Assurance-chômage : une proposition de loi de salut public

Alors que le gouvernement a détaillé sa réforme, d’une brutalité sociale inouïe, le groupe parlementaire Liot propose, dans le cadre de sa niche et soutenu par tous les syndicats, un texte qui vise à empêcher tout nouveau rabotage des droits des chômeurs. 

Pierre Jequier-Zalc  • 29 mai 2024 abonnés
Assurance-chômage : une proposition de loi de salut public
La réforme portée par le gouvernement équivaudrait à une plongée dans la précarité pour de nombreux jeunes. « J’assume », affirme Gabriel Attal.
© Antoine Berlioz / Hans Lucas / AFP

On se croirait revenus un an en arrière. Des syndicats unis qui travaillent, main dans la main, avec le groupe parlementaire Liot. Cela avait déjà été le cas en mai 2023 quand les députés du groupe du médiatique Charles de Courson avaient déposé une proposition de loi visant à abolir la réforme des retraites tout juste passée en force quelques semaines plus tôt. Un an plus tard, le sujet est autre, mais tout aussi important : la nouvelle réforme de l’assurance-chômage, annoncée par le Premier ministre, Gabriel Attal.

Malgré tout, la situation a beaucoup de similarités. Ce recours, comme en mai 2023, apparaît comme être la dernière chance plausible – même si peu probable – d’entraver les plans du gouvernement. Car celui-ci vient d’annoncer les contours de sa nouvelle réforme. Et elle est brutale, très brutale, prévoyant 3,6 milliards d’économies. « La plus violente réforme de tous les temps », s’alarme la CGT dans un communiqué de presse.

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Un exploit, presque, tant les gouvernements successifs d’Emmanuel Macron ont, depuis 2017, taillé férocement dans l’assurance-­chômage. Sans que cela calme leurs ardeurs antisociales. Cette fois, c’est la durée d’affiliation qui va s’allonger. Alors qu’aujourd’hui il faut avoir travaillé 6 mois sur les 24 derniers, il faudra désormais avoir travaillé 8 mois sur les 20 derniers. Un changement qui affectera la durée maximale d’indemnisation, qui passera alors à 15 mois (contre 18 aujourd’hui). « J’assume », soutient Gabriel Attal dans La Tribune dimanche.

Une atteinte directe aux jeunes, et aux plus précaires, qui enchaînent les contrats courts, selon une étude de l’Unédic. Les mêmes, justement, qui avaient été touchés de plein fouet par la nouvelle méthode de calcul du salaire journalier de référence (SJR) comme l’a démontré une récente étude de la Dares, l’institut statistique du ministère du Travail. Pour être très concret, un jeune de moins de 25 ans qui sortira d’un CDD de six mois ne touchera rien. Ni chômage ni RSA. Zéro euro. Une plongée dans la précarité.

Cette réforme ne va pas remettre au travail des prétendus fainéants qui n’existent pas, elle va précariser encore plus les précaires.

S. Binet

Pourtant, l’enchaînement de contrats courts est une réalité dans plusieurs secteurs où les saisons ont un impact fort sur l’emploi : l’agriculture, le tourisme, la culture ou la restauration. Des secteurs, justement, où existent aujourd’hui des pénuries de main-d’œuvre. De quoi même inquiéter l’Union des entreprises de proximité (U2P), qui craint que cette réforme n’aggrave ces difficultés. « Cette réforme ne va pas remettre au travail des prétendus fainéants qui n’existent pas, elle va précariser encore plus les précaires », s’insurge Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT.

Contrefaçon dans la contracyclité 

Mais ce n’est pas tout. Les seniors seront aussi impactés par cette réforme avec la suppression des bornes de 53-54 ans et 55-56 ans, qui permettent aujourd’hui des durées d’allocation maximales allongées. Le gouvernement veut aussi poursuivre dans son modèle contracyclique. Celui, mis en place fin 2022, qui consiste à durcir les règles quand la conjoncture économique est bonne et à les assouplir quand celle-ci est mauvaise. Un modèle critiquable, qui le devient d’autant plus quand il ne fonctionne que dans un sens et que le gouvernement continue de raboter dans l’assurance-chômage alors même que le taux de chômage augmente, comme actuellement.

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Mais peu importe donc. Gabriel Attal a annoncé que si le taux de chômage passait sous la barre des 6,5 % (contre 7,5 % aujourd’hui), la durée d’indemnisation se réduirait à nouveau. Bref, vous l’aurez compris, le gouvernement y va à la hache, sans aucun remords ni aucun regard sur le coût social – qui s’annonce très élevé – de ces mesures.

Le gouvernement, sur la question du chômage, est populiste. Et c’est très grave.

F. Hommeril

« Violente », « non évaluée », « dangereuse », « inquiétante », « monstrueuse » : toutes les organisations syndicales y vont de leur qualificatif. « Le gouvernement, sur la question du chômage, est populiste. Et c’est très grave. Comme si les chômeurs étaient responsables de tous les maux », confie François Hommeril, président de la CFE-CGC. Lui comme tous les représentants des syndicats représentatifs (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC) sont indignés par cet acharnement. Car en plus d’être brutale socialement, cette réforme balaie l’accord que trois de ces centrales (CFDT, FO, CFTC) avaient trouvé avec les organisations patronales. Un accord non agréé par le gouvernement, qui a donc décidé de reprendre la main.

Initiative parlementaire

Depuis l’annonce de Gabriel Attal, fin mars sur le plateau de TF1, d’une nouvelle réforme, si de nombreuses voix scientifiques, politiques et syndicales – indignées mais impuissantes – ont fait savoir leur désaccord, le sujet a du mal à susciter la révolte au sein de l’opinion publique. « Contrairement à la retraite, à laquelle tout le monde souhaite avoir droit un jour, personne ne souhaite être au chômage », souffle François Hommeril. Surtout, le gouvernement compte passer ces nouvelles mesures par décret, et donc sans débat à l’Assemblée nationale.

Mises à l’écart des décisions prises unilatéralement à Matignon, sans mobilisation sociale d’envergure envisageable, ni débat dans l’Hémicycle, les organisations syndicales se retrouvent démunies. Alors que les décrets doivent être publiés avant début juillet pour une entrée en vigueur le 1er décembre, la proposition de loi du groupe Liot arrive donc à point nommé. « L’initiative est visible et symboliquement forte », se réjouit le leader de la CFE-CGC.

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Dans le détail, la proposition de loi portée par Martine Froger, députée de l’Ariège, est assez simple. Elle vise à faire des paramètres actuels (durée d’indemnisation, d’affiliation) des seuils planchers qu’on ne pourrait plus abaisser. Plus important encore, elle souhaite « renouer avec le paritarisme originellement au cœur de notre modèle d’assurance-­chômage » en supprimant la lettre de cadrage du gouvernement, qui contraint énormément les négociations entre partenaires sociaux. « On a accueilli avec beaucoup d’enthousiasme cette proposition de loi. Il est sain dans une démocratie que le Parlement puisse avoir un débat clair sur cette question », explique Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT.

Cette nouvelle attaque contre les chômeurs est difficilement justifiable. Cela crispe même au sein de la majorité.

Pourtant, même malgré cette niche parlementaire, il se pourrait qu’il n’y ait pas de débat dans l’Hémicycle. En 2023, la proposition de loi du groupe Liot visant à revenir sur la réforme des retraites avait été détricotée en commission des affaires sociales. Bis repetita cette fois ? « Ce qu’il se passera en commission va vraiment nous indiquer si ce texte a une chance », confie Martine Froger. Au sein du groupe parlementaire, on veut y croire : « Il y a une petite chance. Cette nouvelle attaque contre les chômeurs est difficilement justifiable. Cela crispe même au sein de la majorité », confie un conseiller Liot.

Des crispations confirmées en off par plusieurs alliés de la majorité. « Nous ne sommes pas très fans de cette nouvelle réforme et surtout de son calendrier », glisse un poids lourd du Modem. « On ne pense pas que ce soit la priorité », assure-t-on aussi dans l’« aile gauche » de la majorité. Des réticences qui amèneraient certains à soutenir la proposition de loi de Liot ? « Ce n’est pas encore calé », préfère-t-on évacuer.

Les syndicats en soutien

Dans cette quête d’un coup politique majeur, Liot peut donc compter sur l’appui de l’intégralité des organisations syndicales représentatives. « On est en lien avec les députés, avec les responsables de groupe. On tente de les convaincre de l’opportunité qu’ils ont de soutenir ce texte. Il faut sortir des logiques d’appareil », assure François Hommeril. « On a demandé à nos unions régionales d’effectuer un travail de terrain, en allant à la rencontre des députés », poursuit Marylise Léon. Un travail qui, en 2023, avait fonctionné. Le gouvernement avait été obligé de dégainer le 49.3 pour passer en force sa réforme des retraites, car il n’était pas certain de remporter un vote.

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La publicisation de cette initiative parlementaire est donc bienvenue. Mais sur un sujet différent et bien moins mobilisateur que les retraites, elle ne garantit en rien son succès. Loin de là, même. Car le gouvernement, qui compte faire des économies avec cette réforme, va très certainement préparer le terrain pour plomber cette proposition de loi. « On craint beaucoup l’obstruction parlementaire avec un nombre d’amendements conséquent », note Martine Froger. Le texte passera en commission des affaires sociales le 5 juin, et dans l’hémicycle le 13. Un dernier rempart contre un massacre social annoncé.

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