Apologie du terrorisme : l’instrumentalisation après l’intégration dans le droit commun il y a 10 ans

TRIBUNE. L’avocat Vincent Brengarth dénonce le dévoiement de cette infraction pénale pour criminaliser, en pratique, ce qui relève d’un débat d’idées d’intérêt général sur la situation dramatique de la population de Gaza.

Vincent Brengarth  • 10 mai 2024
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Apologie du terrorisme : l’instrumentalisation après l’intégration dans le droit commun il y a 10 ans
Rima Hassan, candidate sur la liste LFI aux européennes, s'adresse aux journalistes à côté de son avocat Vincent Brengarth (à gauche) avant de se rendre à une audition de police dans le cadre d'une enquête sur une prétendue « apologie du terrorisme », à Paris le 30 avril 2024.
© Antonin Utz / AFP

Avant son transfert dans le Code pénal par la loi du 13 novembre 2014, l’apologie du terrorisme, qui consiste à présenter favorablement des actes terroristes, était réprimée par l’article 24 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Selon l’étude d’impact du projet de loi, cette introduction dans le Code pénal devait permettre d’appliquer à ce délit des délais de prescription allongés et des règles de procédure considérées comme étant plus adaptées (dont les techniques spéciales d’enquête, comme la surveillance ou les sonorisations…). Il était toutefois indiqué : « Il ne s’agit pas en l’espèce de réprimer des abus de la liberté d’expression, mais de sanctionner des faits qui sont directement à l’origine des actes terroristes. »

Le législateur avait ainsi d’emblée perçu ce risque de porter atteinte à la liberté d’expression, en opérant une modification législative susceptible d’entraîner une augmentation drastique des poursuites. Ce transfert a été critiqué par un certain nombre d’organisations et de juristes. Dans un avis, la Commission nationale consultative des droits de l’homme recommandait « de ne pas inscrire dans le code pénal la provocation publique aux actes de terrorisme non suivie d’effet, ainsi que l’apologie publique du terrorisme. Ces deux incriminations, qui relèvent du champ de la liberté d’expression, doivent continuer à être régies par les dispositions spécifiques du droit de la presse ».

Préserver le débat d’idées

Près de dix ans après, les poursuites entreprises contre un certain nombre de personnalités publiques confirment les préoccupations qui étaient alors exprimées. Elles révèlent un dévoiement de cette infraction pénale pour criminaliser, en pratique, ce qui relève d’un débat d’idées. Ce débat d’idées doit d’autant plus être préservé compte tenu des circonstances à Gaza, ayant notamment conduit la Cour internationale de justice à alerter sur « un risque réel et imminent de Génocide ». De telles poursuites tranchent plus généralement avec l’inertie des pouvoirs publics à véritablement lutter contre les expressions qui, elles, encouragent la poursuite des opérations d’Israël à Gaza, au titre d’un droit à la légitime défense.

Bien sûr, nul ne saurait prétendre que la menace terroriste ne s’est pas aggravée depuis plusieurs années, en particulier s’agissant de la menace islamiste. Entre autres dramatiques exemples, l’attentat de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, les attentats du 13 novembre 2015… Les autorités ont indéniablement peiné à prendre la juste mesure de cette menace diffuse. Il est cependant difficile de leur en faire le reproche, tant ces agissements criminels apparaissent à des années lumières de nos valeurs démocratiques. Le fait est que, s’agissant de certains individus constituant des menaces, ce transfert dans le Code pénal a eu des effets louables, en permettant de mieux les identifier et de mieux réprimer ces actes. L’extension des méthodes d’investigation a précisément eu pour objet de mieux cerner le contenu de publications, en prenant en considération des éléments extrinsèques (personnalité de l’auteur, type de contenu internet consulté…). Ces éléments peuvent renseigner sur la véritable intention de l’auteur et ces liens avec des personnes qui appartiendraient à une mouvance terroriste, telle que la mouvance djihadiste.

Une forme de censure

Les convocations dernièrement intervenues, touchant des personnalités publiques exprimant des points de vue sur le conflit de Gaza, parfois avec une certaine virulence, traduisent un dévoiement des objectifs initialement fixés par le législateur en 2014.

La France a aussi une part de responsabilité dans ces expressions multiples et de temps à autre malhabiles, en raison de l’ambiguïté de ses relations avec Israël.

De telles déclarations interviennent indéniablement dans un débat d’intérêt général lié à la situation dramatique à Gaza, et doivent, à ce titre, bénéficier d’une plus forte protection au titre de la liberté d’expression. La persistance des attaques et bombardements, alors que Gaza s’enfonce dans une crise humanitaire, oblige à la mobilisation alors que le droit international se montre, pour l’heure, totalement impuissant. Dans ces conditions, le fait d’auditionner les personnalités qui s’expriment peut difficilement s’observer, au regard de la loi pénale, autrement que comme une forme de censure. Cette censure est aggravée par son inscription dans un calendrier électoral marqué par la tenue des élections européennes qui sonne comme un effet d’aubaine pour fragiliser certains partis politiques, alors que LFI a notamment placé au cœur de son programme la question de Gaza.

De plus, il ne saurait être fait abstraction d’une forme de maladresse dans certaines publications s’expliquant, parfois, par des connaissances historiques insuffisantes ou par l’absence de conscience suffisante de l’utilisation pouvant être faite de telle ou telle déclaration par une personne mal informée ou mal intentionnée. Il s’agit d’un sujet complexe, souvent mal abordé ou à un moment contestable, notamment lorsque les publications insuffisamment expliquées font directement suite à l’attaque terroriste du 7 octobre. Cette maladresse ne saurait aucunement se confondre avec une publication qui aurait précisément pour objet de faire l’apologie d’une action terroriste et d’encourager à la commission d’actions violentes. Cela n’a pas de sens.

Si une circulaire du garde des Sceaux en date du 10 octobre 2023 appelle à des réactions systématiques face aux faits apologétiques, cela ne doit pas conduire à effacer tout effort de discernement.

Il faut également souligner ici que la France a aussi une part de responsabilité dans ces expressions multiples et de temps à autre malhabiles, en raison de l’ambiguïté de ses relations avec Israël. C’est en effet cette ambigüité qui peut contribuer à une forme de radicalité d’expression et d’incompréhension. De telles poursuites, à l’envers de tout effort éventuellement pédagogique, ne peuvent qu’accroître les dissensions et entraîner des effets totalement contreproductifs.

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