Palestine, pour la vérité historique

Alain Gresh, fondateur du site d’information Orient XXI, rétablit quelques vérités de base du conflit israélo-palestinien.  

Denis Sieffert  • 29 mai 2024 abonné·es
Palestine, pour la vérité historique
À Jérusalem, le 24 mai, une manifestation pour un cessez-le-feu à Gaza est réprimée par la police israélienne.
© Mostafa Alkharouf / ANADOLU / AFP

Palestine, un peuple qui ne veut pas mourir, Alain Gresh, Les Liens qui libèrent, 190 pages, 18 euros

Ce livre d’Alain Gresh, « écrit à chaud », fera du bien à tous ceux qui subissent impuissants l’immonde déferlement de propagande que nous infligent les grands médias : mensonges grossiers proférés par des professionnels de la parole jamais contredits, plateaux déséquilibrés au mépris de la démocratie, festival de préjugés racistes… On n’a évidemment aucune illusion. Ces pages, impeccables de rigueur et de savoir, ne vont pas renverser la table. Il n’empêche ! Ce travail est de salubrité publique pour maintenant et pour l’avenir.

L’État occupant, en Cisjordanie ou à Gaza, peut-il invoquer la légitime défense ?

Le socle de la démonstration est connu. C’est aussi le nôtre : le conflit israélo-palestinien est un conflit colonial. Gresh évoque les « razzias » algériennes du général Bugeaud qui préconisait d’empêcher les Arabes « de semer, de récolter, de pâturer » et recommandait une guerre à outrance « sans morale et sans nécessité ». « On croirait entendre Benyamin Netanyahou », écrit-il. C’est la doctrine des Ben-Gvir et autres Smotrich dans leurs raids en Cisjordanie.

Et Gresh pose une question iconoclaste, qui ne vient plus à l’esprit de personne, ou presque : pourquoi les Palestiniens n’auraient-ils pas le droit de se défendre ? Ce droit qui est accordé comme une évidence à la puissance coloniale. C’est tout ce qui fait l’intérêt de cet ouvrage qui remet à l’endroit une histoire qui a été inversée au point de faire des Palestiniens dépossédés de leurs terres les perpétuels agresseurs. L’État occupant, en Cisjordanie ou à Gaza, peut-il invoquer la légitime défense ?

Mystification

Ce renversement de l’histoire repose sur une mystification qui a consisté à substituer à la question coloniale une grille de lecture qui transforme ce conflit en une guerre « contre le terrorisme », voire du Bien contre le Mal. Selon cette vision, le colon suprémaciste Ben-Gvir et son protecteur Netanyahou sont les incarnations du Bien. Gresh rappelle les usages immodérés que les puissances coloniales ont fait du concept de terrorisme. Mais cette vieille escroquerie historique pouvait-elle nous exonérer de qualifier de « terroriste » l’attaque du Hamas ? Il y a là débat.

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Gresh sort de ce dilemme par une proposition qui nous convient : « Si l’on qualifie de terroriste le Hamas, il faut aussi qualifier Israël d’État terroriste. » Mais avec l’abus de ce concept, il ne s’agit pas seulement d’effacer la question coloniale, il s’agit aussi de recruter les pays occidentaux dans la guerre que mènerait Israël au « jihadisme » en leur nom. Là encore, Gresh rétablit des vérités devenues inaudibles. Le Hamas, aussi horrible soit son attaque du 7 octobre, n’est pas Daech. C’est une méthodique et cynique fabrication de la droite israélienne qui a promu le mouvement islamiste aux dépens de l’OLP parce que la centrale palestinienne était ouverte à la négociation et à la solution à deux États.

Double casquette

Gresh démonte ensuite les rouages d’une information sous influence israélienne. L’armée « est dans votre salon », dit-il, avec ce porte-parole omniprésent sur les chaînes d’information en continu. Gresh nous en dit un peu plus sur cet Olivier Rafowicz, vulgaire à souhait, et agressif dès qu’une question lui déplaît, membre d’Israel Beytenou, une organisation d’extrême droite raciste. Sa sœur, qui siège au comité exécutif du Medef, dirige une société de production qui fournit l’audiovisuel public en « enquêtes » et autres documentaires sur le sujet.

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Gresh cite aussi des intervenants réguliers qui sont « par ailleurs » community managers de l’armée israélienne. L’art de la double casquette est pratiqué assidûment sans que le téléspectateur en soit informé. Le parti pris assumé ou inavoué résulte de l’idée qu’« Israël est un pays ‘occidental’ qui dispose d’un capital de confiance a priori ». Mentir à son profit, c’est mentir pour une cause juste. Celle de la démocratie. Rafowicz n’a pas d’autre argument. Lui poser une question qui l’embarrasse, c’est attaquer la démocratie. Une assertion qui occulte la question coloniale.

Israël est une démocratie, mais seulement pour les citoyens juifs.

A. Gresh

Car, comme l’écrit Gresh, « certes Israël est une démocratie, mais seulement pour les citoyens juifs ». Comme la France des années 1950 l’était en excluant les Arabes et les musulmans. Et puis, si l’on élargit le plan, il faut bien s’interroger sur « ce que Gaza fait au monde ». Le spectacle d’un « deux poids deux mesures » qui ruine la belle posture droit-de-l’hommiste dont les pays occidentaux aiment se parer ailleurs sur la planète. En apportant un soutien inconditionnel à Israël, les États-Unis et l’Europe creusent dans le monde une fracture dévastatrice.


Les autres parutions

Nouvelle-Calédonie. La tragédie, Patrick Roger, Éditions du Cerf, 338 pages, 24 euros.

Rarement essai n’aura paru aussi indispensable le jour de sa sortie. Patrick Roger, journaliste au Monde, est un fin connaisseur du Caillou, au point que ses dernières pages, écrites mi-avril, ont une teneur prémonitoire : on y voit annoncée l’explosion de violence de mi-mai, dans le récent écheveau noué, semaine après semaine, par les incompréhensions, les provocations gouvernementales, les tensions internes et les opportunismes, tant du côté loyaliste que du côté indépendantiste. Si l’auteur retrace avec force détails, et de l’intérieur, la période historique récente qui voit l’essor inéluctable de l’indépendantisme kanak, on peut regretter, à constater sa relative mansuétude envers les gouvernements Macron, qu’il semble le considérer comme une utopie dépassée.

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Notre santé. Sept questions, sept réponses, André Grimaldi et François Bourdillon, Odile Jacob, 160 pages, 14,90 euros.

L’hôpital public n’a jamais aussi bien fonctionné que pendant la crise sanitaire liée au Covid. Pourquoi ? Parce que les soignants ont repris le pouvoir. C’est l’un des principaux nœuds du problème de notre système de santé : les technocrates et le monde de la finance règnent sur lui. Un système qui ne repose pas sur nos besoins essentiels – nombre de soignants, de lits, de médicaments, etc. –, mais sur des tableurs Excel, des contraintes budgétaires. « La démocratie sanitaire est en panne », affirment les auteurs de cet ouvrage qui contient de nombreuses propositions pour remettre la santé au cœur des politiques publiques.

Leur Europe et la nôtre, Attac et Fondation Copernic, Textuel, 192 pages, 13,90 euros

Comme à chaque scrutin européen, Attac et la Fondation Copernic livrent leur constat éclairé sur l’Union européenne. Une organisation où le social n’est qu’une variable d’ajustement des politiques économiques, l’égalité entre les hommes et les femmes enrôlée par la logique néolibérale. Une organisation qui s’est dotée d’un Pacte vert insuffisant et finalement menacé, qui refuse de voir l’impasse de la libéralisation des marchés de l’énergie, et qui revient à ses vieux réflexes en matière de politiques fiscales et monétaires. Dévoilant une « démocratie » à réinventer, cet essai fait vingt propositions utiles pour remobiliser le mouvement social européen.

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Temps de lecture : 7 minutes

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