En école privée catholique, une éducation à la sexualité d’un autre âge
Tenu d’assurer les trois séances annuelles d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle par la loi de 2001, l’enseignement catholique se tourne parfois vers des associations. Si certaines ont fait évoluer leur discours sur l’homosexualité ou les relations hors mariage, d’autres déversent encore des préceptes anti-IVG.
« Si on ne fait rien avant le mariage, il n’y aura pas de problème. » Voilà ce que Marion retient de l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle reçue à l’Immaculée Conception, établissement privé sous contrat de Pau. Aujourd’hui âgée de 30 ans, elle a le souvenir d’un seul après-midi expéditif sur toute sa scolarité pour aborder ce vaste sujet, animé par la catéchèse. Marine, 37 ans, scolarisée à Saint-Dominique à Neuilly-sur-Seine, se souvient, elle, d’une séance « assez bizarre » en seconde. « Ça avait la forme d’une boîte à questions, aucune n’était interdite. »
Cette méthode est souvent utilisée et permet aux élèves de s’exprimer en toute liberté sur des sujets sensibles. Toutefois, les séances ne sont pas dispensées par des enseignants, ni par une infirmière scolaire, mais par des parents d’élèves, ici un père médecin. « Il n’y a jamais eu d’associations extérieures », assure-t-elle.
En 2010, le secrétariat général de l’Enseignement catholique s’est fendu d’un document de référence sur l’éducation à la vie affective relationnelle et sexuelle pour aider les établissements à la mettre en œuvre, conformément à la loi de 2001, qui prévoit trois séances par an dès l’école primaire. Il aborde, par exemple, la possibilité de faire intervenir des personnes extérieures pour animer ces séances.
Des établissements délèguent en effet à des structures extérieures, mais pas forcément à des associations comme le Planning familial qui défend une approche non sexiste dans une démarche d’éducation populaire. Certains se tournent vers TeenSTAR, un programme qui prône une « sexualité responsable et adulte », créé aux États-Unis dans les années 80 par Hanna Klaus, une religieuse gynécologue favorable aux méthodes de planification familiale naturelle et voulant valoriser l’image du corps et de la fertilité auprès des jeunes filles.
TeenSTAR, un programme anti-IVG qui veut du bien aux adolescentes
Charlotte n’a pas suivi le programme TeenSTAR à l’école, mais à la paroisse Saint Marc des Bruyères d’Asnières-sur-Seine où elle avait ses habitudes quand elle était adolescente dans les années 2000. C’est sa mère qui l’y avait inscrite : « Une grosse partie du programme TeenSTAR, qu’on ne trouvait pas très fun, c’était l’observation de la glaire cervicale et des règles avec des petits formulaires à remplir », se souvient-elle. Elle se rappelle aussi de l’intervention d’une gynécologue pour parler contraception : « Elle a parlé du stérilet, de la pilule, mais elle a tout de même conclu en disant que les méthodes naturelles c’était vachement bien, que si on pouvait faire ça, c’était quand même le top. C’était assez transparent sur le fait que ce n’était pas fiable à 100 % et que c’était une méthode bien quand on voulait avoir des enfants. »
Même sans un discours violemment anti-avortement, le simple fait de ne pas l’évoquer et la possibilité d’y avoir recours lors d’une séance, c’est déjà un signal.
D. Saint-Réquier
Pour Diane Saint-Réquier, éducatrice en santé sexuelle et créatrice du site Sexy Soucis, cette approche de la contraception a de quoi laisser perplexe : « La méthode naturelle, ça veut dire combiner la prise de température, l’observation de la glaire cervicale, et compter les jours. C’est utilisé par des hétérosexuelles pour prévoir quand elles ont le plus de chance de tomber enceinte. C’est une drôle d’idée de préconiser une méthode aussi peu adaptée à des jeunes filles. Quand tu es ado, tu es hyperfertile, tu as des cycles hyperirréguliers… et tu as aussi autre chose à faire que de penser à tes cycles ! »
Ce n’est pas un hasard si la fertilité est au cœur du discours de TeenSTAR : inciter les adolescentes à connaître leur cycle est un moyen de valoriser leur futur rôle de mère mais aussi de les éloigner de leur entrée dans la sexualité, décrivait Hanna Klaus elle-même : « Comprendre et accorder de la valeur à sa sexualité et à sa fertilité plutôt que de la supprimer avec une contraception hormonale, c’est responsabilisant […] Elles vont passer facilement de la pression des pairs à la prise de leurs propres décisions, elles s’éloignent de la pression du groupe s’il leur propose quelque chose avec lequel elles ne sont pas d’accord. » En somme, c’est bien l’abstinence qui est prônée.
En France, TeenSTAR a été déployé à partir de 1993 grâce au Centre d’éducation pluridisciplinaire de la personnalité (CEPP), une association présidée par une certaine Angela de Malherbe, soutien affiché de la Marche pour la vie et proche du médecin homophobe et conservateur Henri Joyeux. Autour de TeenSTAR gravite encore aujourd’hui toute une galaxie anti-choix : c’est par exemple au communiquant anti-IVG Émile Duport qu’on a confié la réalisation du site TeenSTAR. Plus récemment, en février dernier, l’Université de la vie organisée par Alliance Vita a invité un de ses représentants.
Contacté pour savoir comment TeenSTAR aborde l’IVG, le CEPP n’a pas répondu à nos sollicitations. « Même sans un discours violemment anti-avortement, le simple fait de ne pas l’évoquer et la possibilité d’y avoir recours lors d’une séance, c’est déjà un signal », estime Diane Saint-Réquier.
Avec Cycloshow, les garçons c’est comme ci et les filles c’est comme ça…
Comme TeenSTAR, d’autres associations animent des séances sans diffuser un discours frontalement conservateur, mais non dénué de sous-entendus. Un épisode de Bon Sang, série de France.tv Slash sur le tabou des règles, est consacré au « Cycloshow », un atelier destiné aux filles entre 8 et 14 ans qui, par des moyens ludiques pailletés rose bonbon, explique comment se déroule le cycle menstruel. Jusque-là, rien d’anormal, le jeu étant une méthode pédagogique adéquate pour aborder ces sujets.
L’atelier est un des modules proposés par Cycloshow-XY. L’association a été créée par une médecin allemande, Élisabeth Raith-Paula, qui comme Hanna Klaus, souhaite que les adolescentes connaissent mieux leur corps, leur cycle et leur fertilité. Elle a écrit Que se passe-t-il dans mon corps ? traduit dans plusieurs langues et développé les ateliers à l’international. En octobre 2023, Élisabeth Raith-Paula était une des invitées d’un événement de Guiding Star Project, organisation étasunienne promouvant auprès des femmes une réappropriation de leur santé et de leur fertilité naturelle. Et qui, derrière un discours positif plein de féminité et d’empowerment (ou « empouvoirement »), véhicule un vrai discours anti-IVG.
Revenons à Cycloshow-XY : il est impératif d’être parent pour avoir le droit d’animer (bénévolement) les ateliers. Il faut en outre pouvoir « fournir des graphiques récents d’observation de ses cycles » quand on est une femme… ou bien fournir « ceux de sa femme » quand on est un homme. Il faut enfin adhérer à certains messages comme « les corps masculin et féminin, qui sont faits pour la transmission de la vie, sont à connaître et à respecter ».
Une camarade avait demandé ‘et si on a juste envie de coucher pour s’amuser ?’ La dame qui faisait l’intervention était outrée.
Cycloshow-XY propose des animations destinées aux garçons de 11 à 14 ans, « Mission XY », mais aussi « Cyclocœur », pour les adolescentes entre 15 et 18 ans. Ce dernier invite à réfléchir au « sens du mot amour », aux « différences physiques et psychologiques » entre hommes et femmes, aux « méthodes naturelles » et à « la contraception ». Un atelier qui existe pour les adolescentes et seulement pour elles, comme si finalement ce sujet n’était pas l’affaire des adolescents.
« Cela perpétue des normes de genre et des rôles différenciés », s’inquiète Diane Saint-Réquier. « Socialement c’est admis et accepté que les filles portent la charge affective et émotionnelle du couple. » Un discours que Charlotte a aussi entendu chez TeenSTAR : « On nous a dit que les filles ont plus de maturité émotionnelle, que les hommes dans le couple font des bêtises, mais qu’il ne faut pas leur en vouloir. Comme si nous les filles, on savait mieux, et qu’on devait être indulgentes avec eux et leur apprendre. »
Chez Sésame, pas de prosélytisme, ni homo, ni hétéro
« Il faut attendre avant d’être sûr », se souvient Jean*, scolarisé à Saint-Joseph, à Tassin-la-Demi-Lune, dans le Rhône en 2010. « Une camarade avait demandé ‘et si on a juste envie de coucher pour s’amuser ?’ La dame qui faisait l’intervention était outrée. Que des personnes puissent avoir des relations sexuelles consenties hors du cadre strictement très amoureux, voire marié, et pas dans le but de procréer, c’était inconcevable. » Avec l’idée qu’il faut se préserver pour la personne avec laquelle on s’engagera toute sa vie, c’est aussi une perpétuation de l’amour romantique qui est mise en avant.
Les prénoms suivis d’une astérisque ont été changés.
« Faire croire que le couple est forcément protecteur, beau, épanouissant, alors que ce n’est pas toujours vrai, que c’est aussi un endroit où s’exerce des violences, des formes de contrôle, c’est très pernicieux », met en garde Diane Saint-Réquier.
Il n’y avait que l’hétérosexualité qui était possible. En tant que jeune gay, je ne me sentais pas à ma place.
Jean
C’est auprès de l’association Sésame que Jean a reçu en seconde cette séance d’éducation à la sexualité. À l’époque, il vient de faire son coming out (révélation de son homosexualité) auprès de quelques copains et copines. Lors de la séance, « zéro mention d’une sexualité autre qu’hétérosexuelle » : « Il n’y avait que l’hétérosexualité qui était possible. En tant que jeune gay, je ne me sentais pas à ma place. » Tous les témoins de cette enquête affirment n’avoir eu aucune information sur l’homosexualité, la bisexualité ou la transidentité, hormis pour les dépeindre comme des troubles psychiatriques.
Contactée, Sésame assure avoir beaucoup évolué depuis 2015 et que les différentes orientations sexuelles sont maintenant « systématiquement abordées », assure Philippe Rougier, délégué à la communication : « On informe les jeunes sur le genre, qu’on ne choisit pas par qui on va être attiré, par les filles, par les garçons, par les deux. On leur dit qu’on n’est pas forcé de se déterminer. On a aucune posture morale à ce niveau-là. » Sésame revendique une forme de neutralité et refuse tout prosélytisme « hétéro ou homo ». Philippe Rougier reconnaît les racines « un peu catho » de l’association, créée en 1966 par le couple Denise et Pierre Stagnara, mais affirme qu’elle a su évoluer, par exemple en intégrant le Violentomètre ou encore en défendant l’idée que la contraception ne concerne pas que les filles.
« Dans nos statuts, on parle de sexualité dans le cadre de relation amoureuse, mais on ne nie pas qu’il puisse y avoir des plans Q, qu’on rencontre des gens pour avoir des relations sexuelles. On est là pour faire réfléchir à ce qui peut rendre pleinement heureux. À Sésame, on est persuadé que la relation amoureuse ajoute quelque chose. Mais plus personne ne dit qu’il faut attendre avant d’avoir des relations sexuelles ! »
La dimension de l’épanouissement personnel, du plaisir, même sexuel, c’est important que ça fasse partie de ces séances.
D. Saint-Réquier
Et si un élève souhaite attendre, il est impératif de respecter ce choix, tient à souligner Diane Saint-Réquier. « Notre rôle d’éducateur et d’éducatrice, c’est d’ouvrir le champ des possibles. Pour beaucoup de jeunes, c’est un apprentissage graduel de comment fonctionnent les relations, avec différentes histoires, pas forcément avec des rapports sexuels, mais des expériences sentimentales où on apprend progressivement. Par contre, dire comme le font certaines associations ‘attendez le mariage’, ‘idéalisez la sphère sentimentale’ et ‘faites des enfants’, c’est tout sauf empouvoirant. La dimension de l’épanouissement personnel, du plaisir, même sexuel, c’est important que ça fasse partie de ces séances, et ne pas avoir juste l’idée que la sexualité est un moyen d’avoir des enfants. »