Après l’expulsion du squat « En gare » à Montreuil, un homme maintenu en rétention
Suite à l’action des forces de l’ordre le 23 mai, deux personnes ayant reçu des OQTF ont été placées 48 h en rétention administrative à Bobigny. Le lendemain, Politis s’y est rendu avec Alexis Corbière, député LFI exerçant son droit de visite. Depuis, l’un des hommes a pu sortir, l’autre a été transféré en centre de rétention administrative.
« Quand la police a cassé la porte dans le couloir avec les coups de bélier, ça m’a fait sursauter. Avant même de m’habiller, la première chose à laquelle j’ai pensé, c’est de prendre mes documents. » C’est depuis le local de rétention administrative de Bobigny, qu’Ousmane*, 26 ans, évoque l’expulsion d’un squat montreuillois qui a eu lieu le jeudi 23 mai, vers 6 heures du matin. Le lieu, inoccupé, était géré par l’association « En Gare ».
Ousmane en est membre et bénévole. Arrivé en France à l’âge de 3 ans, il a grandi à Montreuil. Il explique que depuis 2 ans, la préfecture n’exécute pas une ordonnance du tribunal administratif qui devrait lui permettre d’être régularisé. Au cours de l’expulsion, 11 personnes ont été placées en garde à vue et 9 sont ressorties avec des OQTF (obligation de quitter le territoire français) et des IRTF (interdiction de retour sur le territoire français), des mesures visant à éloigner du territoire français les étrangers en situation irrégulière et à les empêcher d’y revenir. Cela signifie concrètement qu’en cas de contrôle de police, elles pourront être menées directement en rétention en vue d’un retour forcé.
Le prénom a été changé.
C’est ce qui s’est passé pour Ousmane et Brehima*, 31 ans, que la préfecture a placés en local de rétention administrative (LRA) après la garde à vue. « Je suis très inquiet », poursuit Ousmane, par ailleurs père de deux enfants. Les 28 LRA existant en France, sont destinés à la rétention des personnes étrangères pour une courte durée (48 heures) avant un possible transfert en centre de rétention administrative (CRA). Si Brehima a été libéré au bout de deux jours, Ousmane, lui, a été transféré au CRA du Mesnil-Amelot.
Le lendemain de l’expulsion, le vendredi 24 mai, le député insoumis Alexis Corbière s’est rendu en fin d’après midi dans le local à Bobigny, pour exercer son droit de visite parlementaire. Ouvert en 2021, le LRA se situe dans l’hôtel de police, au-dessus du commissariat. Dans la pièce où travaillent les agents du LRA, la porte est ornée d’un sticker du syndicat de police Alliance. Sur un drapeau bleu blanc rouge, on y lit : « Payés pour servir, pas pour mourir ». La visite est réalisée par le commandant Maître et la capitaine Maillard. « Pourquoi placer les personnes en LRA plutôt que le CRA ? », demande le député. « C’est la préfecture qui décide », explique le commandant de police.
« Les LRA servent de variable d’ajustement quand les CRA sont saturés ?, » poursuit l’élu. « À notre échelle, on n’a pas de visibilité. Les LRA sont des lieux de transit ». Dans les CRA, les personnes peuvent être retenues jusqu’à 90 jours. Sur les transferts, le commandant Maître précise : « Les retenus ne sont pas menottés. Ils sont accompagnés en fourgon par 3 de nos agents ».
Une visite encadrée
Avant d’entrer dans l’espace où sont retenues les personnes, les consignes sont claires : impossible de leur parler, ni de prendre de photos des locaux. Sur les 12 places du local de rétention administrative, 6 sont actuellement occupées. Les lieux sont assez vétustes : plafonds décrépis, taches sur les murs. Il y a deux chambres de quatre personnes et deux chambres de deux, sans caméra ou verrou. « Ils ont leur intimité », explique la capitaine. « Ils sont libres de faire ce qu’ils veulent », poursuit le commandant. L’espace extérieur qui permet aux personnes de prendre l’air et de fumer une cigarette est grillagé. Un ballon est à leur disposition. Les autres divertissements, la télé et la table de ping-pong sont en maintenance.
« Ils sont retenus, pas détenus », précise à plusieurs reprises la capitaine Maillard. Dans le réfectoire, où les personnes peuvent manger à l’heure qu’elles le souhaitent et selon leur menu (végétarien, sans porc), le sol est sale. À côté du passe-plat où descendent les plateaux, il y a une fontaine à eau, dont le métal est constellé de taches brunes.
Sur le mur du couloir, un règlement intérieur du centre est traduit dans les langues officielles de l’ONU. À côté du réfectoire, deux téléphones fixes, orange vif. « Ils peuvent appeler qui ils veulent en France et à l’étranger, » expliquent ceux qui encadrent la visite. Plus tard, des personnes retenues nous préciseront un détail : si le téléphone peut recevoir tout type d’appel, il ne peut joindre que des préfixes 01, limitant de fait la possibilité d’appeler l’extérieur. Et si les personnes retenues peuvent disposer d’un téléphone portable, « seuls les téléphones sans prise de vue sont autorisés », précise la capitaine.
Pendant les 48 heures maximum passées au local, les personnes retenues peuvent rencontrer leur avocat, leur famille ou des membres d’associations qui peuvent leur apporter de la nourriture supplémentaire ou des affaires. Des personnes de l’association « En gare », ont ainsi pu ramener de la nourriture à Brehima et Ousmane pour compléter les repas du LRA, jugés par ces derniers « insuffisants ».
L’année 2023, un tournant important en matière de non-respect du cadre légal de l’enfermement et des expulsions.
Cimade
Un local permet aussi de recevoir un médecin généraliste qui a une convention avec le LRA. Mais d’après Brehima, contacté après la visite, l’accès aux soins n’a pas été pourtant évident. Malgré ses maux de tête importants, il n’a pu avoir qu’un seul Doliprane, car les médicaments que lui a apportés une amie auraient été confisqués. Un exemple de la différence entre la théorie et la pratique en termes d’accès aux droits, documentée dans les rapports annuels de La Cimade sur les lieux de rétention.
Alors que la visite touche à sa fin, Alexis Corbière interroge les policiers sur les difficultés qui peuvent apparaître dans les interactions avec les personnes retenues. Le commandant et la capitaine expliquent que généralement, ça se passe bien. Le plus dur à gérer pour eux, ce sont les sorties de prison. « Lorsqu’ils croient qu’ils sont libres et qu’ils arrivent ici…», développe la capitaine Maillard.
Un avenir incertain
Avant d’être libéré le samedi 26 mai, Brehima confiait : « Je suis enfermé là alors que je ne suis pas un voyou du tout. Je paie mes impôts, je fais deux heures de trajet aller-retour par jour pour aller au travail, je n’ai même pas le temps de profiter avec mes amis. » Le Malien, arrivé en France en 2012, poursuivait : « Le temps où je suis enfermé, c’est de l’argent qui va être coupé sur mon salaire. »
Ousmane, lui, se trouve désormais au CRA du Mesnil-Amelot. Le dimanche 26 mai, le juge des libertés et de la détention (JLD) a maintenu sa rétention. Son avocate, Me Galmot, a fait appel. D’après le rapport annuel de La Cimade sur les lieux de rétention, en 2023, près de 4 personnes sur 10 retenues au centre du Mesnil Amelot ont été expulsées. Nina Galmot a aussi formé un recours devant le tribunal administratif pour contester les mesures d’éloignement. En attendant cette audience, Ousmane ne peut, en principe, pas subir de retour forcé au Mali.
Fin 2023, les lieux de rétention administrative disposaient de 1869 places, ayant conduit à l’enfermement près de 47 000 personnes dans des CRA sur l’année avec une durée moyenne d’enfermement de 28 jours. « Les chiffres concernant les personnes passées par les locaux de rétention administrative ne nous ont pas été communiqués par l’administration », expliquait le rapport annuel de la Cimade consacré aux centres et locaux de rétention administrative.
La loi de 2023 qui fixe les moyens et objectifs du ministère de l’Intérieur a fixé à 3000 le nombre places en rétention visé d’ici 2027. « La politique de fermeté menée par le ministre de l’Intérieur par voie d’instructions aux préfectures s’est traduite par un enfermement plus important, sans augmentation significative des expulsions, alors que les conséquences sur l’état de santé des personnes sont quant à elles bien réelles », estime la Cimade, dans le même rapport. L’association rappelle que la France « est l’État de l’Union européenne délivrant le plus de mesures d’éloignement vers des pays tiers ».
Selon Eurostat, depuis 2022, « la France est ainsi à l’origine de plus d’un tiers de toutes les mesures d’éloignement délivrées dans toute l’Union européenne ». Une politique qui n’est pas près de s’arrêter. Notamment du fait de la loi immigration, promulguée en janvier 2024, dont le rapport de la Cimade rappelle qu’elle « a supprimé les protections contre les OQTF dont bénéficiaient certains étrangers au regard de leur situation individuelle. »
Mais selon La Cimade, l’année 2023 a été marquée par « un tournant important en matière de non-respect du cadre légal de l’enfermement et des expulsions. Des préfectures ont ainsi procédé à des éloignements en toute illégalité, alors que le juge administratif n’avait pas encore rendu sa décision que la demande d’asile des personnes était en cours, ou que la Cour européenne des droits de l’homme avait suspendu le processus ». De quoi nourrir les inquiétudes d’Ousmane et de ses soutiens de « En gare ».
L’une des personnes coordonnant les activités de l’association confie : « S’ils décident de l’envoyer au Mali, ça va être très compliqué, car il n’a pas sa vie là-bas. Il est arrivé en France à l’âge de 3 ans, il a deux enfants ici. Tous ses repères sont ici. On est inquiets aussi des conséquences d’une longue rétention. » Face aux incertitudes, la solidarité reste de mise. « Quoi qu’il se passe, il sait qu’il a un gros soutien derrière lui. Et on ne le lâchera pas. »