« Un p’tit truc en plus » : une fable pour garder les yeux fermés
Dans le film Un p’tit truc en plus d’Artus, Céline Extenso pointe une dissimulation des violences concrètes que subissent les personnes handicapées, à l’instar de l’institutionnalisation.
dans l’hebdo N° 1811 Acheter ce numéro
Voir ou ne pas voir le film Un p’tit truc en plus ? La dernière comédie d’Artus bat des records au box-office, et son large public, essentiellement valide, évoque un rire libérateur, une leçon de vie et une grande bienveillance, pour un sujet supposé grave et délicat : le handicap. Radar à validisme : très très haut.
Artus rapporte une volonté de faire appel à des personnes handicapées non-actrices pour incarner leur propre rôle, « par respect ». Curieuse évocation : manquerait-on de respect aux acteurs valides en leur offrant des rôles de composition ? Et quel respect pour les acteurs handicapés qui ne sont jamais appelés ? Le réalisateur affirme avoir voulu être dans le vrai, au plus près de ce qu’ils sont. Et ce qu’ils sont est évident : des personnes handicapées, une identité tout entière, suffisante. Entrez public, suivez le guide dans une salle noire, et découvrez le vrai monde de vraies personnes handicapées. Un « p’tit » côté documentaire en réserve naturelle.
La réalité lourde du handicap, ce sont les privations de liberté, les violences subies en huis clos, la ségrégation
Nous découvrons alors un groupe de vacanciers handicapés. Non, plus qu’un groupe, c’est une famille. Ils sont une dizaine, vivant ensemble dans une institution, éloignés de leurs parents, mais entourés de la tendresse d’éducateurs dévoués. Ces derniers ont renoncé à leur vie personnelle, et offrent à chaque pensionnaire du temps, de l’attention, et une totale liberté d’expression de son identité fantasque.
Cette famille de fortune part en vacances dans une masure isolée, en montagne, où aucune route ne mène. Ils y vivent heureux, en vase clos, comme protégés du monde hostile. Lors de rares excursions, ils se déplacent en troupeau trublion, sans se mêler aux gens qu’ils croisent, qui les rejettent systématiquement.
Mais si le handicap est un sujet lourd, ça n’est pas tant à cause de préjugés que parce que la situation des personnes handicapées est réellement critique, et tout particulièrement celle des personnes handicapées psychiques ou cognitives institutionnalisées.
Artus revendique une démarche militante, on est en droit de se demander laquelle
La réalité lourde du handicap, ce sont les privations de liberté, les violences subies en huis clos, la ségrégation, la promiscuité et le défaut de soins qui découlent de l’institutionnalisation. Contre l’avis de l’ONU, contre les militants antivalidistes, la France continue à investir un « pognon de dingue » dans ces institutions, plutôt que dans l’accompagnement à une vie autonome en milieu ordinaire.
Alors, bien, sûr on parle d’une comédie, on recherche la légèreté. Mais puisqu’Artus revendique une démarche militante, on est en droit de se demander laquelle. On aurait pu aimer une comédie potache dans laquelle les personnes handicapées seraient réellement actrices (dans tous les sens du terme), s’évadent de leur institution et reprennent le pouvoir.
Mais sous couvert de lever des préjugés, Un p’tit truc en plus en renforce d’autres, bien plus délétères. Les spectateurs touchés repartiront légers, délestés de la sombre réalité, et continueront à envoyer en toute sérénité des enfants en écoles ou maisons spécialisées, loin d’eux, là où aucune route ne mène…
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