas Sarafian  • 7 mai 2024 abonnés
À Paris, les poids lourds de la Macronie tentent de sauver le soldat Hayer
Valérie Hayer, à Toulouse, le 29 avril 2024.
© Lionel BONAVENTURE / AFP

L’opération sauvetage est-elle officiellement lancée ? Personne n’ose vraiment l’avouer. Dans une ambiance plutôt sage, militants et élus macronistes semblent vouloir faire bonne figure. Tout le monde semble faire comme si l’aventure électorale de Valérie Hayer, la tête de liste de Renew, se déroulait parfaitement, que le macronisme était une idée politique encore motrice dans le débat public, que l’extrême droite et Jordan Bardella, la tête de liste du Rassemblement national, ne donnaient pas le ton de cette campagne européenne.

Quelques minutes avant le meeting, les Jeunes avec Macron tentent de réveiller une audience bien timide : « Valérie Hayer, maintenant vous la connaissez ! Elle vient de la Mayenne, elle va battre le RN ! », chantent les dizaines de jeunes militants au fond de la scène. Le rendez-vous du sauvetage de la campagne est donné ce mardi 7 mai, sept ans jour pour jour après l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron. Dans un endroit hautement symbolique : la Maison de la mutualité, salle historique des campagnes politiques de toutes les gauches et très liée au parti présidentiel.

« Nous étions là en 2016 pour l’un des premiers meetings de la création d’En Marche. Nous étions là en 2019 pour le dernier meeting des européennes. Nous étions là en 2021 pour la création d’Ensemble, la première étape de la fusée de ce grand bloc central », explique la députée des Hauts-de-Seine, Maud Bregeon. Selon la communication de Renew, la salle, d’environ 2500 places, est remplie.

Un gouvernement quasi au complet

Pour éviter le crash annoncé, la Macronie est venue en nombre. Dans l’assistance, le gouvernement est quasi au complet. Seuls les ministres Gérald Darmanin (Intérieur), Sébastien Lecornu (Armées), Christophe Béchu (Transition écologique) et Patricia Mirallès (Anciens combattants) manquent à l’appel. Pour entamer le meeting, l’ancien premier ministre et patron de sa petite boutique Horizons, Édouard Philippe (en 76e position de la liste), disserte sur Alstom, le Brexit, la gestion du covid. Le président du Modem et maire de Pau, François Bayrou (78e), parle d’international en évoquant la guerre d’agression de l’Ukraine menée par Vladimir Poutine, l’attaque du Hamas, la politique du régime chinois de Xi Jinping.

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L’actuel ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Stéphane Séjourné (80e), alerte sur « nos démocraties en danger » et appelle à « la mobilisation de tous les instants sur le terrain, dans les médias ». Quant à l’ex première ministre, Élisabeth Borne (81e), elle pointe ceux qui veulent « faire de cette élection européenne, le troisième tour des législatives ou la pré-campagne de 2027 ». Casting XXL. Il fallait au moins ça. Car la campagne de Valérie Hayer est à deux doigts de virer au cauchemar. L’eurodéputée, devancée dans les intentions de vote par Jordan Bardella depuis de longues semaines, n’a jamais pu creuser l’écart.

La campagne, l’incarnation, la méthode… Une fois de plus, on n’a rien appris de nos échecs électoraux précédents.

Selon certaines enquêtes sondagières, elle stagne autour des 17% et se retrouve à plus de dix points de la tête de liste du Rassemblement national. « La campagne, l’incarnation, la méthode… Une fois de plus, on n’a rien appris de nos échecs électoraux précédents. Les militants, ceux qui restent, tiennent mais serrent les dents », grince un conseiller du parti Renaissance. « Nous avons un mois pour remonter la pente, pour convaincre et faire gagner notre unité », croit encore Bernard Guetta, l’eurodéputé numéro deux de la liste, à la fin d’un discours très lu et sans allant sur les grands conflits internationaux.

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Sur scène, les colistiers tentent d’exposer des solutions pour faire mentir les sondages. Nathalie Loiseau plaide, par exemple, pour un projet de « défense européenne », comprenant la création d’un fonds de soutien aux industries et la mise en place d’une « préférence européenne » dans les achats d’armement. L’eurodéputée Renew et membre du Modem Marie-Pierre Vedrenne tente de défendre sa vision de l’Union européenne : « Nous sommes les héritiers, les artisans, les ambassadeurs d’une Europe humaniste, démocratique, prospère. »

Au passage, elle étrille quelques candidats. « Messieurs Glucksmann et Bellamy ne sont que des souverainistes des plateaux télé, ils sont incapables de peser dans leurs groupes politiques, lance-t-elle en ciblant les têtes de liste du Parti socialiste et des Républicains. Nous sommes les alliés de ceux qui se battent contre Viktor Orbán. Jordan Bardella est l’ami de l’AfD, il est l’ami de Moscou, il est l’ami de ceux qui veulent nous détruire. »

« Passions tristes »

Mais il n’est pas certain que ces quelques coups de griffes suffisent. C’est donc Gabriel Attal qui tente de réactiver le projet originel du macronisme : la défense de l’Union européenne « contre les grincheux et les professionnels du déclin », un projet de « progrès, d’humanisme et de puissance ». « Nous, on parle d’Europe, mais nous on l’aime l’Europe, on assume de l’aimer et de la défendre, affirme le Premier ministre. Nous ne sommes pas plus forts en étant plus seuls. »

Cette élection, ce n’est pas un tremplin pour ambition présidentielle contrariée.

G. Attal

Il parle défense, énergie, économie. Et tente de contredire les candidats qui ont tendance à nationaliser ce scrutin. « Cette élection, ce n’est pas un tremplin pour ambition présidentielle contrariée. » La ficelle est grosse : le chef du gouvernement relativise l’importance du futur résultat du 9 juin, en décorrélant le scrutin européen de l’impact qu’il pourrait avoir sur la scène nationale pour la prochaine présidentielle en 2027.

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Dans le camp d’Emmanuel Macron, on espère renouer avec les macronistes de la première heure, cet électorat profondément pro-européen qui s’est mobilisé face à l’extrême droite. Attal tente donc de dénoncer les « pirouettes politiques » du parti de Jordan Bardella : « Ils n’assument plus de dire qu’ils veulent sortir de l’Europe. C’est une victoire par KO que nous avons infligé aux discours délirants du Rassemblement national. » Entre la gauche qui joue sa « primaire de l’élection présidentielle au sein de la Nupes » et l’extrême droite, Gabriel Attal tente d’incarner le « camp de l’optimisme » face aux « passions tristes ». Et appelle à la remobilisation des électeurs : « Posez-vous la question des conséquences de l’abstention. »

« Optimisme lucide »

Dans une ambiance loin d’être survoltée, la tête de liste Renew, Valérie Hayer, entre sur scène. Assidue et plutôt reconnue à Bruxelles, l’eurodéputée compte avant tout sur son « projet d’optimisme lucide » pour convaincre les foules. Elle déroule ses propositions : un plan « Europe 2030 » reposant sur 1 000 milliards d’euros d’investissement pour faire de l’UE une championne dans les secteurs de l’énergie, des transports, du numérique ou de la recherche spatiale, un « plan Marie Curie » pour investir dans la recherche sur la maladie d’Alzheimer, le cancer ou l’autisme, l’interdiction des thérapies de conversion dans toute l’Europe et l’inscription du droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la charte européenne des droits fondamentaux.

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« Il suffit de voir les amis de Madame Le Pen qui, en Italie, promeuvent un IVG de façade. Ou qui, en Hongrie, forcent les femmes à écouter les battements de cœur de leur fœtus. Orban, Meloni, ce sont les alliés de l’extrême droite française. Ils portent le même projet », lâche-t-elle.

La théorie de Valérie Hayer est claire : c’est en prouvant qu’elle a travaillé son programme qu’elle arrivera à faire mentir les sondages et, à la fin, talonner Jordan Bardella. « Notre rôle, c’est d’apporter des solutions, de changer le quotidien des Français, de démystifier les mensonges et les supercheries de l’extrême-droite […]. Je veux ici, m’adresser à toutes les Colombe [cette bénévole des Restos du cœur interviewée par TF1 lors d’un meeting du Rassemblement national à Perpignan, N.D.L.R.] de notre pays : avec eux au pouvoir, on le voit ailleurs en Europe, pas un prix qui baisse, pas un salaire qui augmente, pas une usine qui rouvre. C’est pour vous Colombe, pour tous les résignés, que je veux me battre. »

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En ne ciblant quasiment jamais Jordan Bardella et le Rassemblement national dans tout son discours, Hayer prend la défense de cette « civilisation européenne dont nous pouvons être fiers et que je refuse de voir dévoyée par le projet de l’extrême droite » et tente d’incarner « cette Europe de la liberté aujourd’hui menacée par les populistes ». « Vous l’avez compris, face à ceux qui veulent l’Europe de la marche arrière, nous, nous défendons l’Europe du progrès et de l’avenir, lance-t-elle. Notre projet ? Que l’Europe fasse rêver, à nouveau, les jeunes de notre continent ! Notre boussole ? Une certaine idée de la France et une certaine vision de l’Europe. » Une vision qui ne semble pas retrouver ici son second souffle tant espéré.

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